Friday, December 21, 2007

La dislocation du Liban

Le Droit
Actualités, vendredi, 21 décembre 2007, p. 19

La dislocation du Liban ?

Alain-Michel Ayache
L'auteur est spécialiste du Proche et Moyen-Orient, rattaché au Département de Science politique de l'Université du Québec à Montréal.

L'on se demande souvent si la tragédie libanaise verra un jour une fin heureuse et une renaissance d'un pays pluraliste où règne démocratie et droits de l'Homme. Hélas, avec toutes les puissances régionales qu'internationales qui tentent coûte que coûte de se battre sur le terrain fertile du Liban, il est malheureusement à croire que le Pays des Cèdres est loin de retrouver une stabilité certaine.

Le dernier chapitre de cette continuelle déstabilisation vint encore une fois sous la forme d'un assassinat. Cette fois-ci, la "nouveauté" réside dans le fait que la victime appartient à la seule institution stable du pays : l'armée.

Chef des opérations militaires, et commandant en chef du front Nord contre le camp militaire palestinien de Nahr el-Bared, le général François Hajj était considéré comme aspirant Commandant en chef de l'armée si l'actuel chef, le général Michel Sleiman allait être "élu-nommé" Président de la République. Or, il semblerait que le général Hajj dérangeait beaucoup d'acteurs sur la scène libanaise et son assassinat profite à plus d'une personne.

À qui profite le crime?

Tout d'abord, ayant commandé le front contre les insurgés islamistes du camp militaire, dit de réfugiés, de Nahr el-Bared, le général Hajj devient de fait l'ennemi numéro un des islamistes sunnites radicaux, qui ne reconnaissent pas en un Chrétien une quelconque légitimité pour tout poste de responsabilité.

En second, Hajj est originaire de Rmeich, village sur la frontière israélienne. Or, les gens de Rmeich étaient des alliés inconditionnels d'Israël et des ennemis au Hezbollah. Or, bien que Hajj n'ait jamais été avec les Israéliens, il n'en demeure pas moins qu'il représente un problème pour la machine militaire du "Parti de Dieu" au même titre que les Islamistes du Nord. Et comme il a réussi à mettre à pas ceux du Nord, rien de garantit qu'il ne fera de même contre la milice pro-iranienne le temps venu ! Donc, il fallait l'éliminer.

Affaiblir les chrétiens

En troisième, la grande majorité des assassinats a ciblé principalement les personnalités chrétiennes ayant un charisme certain. Ce qui profite aussi bien aux ennemis du Liban, mais également à la machine sunnite libanaise. Car si l'on considère les Accords de Taëf qui avait pour résultat la diminution des prérogatives du chef de l'État (Chrétien maronite) en transférant certains pouvoir clés au premier ministre (musulman sunnite), l'on se demande alors si la série d'assassinat de ces personnalités chrétiennes ne représente autre que l'élimination de toute possibilité pour le camp chrétien d'avoir des ténors capables de bloquer les décisions sunnites.

Il y a aussi le fait que François Hajj est considéré comme un proche du général Michel Aoun, allié stratégique du Hezbollah. Or, lorsqu'on sait que de nombreux officiers de l'armée libanaise étaient restés fidèles au général Aoun, l'on se demande si l'assassinat de Hajj ne représenterait un message pour le général Aoun de la part de ses ennemis qui appartiennent au gouvernement libanais.

Intérêts externes

Il y a en outre les intérêts externes, ceux de Damas, des États-Unis, de l'Iran et de l'Arabie saoudite, qui eux aussi ont leur mot à dire dans cette équation libanaise. Assassiner un général de l'armée pourrait bien être le prélude de la mise à mort de la seule institution solide et nationale du pays en vue peut-être de disloquer le pays si aucun président n'est élu.

Dans ce dernier scénario, le message, c'est que de grands changements pourraient bien avoir lieu dans les semaines à venir si les politiciens libanais n'arrivent pas à trouver un consensus autour d'un président qui représenterait l'union du Liban. À défaut d'un président, il ne serait pas étrange que des troubles secouent le Liban, menant à terme à sa dislocation. Le Hezbollah semble avoir consolidé ses assises en achetant avec de l'argent iranien des villages en entiers appartenant à des Chrétiens et des Druzes au Sud du pays, liant ainsi l'Ouest à l'Est et créant un corridor de logistique très avancé non seulement au Sud du pays, mais également au Nord en pleine région chrétienne qu'il a prise en étau.

Le Liban vit actuellement un moment crucial. Soit il réussit à sortir de la crise et à rebâtir un nouveau pays basé sur l'équité entre ses 18 communautés, soit il se dirigera droit vers l'abysse qui signera la fin d'une époque... celle d'un Liban libre et indépendant et le rideau s'abattra sur la Pays des Cèdres pour voir naître de nouvelles entités actuellement en gestation secrète et lente !

Friday, September 28, 2007

Présidentielles au Liban: un succès pour Damas

Le Droit
Forum, vendredi, 28 septembre 2007, p. 17

Présidentielles au Liban : un succès pour Damas

Alain-Michel Ayache

Il fallait s'y attendre ! Les élections présidentielles du Liban viennent d'être ajournées au 23 octobre, les députés de l'Opposition ne s'étant pas présentés lundi.

Seuls les 68 députés de la majorité s'étaient retrouvés au Parlement sans pour autant que le président de la Chambre, Nabih Berri, patron de la milice chiite Amal et proche du Hezbollah n'ait officiellement ouvert la séance. Or, selon la Constitution du Liban, deux tiers du quorum doit être présent afin que les élections puissent avoir lieu. À défaut, la première séance est ajournée et les députés ont presque un mois tout au plus pour se réunir en seconde assemblée. Toutefois, lors de cette seconde séance, seule 50 %+1 votes des députés sont requis sur les 128 actuels pour élire le prochain président du Liban.

