Saturday, July 15, 2006

Un point de non-retour au Liban

Le Soleil
Opinions, samedi, 15 juillet 2006, p. 39

Analyse

Un point de non-retour au Liban

Ayache, Alain-Michel

Considéré comme un mouvement terroriste par les États-Unis, le Canada, Israël et certains pays européens, le Hezbollah vient de faire plonger tout le Liban au grand dam du gouvernement libanais dans une guerre perdue d'avance, poussant du même coup Israël vers un point de non-retour car il s'agit maintenant de sa survie.

Le Hezbollah

Armé et financé par l'Iran, avec l'appui de la Syrie, ce mouvement chiite libanais a lancé il y a quelques jours un assaut par delà la ligne bleue imposée par les Nations unies, laquelle sépare la frontière nord d'Israël du Sud Liban. Cette opération commando est sans précédent. Elle s'est soldée par la mort de huit soldats israéliens et deux autres sont détenus en otages.

Or, cette attaque a surpris aussi bien le monde entier que le gouvernement libanais, lequel n'était pas au courant des préparatifs de cet assaut contre Israël. D'ailleurs, depuis le vote de la résolution 1559 du Conseil de sécurité de l'ONU, en 2004, ce gouvernement tente de désarmer le Hezbollah, mais sans réussir. Ce mouvement prétend que son action de "résistance" sera légitime tant qu'Israël occupera les fermes de Shebaa, pourtant syriennes selon les Nations unies. Toutefois, sa dernière attaque contre Tsahal s'inscrirait, selon son secrétaire général, Sayyed Hassan Nasrallah, comme la seule solution pour récupérer les prisonniers arabes, mais principalement les trois Libanais chiites capturés par Israël lors de l'Opération Paix en Galilée lancée contre les Palestiniens au Liban en 1982.

Ses visées

Tout porte à croire que la stratégie du Hezbollah est double. La première est d'ordre local, où le "Parti de Dieu" tente de démontrer au gouvernement libanais qu'il est le plus fort au Liban et qu'ainsi, il n'y a aucune chance pour que ce gouvernement réussisse à remplir les conditions imposées par la résolution 1559 du Conseil de sécurité, c'est-à-dire le désarmement du Hezbollah et le déploiement de l'armée légale libanaise sur toute la région sous le contrôle actuel de ce mouvement chiite.

C'est ce qui expliquerait la réaction de colère du cabinet libanais. Celui-ci accuse Israël de faire porter l'odieux de l'attaque au Liban en entier au lieu du Hezbollah.

Ironiquement, cela signifie aussi que l'État libanais, prisonnier de sa faiblesse institutionnelle et politique (compte tenu du poids du Hezbollah aussi bien au Parlement qu'au Cabinet), verrait d'un bon oeil l'attaque israélienne contre le mouvement car cela pourrait l'affaiblir et l'aider à le désarmer pour reprendre le contrôle du Sud.

Par contre, il voit d'un mauvais oeil la destruction de l'infrastructure du Liban car le pays s'est largement endetté pour sa reconstruction en 1990. De plus, le blocus total du pays n'est pas pour déplaire à la Syrie, laquelle détient la seule frontière terrestre avec le Liban - à part Israël. Ce qui mine les assises du gouvernement Siniora.

Quant à l'autre message du Hezbollah, il est adressé au Hamas, qui, il y a quelques jours, semblait prêt à livrer le soldat Shalit à Israël. En effet, si les populations arabes, plus particulièrement celle des territoires palestiniens, ont eu le moral rehaussé par le retrait israélien du Liban en mai 2000, cette dernière opération du Hezbollah leur a donné l'oxygène nécessaire pour continuer leurs actions contre l'État hébreu.

Point de non-retour

Cette escalade de la violence constitue pour le premier ministre d'Israël, Ehoud Olmert, son premier test devant une crise majeure internationale.

Pour lui, il est hors de question qu'Israël recule devant le Hezbollah et pour cause : le retrait de mai 2000, perçu par le monde musulman et arabe comme une victoire incontestée du Hezbollah, est considéré par Israël comme un retrait politique à la suite des promesses électorales d'Ehoud Barak.

Or, le rapt du soldat Shalit par des membres du Hamas, copiant les tactiques de guérilla anti-israélienne développées par le mouvement chiite (suivi par sa récente opération), constitue une ligne rouge à réinstaurer à tout prix.

À défaut, c'est la survie d'Israël qui serait en jeu. En effet, Tel-Aviv ne peut se permettre de baisser les bras devant de telles actions ni accepter de se livrer à des négociations, car cela constituerait un appel à tous les mouvements terroristes d'attaquer Israël, de kidnapper ses citoyens partout dans le monde afin d'en faire une monnaie d'échange.

D'où la détermination israélienne de mettre un terme à la forte image médiatique du Hezbollah dans l'imaginaire arabe et musulman. Cela pourrait même aller jusqu'à l'assassinat ciblé du secrétaire général du Hezbollah, Sayyed Hassan Nasrallah.

Alain-Michel Ayache, chercheur associé à la chaire Raoul-Dandurand de l'UQAM