Saturday, July 7, 2007

Le Hamas est mis à l'épreuve

Le Soleil
Opinions, samedi, 7 juillet 2007, p. 29

Analyse

Le Hamas est mis à l'épreuve

Ayache, Alain-Michel

Maintenant que le Hamas contrôle l'ensemble de la bande de Gaza et forme, selon lui, le gouvernement officiel de ce territoire, plusieurs questions viennent à l'esprit : réussira-t-il là où le Fatah d'Arafat - dont Abbas a hérité - a échoué : enrayer la corruption au profit d'une amélioration des conditions de vie des Palestiniens ? Gérera-t-il la sécurité intérieure de Gaza d'une manière démocratique ou instaurera-t-il la Charia? Quid de sa tolérance d'autres groupes armés islamistes jadis ses alliés contre le Fatah, mais surtout contre Israël ?

A priori, tout observateur sage répondra que la région tend à se radicaliser, d'Iran jusqu'à Gaza, en passant par les camps militaires palestiniens au Liban.

Enrayer la corruption

S'attaquer à la corruption exigera la mise en place d'une bureaucratie responsable et efficace qui répondra à un pouvoir administratif, lui-même assujetti aussi bien au législatif, à l'exécutif et au judiciaire. Si le Hamas décidait d'instaurer une bureaucratie selon la méritocratie, il tomberait dans le piège du Fatah, celui de demander aux "proches" d'assumer les fonctions les plus importantes au sein de l'administration - quitte à ce que ces derniers soient moins qualifiés - tant et aussi longtemps qu'ils réussissent à sauvegarder les assises du gouvernement du Hamas devant d'autres groupes armés plus islamisés que lui. Ceux-là mêmes qui étaient responsables du rapt du journaliste britannique de la BBC et qui représentent à moyen terme un danger imminent à la survie du pouvoir unique dans Gaza, à moins que l'histoire ne prouve plus tard qu'ils n'étaient que des pions aux mains du Hamas pour peaufiner son image de marque sur la scène internationale !

La Charia

Si, par contre, le Hamas instaure la Charia comme loi officielle gérant la vie des Palestiniens de Gaza, cette dernière sera à l'image de l'Afghanistan sous les talibans. Le résultat ne peut que mener les Palestiniens vers un exode en Cisjordanie, en Égypte ou ailleurs, laissant Gaza aux plus radicaux, la tolérance envers les chrétiens et les non-musulmans étant réduite à zéro. Or, cela est déjà très visible.

Quelques jours à peine après la prise de la bande de Gaza par les troupes du Hamas, des magasins de vidéo, d'instruments de musique occidentaux et des boutiques ont été saccagés et brûlés. Les produits vendus avaient été jugés par le Hamas comme contraire aux lois de l'islam. Quant à l'exode vers la Cisjordanie, tout porte à croire qu'il a commencé, du moins pour ceux qui détenaient une nationalité occidentale !

La sécurité interne

Le troisième problème du Hamas, c'est le contrôle total de la sécurité des citoyens de Gaza. En effet, si le gouvernement Hamas veut prouver au monde qu'il est le seul maître à bord (en vue éventuellement de mener des négociations avec Israël ou par l'intermédiaire d'une tierce partie), il devra être le seul responsable de la gestion interne et sécuritaire de la bande. En ce sens, la libération inattendue du journaliste britannique de la BBC laisse penser que le Hamas s'est rendu maître du terrain.

Des thèses circulent dans les milieux arabes selon lesquelles la Syrie aurait orchestré (à travers Khaled Mechaal, le grand patron du Hamas réfugié à Damas), une sorte d'entrée honorable du Hamas sur la scène internationale. Ainsi, "l'Armée de l'Islam" ne serait qu'un leurre pour montrer qu'il contrôle bien Gaza. Ce faisant, le Hamas ferait un bras d'honneur au Fatah de Mahmoud Abbas, accusé de laxisme et de faiblesse devant les nombreux autres groupes armés, lesquels jouissaient d'une grande liberté d'action sur l'ensemble des territoires palestiniens sous sa juridiction.

Ainsi, les Palestiniens de Gaza sont devenus prisonniers d'un système fermé de propagande haineuse contre l'Occident et ses alliés, lesquels sont d'autres Palestiniens, dont Abbas ! Pis encore, ils sont devenus otages d'une radicalisation tous azimuts dans la région où la division entre intégristes et modérés s'agrandit de plus en plus au profit des premiers... Une division qui emportera sans doute dans son sillage, dans les semaines à venir, la stabilité interne des camps militaires palestiniens au Liban, camps dits de "réfugiés"!

Alain-Michel Ayache, spécialiste du Proche-Orient, département de science politique, UQAM


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