Le blocage des élections par l'Opposition pourrait mener à la naissance de deux gouvernements, l'un chiite et l'autre sunnite.

Dans le premier cas, le Hezbollah sera le gagnant car il constitue déjà un État au vrai sens du terme à l'intérieur du Liban. Un gouvernement issu de sa communauté, par opposition à un autre représentant la majorité et notamment le pouvoir sunnite au Liban, signifierait que le "Hezbollah-land" sera officiellement créé. Ses frontières couvriraient l'ensemble du Sud Liban, se positionnant ainsi sur la frontière nord d'Israël. D'ailleurs, ce qui rend ce scénario plausible, ce sont les achats de terrains voire de villages entiers par le Hezbollah avec de l'argent iranien. De quoi "encourager" aussi bien les Chrétiens et les Druzes à vendre et émigrer vers d'autres pays ou régions ! Une telle hypothèse signifiera également que le reste du Liban non-chiite sera en crise et des mini-États confessionnels pourraient voir le jour où le pouvoir central se verra réduit et limité uniquement aux bâtiments de ses institutions... et encore ! Ainsi, et dans l'optique d'éviter une telle crise, Washington et Paris essayent maintenant de pousser le président de la Chambre, le Chiite Berri, de reprendre son "initiative" de rapprochement entre opposition et majorité afin de colmater la brèche créée depuis quelques mois et qui continue de s'agrandir surtout suite aux nombreux attentats dont celui de mercredi dernier.

Le bras de fer

À défaut d'un succès dans sa démarche, le Liban se dirige tout droit vers un simulacre de guerre civile à l'instar de celle de l'Irak qui risquerait fort d'enflammer toute la région. Car derrière la crise constitutionnelle libanaise, se cache un bras de fer sans précédent entre l'Iran chiite et l'Arabie saoudite sunnite pour le contrôle du monde arabe après la chute de Saddam.

Quant à la Syrie, elle se retrouve coincée entre deux choix cruciaux : maintenir son adhésion au monde arabe et se trouver prisonnière de l'humeur saoudienne et de son portefeuille, quitte à ce que le régime Assad paye finalement le prix de l'assassinat de l'ex-premier ministre libanais Rafic Hariri, pour survivre face à la montée jusque-là contrôlée du radicalisme sunnite en Syrie des Frères Musulmans ; ou, s'allier à Téhéran pour devenir en quelque sorte son bras droit dans le but de mener une contre-offensive politico-militaire stratégique face à Washington dans cette région du monde. Le problème dans les deux cas, c'est que Damas commence à se trouver dans les chaussures d'un joueur de seconde catégorie alors qu'Assad espérait la maintenir comme joueur essentiel sur l'échiquier proche-oriental. Les attentats seraient alors une façon damascène ou "assadienne" de dire que "J'y suis, j'y reste !"

D'ailleurs, selon certains analystes, l'absence des députés libanais de l'Opposition le 25 septembre du Parlement, mais surtout le refus du président de la Chambre d'ouvrir officiellement la séance, constitue une tactique stratégique pour Damas pour bénéficier de plus de temps pour mettre au point son plan machiavélique. D'une part, le Hezbollah pourra marchander encore plus son adhésion au processus démocratique si le président est "choisi" par consensus. De l'autre, et dans le cas de refus, la série des attentats continuera et ciblera les députés restants de la majorité afin que leur nombre soit inférieur à la moitié du nombre total des députés libanais afin de garantir un triomphe prosyrien lors des prochaines élections le 23 octobre. Ainsi, sur les 128, le nombre idéal pour Damas sera d'en garder en vie 63, soit 50 % - 1 !

En d'autres termes, encore cinq députés de plus et les élections garantiront le succès de la machine damascène au... Liban !

Alain-Michel Ayache,

Université du Québec à Montréal

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Friday, September 21, 2007

Un président acceptable ou la dislocation du Liban

Le Soleil
Opinions, vendredi, 21 septembre 2007, p. 23

Analyse

Un président acceptable ou la dislocation du Liban

Alain-Michel Ayache,
Spécialiste* du Proche-Orient


Dans quelques jours, les regards des Libanais se dirigeront vers leurs députés. Ils se réuniront pour tenter d'élire le nouveau président de la République. Or, les chances d'en arriver à un consensus semblent quasi inexistantes entre l'opposition prosyrienne et la majorité pro-occidentale. L'attentat qui vient tout juste de coûter la vie au député chrétien Antoine Ghanem ne fait que jeter encore plus de l'huile sur le feu !

Par ailleurs, les partis de l'opposition officielle, le Hezbollah, le parti chiite Amal du président de la chambre Nabih Berri et leur allié chrétien, Michel Aoun du Courant patriotique libre, font pression sur le premier ministre de confession sunnite, Fouad Saniora et tous les autres ministres - aussi bien druzes que chrétiens qui lui sont fidèles - pour forcer l'actuel gouvernement à démissionner. Ils allèguent qu'il a perdu la confiance d'un grand nombre de Libanais depuis que les ministres chiites se sont retirés du Cabinet, il y a quelques mois, en désaccord avec la politique de Saniora.

Les arguments de l'opposition

Pour le Hezbollah, un tel gouvernement ne pourra défendre les intérêts de tous les Libanais. Il devrait donc être dissout et se voir remplacer par un autre - dit d'union nationale - qui représenterait toutes les tendances politiques au pays et surtout chiites. Pour Michel Aoun, un ennemi juré de la Syrie considéré actuellement comme son allié stratégique, la présidence de la République est le siège le plus représentatif pour les Chrétiens libanais, notamment pour les maronites. L'affaiblir, (comme cherche à le faire le premier ministre sunnite Saniora), reviendrait à octroyer à la présidence une valeur symbolique (comme la reine en Angleterre), ce qui est rejeté d'office ! Ce qui amène Aoun à apporter un soutien inconditionnel à la présidence et, par conséquent, à Émile Lahoud, l'allié inconditionnel de Damas.

