IDÉES, vendredi, 10 août 2007, p. a9
Damas 1, Washington 0
Alain-Michel Ayache
On s'y attendait. La victoire du candidat du général Michel Aoun sur son concurrent, l'ex-président de la République libanaise, Amine Gémayel, était prévisible. Ce qui ne l'était pas, c'est la différence de voix qui a mené le premier à la victoire.
En effet, les 418 votes qui séparent le gagnant du perdant sont indicatifs à plus d'un égard, le premier étant encore une fois la preuve que le général Aoun a des appuis dans la région majoritairement chrétienne. Par ailleurs, c'est également la preuve qu'il a perdu beaucoup des siens lors de ces élections partielles. Des 70 % de voix chrétiennes et notamment maronites qu'il avait récoltées lors des dernières élections législatives, il ne lui reste plus qu'un pourcentage minime!
Cette perte de popularité dans le camp chrétien trouve son origine dans l'alliance du général avec le Hezbollah et la Syrie alors que, durant ses 15 ans d'exil en France, il représentait, notamment pour les chrétiens maronites, le fer de lance du nationalisme libanais et de l'antisyrianisme primaire. Or, depuis qu'il a retrouvé le chemin de Beyrouth, au nom d'une «union nationale», il multiplie les erreurs politiques en misant sur les mauvais joueurs.
Ennemi d'hier, allié d'aujourd'hui
Ses détracteurs, dont la majorité gouvernante, lui reprochent son alignement sur la politique syrienne contre les intérêts premiers du Liban. Lui défend la position de la présidence de la République, qu'il cherche à occuper au prétexte de consolider son pouvoir face à un sunnisme fort centralisateur de la décision exécutive de l'État. Il accuse ce gouvernement d'être une copie conforme de celui sous l'occupation syrienne, car la majorité des ministres en question y siégeaient à cette époque. Or, si cette «sauvegarde» de la position présidentielle est jugée importante par l'Église libanaise, il n'en demeure pas moins que le général est aujourd'hui plus que jamais perçu comme la mauvaise personne aux yeux des chrétiens et du clergé pour l'occuper. D'ailleurs, le patriarcat maronite a cherché à plusieurs fois à colmater la brèche entre le général et l'ex-président Gémayel, mais il a lamentablement échoué à cause de l'entêtement et de la personnalité du premier, voire de son mépris pour la famille Gémayel. Cela s'est traduit à plus d'une reprise par des déclarations télévisées du général, dont le degré de respect à l'endroit des Gémayel se rapprochait davantage de celui d'un agent des moukhabarats syriens que d'un général de l'establishment militaire, pis, d'une personne aspirant à la magistrature suprême du pays!
Un ras-le-bol chrétien
À examiner cela de près, on s'aperçoit que les voix qui ont mené le candidat du général au succès sont principalement celles du camp arménien, bien qu'en partie seulement, et du parti social-progressiste national, très proche de Damas, en plus des votes des «naturalisés» venus spécialement en autocar de Damas pour remplir leur devoir civique. Bien entendu, une partie des chrétiens de la région a voté pour le candidat aouniste. Ce sont les fidèles de l'ex-ministre de l'Intérieur, vice-premier ministre du temps des Syriens au Liban, Michel el-Murr, dont, ironiquement, le fils est l'actuel ministre de la Défense et a déjà été l'objet d'une tentative d'assassinat par les mêmes personnes qui ont tué l'ex-premier ministre Rafic Hariri.
La réplique de Washington
Pour les observateurs et les analystes de la scène politique libanaise, le succès du courant patriotique du général Aoun à ces élections partielles démontre la capacité de celui-ci à gêner un gouvernement qu'il juge inconstitutionnel et non représentatif de la volonté des Libanais. En réalité, ces résultats ne sont qu'une avant-première du combat électoral que les chrétiens, notamment, auront à mener pour la présidence de la République. La candidature de Michel Aoun, bien qu'annoncée, ne recevra sans doute aucun appui de la population chrétienne qu'il clame représenter. D'où le grave problème pour les maronites de trouver une solution de rechange ayant l'aval de tous. D'ores et déjà, les analystes américains pensent que la présidence de la République constituera le prochain bras de fer non négligeable entre l'administration américaine et Damas. Or Washington semble prendre les devants après cette «victoire» d'Aoun sur le gouvernement Siniora en bloquant et en saisissant tous les comptes de citoyens américains et d'entreprises américaines connues pour appuyer financièrement le général.
Ainsi, dans l'attente de la prochaine élection présidentielle, qui devrait avoir lieu fin septembre, les deux camps semblent se préparer pour un automne des plus chauds au Liban. D'aucuns parlent même d'affrontement armé avec toutes les armes qui continuent de transiter de Damas vers ses alliés libanais...
Alain-Michel Ayache : Spécialiste du Proche-Orient au département de science politique de l'Université du Québec à Montréal
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