Forum, vendredi, 28 septembre 2007, p. 17
Alain-Michel Ayache
Il fallait s'y attendre ! Les élections présidentielles du Liban viennent d'être ajournées au 23 octobre, les députés de l'Opposition ne s'étant pas présentés lundi.
Seuls les 68 députés de la majorité s'étaient retrouvés au Parlement sans pour autant que le président de la Chambre, Nabih Berri, patron de la milice chiite Amal et proche du Hezbollah n'ait officiellement ouvert la séance. Or, selon la Constitution du Liban, deux tiers du quorum doit être présent afin que les élections puissent avoir lieu. À défaut, la première séance est ajournée et les députés ont presque un mois tout au plus pour se réunir en seconde assemblée. Toutefois, lors de cette seconde séance, seule 50 %+1 votes des députés sont requis sur les 128 actuels pour élire le prochain président du Liban.
Le blocage des élections par l'Opposition pourrait mener à la naissance de deux gouvernements, l'un chiite et l'autre sunnite.
Dans le premier cas, le Hezbollah sera le gagnant car il constitue déjà un État au vrai sens du terme à l'intérieur du Liban. Un gouvernement issu de sa communauté, par opposition à un autre représentant la majorité et notamment le pouvoir sunnite au Liban, signifierait que le "Hezbollah-land" sera officiellement créé. Ses frontières couvriraient l'ensemble du Sud Liban, se positionnant ainsi sur la frontière nord d'Israël. D'ailleurs, ce qui rend ce scénario plausible, ce sont les achats de terrains voire de villages entiers par le Hezbollah avec de l'argent iranien. De quoi "encourager" aussi bien les Chrétiens et les Druzes à vendre et émigrer vers d'autres pays ou régions ! Une telle hypothèse signifiera également que le reste du Liban non-chiite sera en crise et des mini-États confessionnels pourraient voir le jour où le pouvoir central se verra réduit et limité uniquement aux bâtiments de ses institutions... et encore ! Ainsi, et dans l'optique d'éviter une telle crise, Washington et Paris essayent maintenant de pousser le président de la Chambre, le Chiite Berri, de reprendre son "initiative" de rapprochement entre opposition et majorité afin de colmater la brèche créée depuis quelques mois et qui continue de s'agrandir surtout suite aux nombreux attentats dont celui de mercredi dernier.
Le bras de fer
À défaut d'un succès dans sa démarche, le Liban se dirige tout droit vers un simulacre de guerre civile à l'instar de celle de l'Irak qui risquerait fort d'enflammer toute la région. Car derrière la crise constitutionnelle libanaise, se cache un bras de fer sans précédent entre l'Iran chiite et l'Arabie saoudite sunnite pour le contrôle du monde arabe après la chute de Saddam.
Quant à la Syrie, elle se retrouve coincée entre deux choix cruciaux : maintenir son adhésion au monde arabe et se trouver prisonnière de l'humeur saoudienne et de son portefeuille, quitte à ce que le régime Assad paye finalement le prix de l'assassinat de l'ex-premier ministre libanais Rafic Hariri, pour survivre face à la montée jusque-là contrôlée du radicalisme sunnite en Syrie des Frères Musulmans ; ou, s'allier à Téhéran pour devenir en quelque sorte son bras droit dans le but de mener une contre-offensive politico-militaire stratégique face à Washington dans cette région du monde. Le problème dans les deux cas, c'est que Damas commence à se trouver dans les chaussures d'un joueur de seconde catégorie alors qu'Assad espérait la maintenir comme joueur essentiel sur l'échiquier proche-oriental. Les attentats seraient alors une façon damascène ou "assadienne" de dire que "J'y suis, j'y reste !"
D'ailleurs, selon certains analystes, l'absence des députés libanais de l'Opposition le 25 septembre du Parlement, mais surtout le refus du président de la Chambre d'ouvrir officiellement la séance, constitue une tactique stratégique pour Damas pour bénéficier de plus de temps pour mettre au point son plan machiavélique. D'une part, le Hezbollah pourra marchander encore plus son adhésion au processus démocratique si le président est "choisi" par consensus. De l'autre, et dans le cas de refus, la série des attentats continuera et ciblera les députés restants de la majorité afin que leur nombre soit inférieur à la moitié du nombre total des députés libanais afin de garantir un triomphe prosyrien lors des prochaines élections le 23 octobre. Ainsi, sur les 128, le nombre idéal pour Damas sera d'en garder en vie 63, soit 50 % - 1 !
En d'autres termes, encore cinq députés de plus et les élections garantiront le succès de la machine damascène au... Liban !
Alain-Michel Ayache,
Université du Québec à Montréal
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