Un veto sur un candidat issu de l'Armée

Or, à défaut de trouver un candidat de consensus, (le président de la République doit être de confession chrétienne maronite) certains avancent le nom du commandant en chef de l'armée, le général Michel Sleiman, ou celui du gouverneur de la Banque du Liban, l'économiste chevronné Riad Salamé. Toutefois, ni le premier ni le second ne peuvent prétendre à la présidence selon la Constitution. Accepter leur candidature nécessiterait un amendement constitutionnel, ce que Aoun et le Hezbollah refusent, car ce serait créer un précédent pour "nommer" un président à la solde du premier ministre ou autre !

Même si les Libanais ont soutenu leur armée contre les terroristes de Fatah al-Islam dans le camp palestinien du Nord, ils demeurent néanmoins méfiants quant à voir un autre membre des forces armées à la tête du pays (Émile Lahoud était l'ancien commandant en chef de l'armée). Ce sont justement les craintes du chef druze Walid Joumblatt qu'un officier-président ne transforme le pays en une dictature militaire... bien que cela soit inconcevable au Liban !

Le véritable enjeu !

La problématique est très compliquée, car l'Iran et l'Arabie Saoudite se livrent une guerre sans merci pour le contrôle du Liban derrière ce bras de fer entre le Hezbollah et le gouvernement libanais. La Syrie étant un passage obligé dans la région et stratégiquement bien placée pour faciliter le transit d'armes et de munitions au Hezbollah, il est alors normal que Téhéran la garde comme alliée temporaire pour avancer ses pions sur l'échiquier libanais, voire régional. On prétend que la dernière attaque de l'aviation israélienne, en Syrie même, aurait détruit des rampes de missiles balistiques que Damas montait avec l'aide de l'Iran et de la Corée du Nord (et de Moscou même, selon des analystes, afin de mettre un terme à l'hégémonie américaine dans la région).

Quoi qu'il en soit, les prochains jours seront cruciaux pour les Libanais. Tout porte à croire que le Pays du Cèdre se dirigera droit vers la confrontation interne s'il ne réussit pas à trouver un terrain d'entente et un candidat présidentiel acceptable. Le scénario de 1989 pourrait alors se reproduire avec deux gouvernements, l'un sunnite, l'autre chiite, ce qui aboutirait à court terme à la dislocation du Liban et à la naissance d'une entité chiite, à l'instar de Gaza, du sud-ouest au sud-est du Liban, se positionnant sur la frontière nord d'Israël.

*Département de Science politique de l'UQAM

Saturday, August 25, 2007

Damas 3 - Washington 1

Le Droit
Forum, samedi, 25 août 2007, p. 21

Damas 3 - Washington 1

Alain-Michel Ayache

Rien ne va plus pour Washington au Proche et Moyen-Orient ! Après l'Irak, c'est le Liban qui semble échapper au plan américain tout en créant une dynamique conflictuelle sérieuse aussi bien pour la Maison-Blanche que pour Tel-Aviv. D'ailleurs, rien à écouter et analyser le discours du Secrétaire général du Hezbollah, Sayyed Hassan Nasrallah, l'on se rend compte que la résolution 1701 du Conseil de Sécurité n'a fait que donner plus de temps au "Parti de Dieu" pour se réarmer encore plus et pour mieux former ses recrues en vue d'une nouvelle confrontation avec l'État hébreu.

Des menaces qui en disent long...

Ses menaces, verbales, contre Israël, le jour du premier anniversaire de la fin de la confrontation de l'été 2006, marquent le ton à venir et sonnent le glas d'une paix onusienne de plus en plus utopique. Or, bien que les menaces de Nasrallah sont selon lui conditionnelles à toute attaque israélienne, il n'en demeure pas moins que l'armement que l'Iran lui a envoyé à travers la Syrie fait de lui aujourd'hui un redoutable adversaire, d'où les "surprises" promises par lui à Israël... Cela représente en soi plus d'un problème aux desseins de Washington, car le Hezbollah peut utiliser n'importe quelle excuse pour attaquer l'État hébreu sous prétexte de défendre la souveraineté du Liban. À cela s'ajoute la mobilisation de plus en plus grandissante des masses arabes en sa faveur, car il est perçu par elles comme le seul "héro arabe et musulman à avoir pu battre l'ennemi sioniste". D'ores et déjà, le Hamas semble copier à la lettre près la politique "hezbollienne" aussi bien sociale, économique que militaire afin de démontrer à ses critiques qu'il est capable d'assumer la responsabilité et la gestion d'un État palestinien.

Le jeu habile de Damas

Par ailleurs, il y a encore quelques jours, Damas marquait un point face à la politique étrangère américaine au Proche-Orient en poussant son allié libanais Michel Aoun dans des élections partielles face à l'ancien président de la République libanaise, Amine Gémayel. À peine quelques heures après l'annonce de la victoire du candidat prosyrien, Washington égalisait avec le décret de bloquer tous les avoirs de citoyens américains et entreprises américaines ayant un quelconque lien avec les alliés de Damas. Mais qu'à cela ne tienne ! Le lendemain de l'annonce américaine Moscou se positionna de plain-pied sur l'échiquier régional. Désormais, une base militaire navale russe opérera de Syrie !

L'effet d'une telle annonce est assez signifiant tant sur le plan régional qu'international. En effet, la décision de Putin, ne peut être analysée qu'une reprise de ce bras de fer russo-américain, identique dans sa forme, du moins pour l'instant, à celui jadis révolu de la guerre froide. Encore qu'à cette époque, Damas avait fini par devenir l'allié pragmatique des États-Unis.

