Opinions, vendredi, 21 septembre 2007, p. 23
Analyse
Spécialiste* du Proche-Orient
Dans quelques jours, les regards des Libanais se dirigeront vers leurs députés. Ils se réuniront pour tenter d'élire le nouveau président de la République. Or, les chances d'en arriver à un consensus semblent quasi inexistantes entre l'opposition prosyrienne et la majorité pro-occidentale. L'attentat qui vient tout juste de coûter la vie au député chrétien Antoine Ghanem ne fait que jeter encore plus de l'huile sur le feu !
Par ailleurs, les partis de l'opposition officielle, le Hezbollah, le parti chiite Amal du président de la chambre Nabih Berri et leur allié chrétien, Michel Aoun du Courant patriotique libre, font pression sur le premier ministre de confession sunnite, Fouad Saniora et tous les autres ministres - aussi bien druzes que chrétiens qui lui sont fidèles - pour forcer l'actuel gouvernement à démissionner. Ils allèguent qu'il a perdu la confiance d'un grand nombre de Libanais depuis que les ministres chiites se sont retirés du Cabinet, il y a quelques mois, en désaccord avec la politique de Saniora.
Les arguments de l'opposition
Pour le Hezbollah, un tel gouvernement ne pourra défendre les intérêts de tous les Libanais. Il devrait donc être dissout et se voir remplacer par un autre - dit d'union nationale - qui représenterait toutes les tendances politiques au pays et surtout chiites. Pour Michel Aoun, un ennemi juré de la Syrie considéré actuellement comme son allié stratégique, la présidence de la République est le siège le plus représentatif pour les Chrétiens libanais, notamment pour les maronites. L'affaiblir, (comme cherche à le faire le premier ministre sunnite Saniora), reviendrait à octroyer à la présidence une valeur symbolique (comme la reine en Angleterre), ce qui est rejeté d'office ! Ce qui amène Aoun à apporter un soutien inconditionnel à la présidence et, par conséquent, à Émile Lahoud, l'allié inconditionnel de Damas.
Un veto sur un candidat issu de l'Armée
Or, à défaut de trouver un candidat de consensus, (le président de la République doit être de confession chrétienne maronite) certains avancent le nom du commandant en chef de l'armée, le général Michel Sleiman, ou celui du gouverneur de la Banque du Liban, l'économiste chevronné Riad Salamé. Toutefois, ni le premier ni le second ne peuvent prétendre à la présidence selon la Constitution. Accepter leur candidature nécessiterait un amendement constitutionnel, ce que Aoun et le Hezbollah refusent, car ce serait créer un précédent pour "nommer" un président à la solde du premier ministre ou autre !
Même si les Libanais ont soutenu leur armée contre les terroristes de Fatah al-Islam dans le camp palestinien du Nord, ils demeurent néanmoins méfiants quant à voir un autre membre des forces armées à la tête du pays (Émile Lahoud était l'ancien commandant en chef de l'armée). Ce sont justement les craintes du chef druze Walid Joumblatt qu'un officier-président ne transforme le pays en une dictature militaire... bien que cela soit inconcevable au Liban !
Le véritable enjeu !
La problématique est très compliquée, car l'Iran et l'Arabie Saoudite se livrent une guerre sans merci pour le contrôle du Liban derrière ce bras de fer entre le Hezbollah et le gouvernement libanais. La Syrie étant un passage obligé dans la région et stratégiquement bien placée pour faciliter le transit d'armes et de munitions au Hezbollah, il est alors normal que Téhéran la garde comme alliée temporaire pour avancer ses pions sur l'échiquier libanais, voire régional. On prétend que la dernière attaque de l'aviation israélienne, en Syrie même, aurait détruit des rampes de missiles balistiques que Damas montait avec l'aide de l'Iran et de la Corée du Nord (et de Moscou même, selon des analystes, afin de mettre un terme à l'hégémonie américaine dans la région).
Quoi qu'il en soit, les prochains jours seront cruciaux pour les Libanais. Tout porte à croire que le Pays du Cèdre se dirigera droit vers la confrontation interne s'il ne réussit pas à trouver un terrain d'entente et un candidat présidentiel acceptable. Le scénario de 1989 pourrait alors se reproduire avec deux gouvernements, l'un sunnite, l'autre chiite, ce qui aboutirait à court terme à la dislocation du Liban et à la naissance d'une entité chiite, à l'instar de Gaza, du sud-ouest au sud-est du Liban, se positionnant sur la frontière nord d'Israël.
*Département de Science politique de l'UQAM
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