L'option américaine versus l'option russe

En se positionnant de la sorte, Moscou vient de donner un souffle sans précédent à Assad en fortifiant sa position face à un Bush en déroute aussi bien sur le plan interne qu'externe ! Pis, une telle décision russe peut bien mettre une fin de non-recevoir au tribunal international pour juger les assassins de l'ex-premier ministre libanais assassiné, Rafic Hariri.

Ainsi, alors que Washington pensait avoir gagné du terrain sur l'échiquier glissant et miné du Proche et Moyen-Orient, la voilà de nouveau aux prises avec des variables plus dangereuses encore et plus déstabilisantes que jamais pour son hégémonie régionale. Quant à Moscou, s'aventurer à partir de Damas lui donne un pied-à-terre dans la région après une absence si longue. Or, cette présence moscovite ne peut que consolider le régime tyrannique des Assad face à toute possibilité de changement dans la région pour une Syrie plus démocratique. Ce qui confortera encore plus Damas dans toute politique de déstabilisation de son petit voisin libanais, gardant ainsi une pression grandissante sur la sécurité du Nord d'Israël voire de tout le pays, maintenant que le Hezbollah semble disposer de missiles de longue portée capable de toucher la capitale israélienne !

Aujourd'hui, dans un temps où le Liban vit une crise politique similaire à celle de 1991, date de la fin officielle de la guerre civile sous l'occupation syrienne, le "Pays des Cèdres" risque gros avec cette nouvelle carte russe à Damas. Pour les plus sceptiques des Libanais, une telle présence pourrait à court terme décourager l'Administration Bush alors qu'elle s'approche de la fin de son mandat pour trouver une solution finale à la problématique libanaise. Pis, ces derniers craignent que Damas ne reprenne le contrôle du pays à travers ses alliés, tel le Hezbollah... ou encore la Russie ! D'ores et déjà, le commandant en chef de l'Armée, dont les hommes tentent encore de mettre un terme aux terroristes de Fatah al-Islam, fait miroiter la possibilité de se tourner vers Moscou pour recevoir des armes que Washington était censée lui adresser pour finir avec les Islamistes... et qui semblent avoir été remis aux calendes grecques...

Alain-Michel Ayache,

Spécialiste du Proche-Orient, département de Science politique, UQAM

Friday, August 10, 2007

Élections partielles au Liban, Damas 1, Washington 0

Le Devoir
IDÉES, vendredi, 10 août 2007, p. a9

Élections partielles au Liban
Damas 1, Washington 0

Alain-Michel Ayache

On s'y attendait. La victoire du candidat du général Michel Aoun sur son concurrent, l'ex-président de la République libanaise, Amine Gémayel, était prévisible. Ce qui ne l'était pas, c'est la différence de voix qui a mené le premier à la victoire.

En effet, les 418 votes qui séparent le gagnant du perdant sont indicatifs à plus d'un égard, le premier étant encore une fois la preuve que le général Aoun a des appuis dans la région majoritairement chrétienne. Par ailleurs, c'est également la preuve qu'il a perdu beaucoup des siens lors de ces élections partielles. Des 70 % de voix chrétiennes et notamment maronites qu'il avait récoltées lors des dernières élections législatives, il ne lui reste plus qu'un pourcentage minime!

Cette perte de popularité dans le camp chrétien trouve son origine dans l'alliance du général avec le Hezbollah et la Syrie alors que, durant ses 15 ans d'exil en France, il représentait, notamment pour les chrétiens maronites, le fer de lance du nationalisme libanais et de l'antisyrianisme primaire. Or, depuis qu'il a retrouvé le chemin de Beyrouth, au nom d'une «union nationale», il multiplie les erreurs politiques en misant sur les mauvais joueurs.

Ennemi d'hier, allié d'aujourd'hui

Ses détracteurs, dont la majorité gouvernante, lui reprochent son alignement sur la politique syrienne contre les intérêts premiers du Liban. Lui défend la position de la présidence de la République, qu'il cherche à occuper au prétexte de consolider son pouvoir face à un sunnisme fort centralisateur de la décision exécutive de l'État. Il accuse ce gouvernement d'être une copie conforme de celui sous l'occupation syrienne, car la majorité des ministres en question y siégeaient à cette époque. Or, si cette «sauvegarde» de la position présidentielle est jugée importante par l'Église libanaise, il n'en demeure pas moins que le général est aujourd'hui plus que jamais perçu comme la mauvaise personne aux yeux des chrétiens et du clergé pour l'occuper. D'ailleurs, le patriarcat maronite a cherché à plusieurs fois à colmater la brèche entre le général et l'ex-président Gémayel, mais il a lamentablement échoué à cause de l'entêtement et de la personnalité du premier, voire de son mépris pour la famille Gémayel. Cela s'est traduit à plus d'une reprise par des déclarations télévisées du général, dont le degré de respect à l'endroit des Gémayel se rapprochait davantage de celui d'un agent des moukhabarats syriens que d'un général de l'establishment militaire, pis, d'une personne aspirant à la magistrature suprême du pays!

Un ras-le-bol chrétien

À examiner cela de près, on s'aperçoit que les voix qui ont mené le candidat du général au succès sont principalement celles du camp arménien, bien qu'en partie seulement, et du parti social-progressiste national, très proche de Damas, en plus des votes des «naturalisés» venus spécialement en autocar de Damas pour remplir leur devoir civique. Bien entendu, une partie des chrétiens de la région a voté pour le candidat aouniste. Ce sont les fidèles de l'ex-ministre de l'Intérieur, vice-premier ministre du temps des Syriens au Liban, Michel el-Murr, dont, ironiquement, le fils est l'actuel ministre de la Défense et a déjà été l'objet d'une tentative d'assassinat par les mêmes personnes qui ont tué l'ex-premier ministre Rafic Hariri.

La réplique de Washington

Pour les observateurs et les analystes de la scène politique libanaise, le succès du courant patriotique du général Aoun à ces élections partielles démontre la capacité de celui-ci à gêner un gouvernement qu'il juge inconstitutionnel et non représentatif de la volonté des Libanais. En réalité, ces résultats ne sont qu'une avant-première du combat électoral que les chrétiens, notamment, auront à mener pour la présidence de la République. La candidature de Michel Aoun, bien qu'annoncée, ne recevra sans doute aucun appui de la population chrétienne qu'il clame représenter. D'où le grave problème pour les maronites de trouver une solution de rechange ayant l'aval de tous. D'ores et déjà, les analystes américains pensent que la présidence de la République constituera le prochain bras de fer non négligeable entre l'administration américaine et Damas. Or Washington semble prendre les devants après cette «victoire» d'Aoun sur le gouvernement Siniora en bloquant et en saisissant tous les comptes de citoyens américains et d'entreprises américaines connues pour appuyer financièrement le général.

Ainsi, dans l'attente de la prochaine élection présidentielle, qui devrait avoir lieu fin septembre, les deux camps semblent se préparer pour un automne des plus chauds au Liban. D'aucuns parlent même d'affrontement armé avec toutes les armes qui continuent de transiter de Damas vers ses alliés libanais...

Alain-Michel Ayache : Spécialiste du Proche-Orient au département de science politique de l'Université du Québec à Montréal

Friday, July 27, 2007

Le jeu syrien

Le Devoir
ÉDITORIAL, vendredi, 27 juillet 2007, p. a8

Libre-Opinion:

Le jeu syrien

Alain-Michel Ayache

Il n'a pas fallu longtemps pour que le secrétaire général de l'ONU, Ban Ki-moon, se rende compte de la détermination du président syrien Bachar al-Assad à déstabiliser le Liban, voire toute la région, advenant la mise sur pied du tribunal international sur l'assassinat de l'ex-premier ministre libanais Rafic Hariri, tel que le stipule la résolution 1757 du Conseil de sécurité des Nations unies.

C'est ce qui ressort de l'information que le quotidien français Le Monde vient de publier il y a quelques jours à la suite d'une «fuite» initiée par un proche du secrétaire général sur le contenu de la rencontre.

S'il y a un sens à cette «fuite», c'est celui du message que le régime de Damas essaie de faire passer sur sa volonté d'être toujours considéré comme un joueur indispensable dans le dessein du Grand Moyen-Orient, version américaine. D'ailleurs, depuis un certain temps, la Syrie multiplie les signes d'ouverture à une possible reprise des pourparlers de paix avec Israël versus une possibilité d'affrontement contre l'État hébreu. En effet, des rumeurs courent dans les pays arabes selon lesquelles Damas aurait choisi de lancer «au mois de septembre» des attaques de guérilla contre les positions israéliennes sur le plateau du Golan, advenant le rejet d'Israël de se retirer de cette terre syrienne occupée en 1967. Les attaques seraient du type que le Hezbollah avait utilisé contre Tsahal au Liban-Sud.

Assad plus déterminé que jamais

Or, le fait que le régime Assad tente de diffuser de telles informations à qui voudrait l'entendre est en soi un signe que Damas ne lâche pas prise devant les pressions internationales et semble être prêt à aller jusqu'au bout, quitte à déstabiliser non seulement le Liban, mais également l'ensemble de la région. D'ailleurs, à regarder de plus près, l'on se rend compte que la politique syrienne s'aligne de plus en plus sur celle de l'Iran pour contrer une autre politique arabe visant le contrôle de la région, cette fois-ci saoudienne. D'ores et déjà, des observateurs occidentaux et arabes, au fait des politiques internes et régionales des pays arabes, mettent le blâme sur le royaume wahhabite - et notamment sur ses alliés libanais, dont la famille Hariri en particulier - pour avoir monté et financé des groupuscules sunnites intégristes afin de faire face au chiisme de l'Iran et du Hezbollah, groupuscules qui, aujourd'hui, se retournent contre l'Arabie saoudite. Ces groupes fondamentalistes seraient ceux-là mêmes qui se battent aujourd'hui au Liban contre l'Armée libanaise, aidés par les Palestiniens des camps militaires dits de réfugiés, et dont la majorité des combattants seraient de nationalité saoudienne. C'est du moins ce que rapportent les journaux arabes dans la région.

Ainsi, face à une marée chiite qui déferle sur le Moyen-Orient, l'Arabie saoudite semble avoir mis le paquet pour former un axe sunnite dont les premiers affrontements se déroulent en Irak et au Liban. Or, soucieuse de préserver sa place sur l'échiquier régional, la Syrie des Assad s'allie à l'Iran pour s'opposer à trois politiques principales qui tentent de changer le visage du Moyen-Orient. La première est la démocratisation de la région telle que vue par l'administration Bush à travers l'élimination du parti Baas irakien et la mise en place d'une démocratie représentative. La seconde est celle de faire du Liban un exemple de cohabitation de différentes communautés aux intérêts souvent divergents, et ainsi, pousser à la naissance de nouvelles entités régionales politiques démocratiques qui remplaceraient les dictatures en place. Finalement, celle de se voir perdre le droit à une voix de choix sur l'échiquier des grands et de participer à la vision américaine sur l'avenir de la région.

Les trois axes de la politique syrienne

Pour ce qui est de la première, Damas a trouvé sa réponse et sa stratégie dans la mobilisation des intégristes et des terroristes, aussi bien chiites que sunnites, en les armant, les entraînant et en leur assurant un refuge et un point de départ pour commettre leurs crimes aussi bien contre les Libanais que contre les Casques bleus de la FINUL. Et lorsqu'ils ne prennent pas la direction de l'Irak pour se battre contre les marines, ils se replient dans les camps militaires palestiniens au Liban. Quant à la seconde, Assad tente de casser une fois pour toutes la notoriété saoudienne par rapport au Liban en brisant le consensus national, en poussant le Hezbollah à paralyser les institutions du pays et en créant le spectre d'une nouvelle guerre d'été à partir du Sud pour ruiner la saison touristique désespérément attendue par l'ensemble des Libanais. La dernière stratégie damascène viserait alors une alliance avec l'Iran puissant pour faire encore peur aux Arabes des pays du Golfe à travers des signaux qui rendent les pays de cette région nerveux, tel que ce fut le cas il y a quelques jours au Bahreïn à la suite des propos tenus par Téhéran, qui demandait le retour de la partie chiite du Bahreïn dans son giron...

Bref, Assad semble avoir lu dans le livre machiavélique de son père feu Hafez al-Assad tout en appliquant ses recettes avec cynisme et détermination, car il n'a plus rien à perdre, mais tout à gagner. La question principale serait alors de savoir si l'Occident tombera encore une fois dans le piège syrien au nom d'une realpolitik qui maintiendrait une certaine stabilité au détriment des libertés, aussi bien du Liban que des autres pays en quête d'un changement notable. La tentative de Paris de rassembler les différentes factions libanaises autour d'un consensus pourrait s'opposer à une partie des plans de Damas, mais c'est aux États-Unis que revient la charge de décider de l'avenir de ce régime de terreur... Or, le problème majeur de Washington, c'est le manque de solutions de rechange au régime actuel en Syrie. Car, entre une dictature d'une minorité alaouite coopérante et un régime d'une majorité sunnite islamiste des Frères musulmans, la logique américaine et celle de l'Occident semblent opter pour la première... Le comble, c'est qu'Assad le sait et en profite pour avancer ses cartes, qui ne tarderaient pas à devenir néfastes pour l'ensemble de la sécurité régionale, mais également internationale!

Alain-Michel Ayache : Spécialiste du Moyen-Orient, département de science politique, Université du Québec à Montréal

Tuesday, July 24, 2007

Le jeu syrien

Le Droit
Forum, mardi, 24 juillet 2007, p. 13

À vous la parole

Le jeu syrien
Alain-Michel Ayache

Il n'a pas fallu longtemps pour que le Secrétaire général de l'ONU se rende compte de la détermination du président syrien Bachar al-Assad à déstabiliser le Liban, voire toute la région, advenant la mise sur pied du tribunal international sur l'assassinat de l'ex-premier ministre libanais Rafic Hariri, tel que le stipule la résolution 1757 du Conseil de Sécurité des Nations unies.

S'il y a un sens à cette "fuite" parue dans le quotidien Le Monde, c'est celui du message que le régime de Damas tente de faire passer sur sa volonté d'être toujours considéré comme un joueur indispensable au Moyen-Orient version américaine. Depuis un certain temps, la Syrie multiplie les signes d'ouverture envers une éventuelle reprise des pourparlers de paix avec Israël versus une possibilité d'affrontement contre l'État hébreu. Des rumeurs courent dans les pays arabes selon quoi Damas aurait choisi de lancer "au mois de septembre" des attaques contre les positions israéliennes sur le Plateau du Golan, advenant le rejet d'Israël de se retirer de cette terre syrienne occupée en 1967.

Assad plus déterminé que jamais

Le fait que le régime Assad tente de diffuser de telles informations est en soi un signe que Damas ne lâche pas prise devant les pressions internationales et semble être prête à aller jusqu'au bout quitte à déstabiliser le Liban et aussi l'ensemble de la région. À regarder de plus près, on constate que la politique syrienne s'allie de plus en plus sur celle de l'Iran pour contrer une autre politique arabe, cette fois-ci saoudienne. Des observateurs occidentaux et arabes mettent le blâme sur le Royaume wahhabite et notamment sur ses alliés libanais, dont la famille Hariri en particulier, pour avoir monté et financé des groupuscules sunnites intégristes afin de faire face au chiisme de l'Iran et du Hezbollah et qui, aujourd'hui, se retournent contre l'Arabie saoudite. Ces groupes fondamentalistes seraient ceux-là mêmes qui se battent aujourd'hui au Liban contre l'Armée libanaise, aidés par les Palestiniens des camps militaires dits de réfugiés et dont la majorité des combattants seraient de nationalités saoudiennes. C'est du moins ce que rapportent les journaux arabes dans la région.

Face à une marée chiite qui déferle sur le Moyen-Orient, l'Arabie Saoudite semble avoir mis le paquet pour former un axe sunnite dont les premiers affrontements se déroulent en Irak et au Liban. Soucieuse de préserver sa place sur l'échiquier régional, la Syrie des Assad s'allie à l'Iran pour s'opposer du coup à trois politiques qui tentent de changer le visage du Moyen-Orient. La première étant la démocratisation de la région telle que vue par l'Administration Bush à travers l'élimination du parti Baath irakien et la mise en place d'une démocratie représentative. La seconde est celle de faire du Liban un exemple de cohabitation de différentes communautés aux intérêts souvent divergents et ainsi pousser à la naissance de nouvelles entités régionales politiques démocratiques qui remplaceraient les dictatures en place. Finalement, celle de se voir perdre le droit à une voix de choix sur l'échiquier des grands et participer à la vision américaine sur l'avenir de la région.

Les trois axes de la politique syrienne

Pour ce qui est de la première, Damas a trouvé sa réponse et sa stratégie dans la mobilisation des intégristes et des terroristes aussi bien chiites que sunnites, en les armant, les entraînant et en leur assurant un refuge et un point de départ pour commettre leurs crimes aussi bien contre les Libanais que contre les casques blues de la FINUL. Et lorsqu'ils ne prennent pas la direction de l'Irak pour se battre contre les Marines, ils se replient dans les camps militaires palestiniens au Liban. Quant à la seconde, Assad tente de casser une fois pour de bon la notoriété saoudienne sur le Liban en brisant le consensus national et en poussant le Hezbollah à paralyser les institutions du pays et en créant le spectre d'une nouvelle guerre d'été à partir du Sud pour ruiner la saison touristique désespérément attendue au Liban. La dernière stratégie viserait alors une alliance avec l'Iran pour faire encore peur aux Arabes des pays du Golfe à travers des signaux qui rendent les pays de cette région, nerveux, tel que fut le cas il y a quelques jours au Bahreïn suite aux propos tenus par Téhéran qui demandait le retour de la partie chiite du Bahreïn dans son giron...

Bref, Assad semble avoir lu dans le livre machiavélique de son père feu Hafez al-Assad, tout en appliquant ses recettes avec cynisme et détermination, car il n'a plus rien à perdre, mais tout à gagner. La question principale serait alors de savoir si l'Occident tombera encore une fois dans le piège syrien au nom d'une certaine Realpolitik qui maintiendrait une certaine stabilité au détriment des libertés aussi bien du Liban que des autres pays en quête d'un changement notable. La tentative de Paris de rassembler les différentes factions libanaises autour d'un consensus pourrait opposer une partie des plans de Damas, mais c'est aux États-Unis que revient la charge de décider de l'avenir de régime de terreur... Or, le problème majeur que Washington rencontre, c'est le manque d'alternative au régime actuel en Syrie. Car, entre une dictature d'une minorité alaouite coopérante et un régime d'une majorité sunnite islamiste des Frères musulmans, la logique américaine et celle de l'Occident semblent opter pour la première...

Alain-Michel Ayache, Spécialiste du Moyen-Orient

Département de Science politique, UQAM

Saturday, July 7, 2007

Le Hamas est mis à l'épreuve

Le Soleil
Opinions, samedi, 7 juillet 2007, p. 29

Analyse

Le Hamas est mis à l'épreuve

Ayache, Alain-Michel

Maintenant que le Hamas contrôle l'ensemble de la bande de Gaza et forme, selon lui, le gouvernement officiel de ce territoire, plusieurs questions viennent à l'esprit : réussira-t-il là où le Fatah d'Arafat - dont Abbas a hérité - a échoué : enrayer la corruption au profit d'une amélioration des conditions de vie des Palestiniens ? Gérera-t-il la sécurité intérieure de Gaza d'une manière démocratique ou instaurera-t-il la Charia? Quid de sa tolérance d'autres groupes armés islamistes jadis ses alliés contre le Fatah, mais surtout contre Israël ?

A priori, tout observateur sage répondra que la région tend à se radicaliser, d'Iran jusqu'à Gaza, en passant par les camps militaires palestiniens au Liban.

Enrayer la corruption

S'attaquer à la corruption exigera la mise en place d'une bureaucratie responsable et efficace qui répondra à un pouvoir administratif, lui-même assujetti aussi bien au législatif, à l'exécutif et au judiciaire. Si le Hamas décidait d'instaurer une bureaucratie selon la méritocratie, il tomberait dans le piège du Fatah, celui de demander aux "proches" d'assumer les fonctions les plus importantes au sein de l'administration - quitte à ce que ces derniers soient moins qualifiés - tant et aussi longtemps qu'ils réussissent à sauvegarder les assises du gouvernement du Hamas devant d'autres groupes armés plus islamisés que lui. Ceux-là mêmes qui étaient responsables du rapt du journaliste britannique de la BBC et qui représentent à moyen terme un danger imminent à la survie du pouvoir unique dans Gaza, à moins que l'histoire ne prouve plus tard qu'ils n'étaient que des pions aux mains du Hamas pour peaufiner son image de marque sur la scène internationale !

La Charia

Si, par contre, le Hamas instaure la Charia comme loi officielle gérant la vie des Palestiniens de Gaza, cette dernière sera à l'image de l'Afghanistan sous les talibans. Le résultat ne peut que mener les Palestiniens vers un exode en Cisjordanie, en Égypte ou ailleurs, laissant Gaza aux plus radicaux, la tolérance envers les chrétiens et les non-musulmans étant réduite à zéro. Or, cela est déjà très visible.

Quelques jours à peine après la prise de la bande de Gaza par les troupes du Hamas, des magasins de vidéo, d'instruments de musique occidentaux et des boutiques ont été saccagés et brûlés. Les produits vendus avaient été jugés par le Hamas comme contraire aux lois de l'islam. Quant à l'exode vers la Cisjordanie, tout porte à croire qu'il a commencé, du moins pour ceux qui détenaient une nationalité occidentale !

La sécurité interne

Le troisième problème du Hamas, c'est le contrôle total de la sécurité des citoyens de Gaza. En effet, si le gouvernement Hamas veut prouver au monde qu'il est le seul maître à bord (en vue éventuellement de mener des négociations avec Israël ou par l'intermédiaire d'une tierce partie), il devra être le seul responsable de la gestion interne et sécuritaire de la bande. En ce sens, la libération inattendue du journaliste britannique de la BBC laisse penser que le Hamas s'est rendu maître du terrain.

Des thèses circulent dans les milieux arabes selon lesquelles la Syrie aurait orchestré (à travers Khaled Mechaal, le grand patron du Hamas réfugié à Damas), une sorte d'entrée honorable du Hamas sur la scène internationale. Ainsi, "l'Armée de l'Islam" ne serait qu'un leurre pour montrer qu'il contrôle bien Gaza. Ce faisant, le Hamas ferait un bras d'honneur au Fatah de Mahmoud Abbas, accusé de laxisme et de faiblesse devant les nombreux autres groupes armés, lesquels jouissaient d'une grande liberté d'action sur l'ensemble des territoires palestiniens sous sa juridiction.

Ainsi, les Palestiniens de Gaza sont devenus prisonniers d'un système fermé de propagande haineuse contre l'Occident et ses alliés, lesquels sont d'autres Palestiniens, dont Abbas ! Pis encore, ils sont devenus otages d'une radicalisation tous azimuts dans la région où la division entre intégristes et modérés s'agrandit de plus en plus au profit des premiers... Une division qui emportera sans doute dans son sillage, dans les semaines à venir, la stabilité interne des camps militaires palestiniens au Liban, camps dits de "réfugiés"!

Alain-Michel Ayache, spécialiste du Proche-Orient, département de science politique, UQAM


Thursday, January 25, 2007

Risque d'une nouvelle guerre civile au Liban

Le Soleil
Opinions, jeudi, 25 janvier 2007, p. 25

Analyse

Risques d'une nouvelle guerre civile au Liban

Alain-Michel Ayache

Comme si les malheurs de ce petit pays ne suffisaient pas, le voilà encore une fois pris par la tourmente interne qui risque de le conduire vers l'abysse de la guerre fratricide...

En effet, le Liban a été complètement paralysé, mardi, par les supporters du Hezbollah et leurs alliés du parti chiite Amal, auxquels s'était jointe une petite fraction des chrétiens libanais prosyriens. Le but officiel, selon le Hezbollah : faire pression sur le gouvernement libanais pour qu'il démissionne et tienne de nouvelles élections.

Pour cela, les chiites avec une minorité de chrétiens prosyriens étaient censés manifester dans les rues après avoir demandé à la population de boycotter leurs travaux en signe d'appui à la grève. Or, la majorité des Libanais n'a pas voulu répondre à cet appel et voilà que les manifestations tournent au chaos et à la destruction des biens et à l'intimidation. Des heurts éclatent entre manifestants et contre-manifestants sous les regards impuissants de l'armée libanaise et des services de sécurité, débordés. Le bilan est lourd : trois morts et plus de 133 blessés, surtout des opposants au Hezbollah.

Comme en 1975

Cela n'est pas sans rappeler les affrontements entre chrétiens et Palestiniens qui ont précédé la guerre "civile" de 1975. Tous les ingrédients de l'époque s'y retrouvent sauf pour les principaux acteurs du conflit. Cette fois-ci, le bras de fer est avant tout entre chiites et sunnites pour le contrôle du Liban. Les chrétiens ne sont que des figurants ou des instruments dans ce nouveau schéma machiavélique que Damas semble mettre en place.

D'ailleurs, les factions chrétiennes qui se sont alliées aux chiites, mardi, appartiennent toutes au groupe qualifié de "prosyriens". Cela comprend les supporters de l'ex-commandant en chef de l'armée, Michel Aoun, aujourd'hui député de l'opposition.

À cette opposition prosyrienne, s'ajoute le Hezbollah avec son agenda iranien, notamment depuis la défaite subie face à l'armée israélienne l'été dernier. Pour étouffer des promesses non tenues quant au dédommagement des sudistes (pour les pertes subies l'été passé), incapable de payer tout le monde, le Hezbollah essaye de faire tourner les regards vers le gouvernement de Siniora pro-américain, considéré comme source de tous les maux... Or, ce qui ressemble à un conflit socioéconomique entre chiites et sunnites n'est en fait qu'un bras de fer pour le contrôle des institutions du pays, par la force s'il le faut. C'est pourquoi les heurts de mardi ont plus que jamais dressé des communautés les unes contre les autres, prêtes à s'entretuer.

L'influence de l'Iran

Que ce soit Téhéran ou Damas, les deux capitales ont intérêt à ce que le Liban ne retrouve pas sa stabilité. Téhéran veut consolider une tête de point de choix au Liban à travers le Hezbollah au sud. Cela lui permettra, en cas d'attaque d'Israël sur ses installations nucléaires, de répondre par des missiles à moyenne et à longue portées à partir des positions rapprochées du Hezbollah au sud.

À cela s'ajouteraient les opérations militaires suicidaires que le Hezbollah lancerait contre Israël, étant passé maître dans les tactiques de guérilla. La force multinationale ne cesse de rapporter des "malentendus" avec des éléments du Hezbollah qui tentent de rentrer dans les villages situés à 30 km de la frontière israélienne, ce que leur est interdit l'entente signée avec l'ONU. On prétend que des éléments du Hezbollah sont déjà retournés dans cette zone et ont commencé à rebâtir des fortifications.

Le jeu de la Syrie

D'autre part, Damas veut rendre la pareille au camp Hariri auquel appartient l'actuel premier ministre libanais Fouad Siniora. Damas menacerait alors directement la stabilité du pays, question de prouver que sans ses troupes d'occupation, le Liban plongerait dans le chaos. En fait, Damas chercherait un rôle accru dans la région, surtout depuis l'exécution de Saddam Hussein. Il tente aussi d'étouffer toute demande du Liban pour mettre en place du tribunal international sur l'assassinat de l'ex-premier ministre libanais Rafic Hariri, ce qui ne manquerait pas d'impliquer le chef de l'État syrien et d'autres hauts responsables.

Ainsi, le Liban replonge dans l'abysse de la guerre fratricide qui, si poussée encore une peu plus loin, verrait le sang couler à flot, entre chiites et sunnites surtout. Les factions chrétiennes ne tarderaient pas à suivre... malheureusement !

Alain-Michel Ayache, spécialiste du Proche et du Moyen Orient*

*L'auteur appartient au département de science politique de l'UQUAM