Sunday, July 20, 2008

Le "souhait" syrien à prendre avec des pincettes!

Le Droit
Actualités, samedi, 19 juillet 2008, p. 25

Le "souhait" syrien
à prendre avec des pincettes !

Pour un novice en relations internationales, le "souhait" du Président syrien, Bachar al-Assad, exprimé cette semaine à Paris, de voir "la France et les États-Unis intercéder" auprès d'Israël pour la reprise officielle des pourparlers de paix entre Damas et Tel-Aviv, paraîtrait comme un "assagissement" et une nouvelle page dans l'histoire du Proche-Orient ! Or, à bien analyser les donnes de la région, un "initié" aux tactiques "assadiennes" laissées en héritage par feu Hafez al-Assad, alias "le Bismarck du Moyen-Orient", à son fils Bachar, démontrent le machiavélisme d'un chef d'État qui tente le tout pour le tout au moment où l'Occident pointe du doigt l'autre "danger", l'Iran.

En effet, cette demande est loin d'être innocente. L'expliquer revient avant tout à démontrer la volonté de Damas de mettre fin au boycott occidental qui la touche dans la région, pour regagner sa place à la table des négociations ; cette place que Damas a perdue avec l'assassinat de l'ex-premier ministre du Liban, Rafic Hariri, en 2005 ainsi que les multiples assassinats politiques dont sont responsables selon toute vraisemblance ses services secrets et plus particulièrement Assef Chaoukat, le beau-frère du Président syrien. Ce faisant, Assad éloigne du coup le spectre du tribunal international qui pointe à l'horizon et cherche à faire la lumière sur ces assassinats.

Mensonge

Or, encouragé par les derniers succès politiques du Hezbollah tant au Liban que face à Israël - notamment dans le dossier de l'échange des prisonniers libanais contre les corps des soldats de Tsahal, kidnappés et tués par la milice pro-iranienne - le président syrien tente de se faire entendre en multipliant les signes de "bonne volonté". Toutefois, s'il est vrai que le Hezbollah contrôle maintenant le Liban face aux pro-occidentaux, il n'en demeure pas moins que c'est davantage l'Iran qui détient jusqu'aujourd'hui la principale clef dès lors qu'il s'agit de convaincre le Hezbollah de faire preuve de retenue ou non. Consciente de cette réalité telle que perçue par l'Occident, Damas, tente coûte que coûte de la changer, en démontrant qu'il ne faut point la considérer comme n'étant qu'un simple passage pour les armes et munitions qui transitent de l'Iran vers le "Parti de dieu".

Cette tentative de changement de "l'image de marque" de Damas explique, selon certains observateurs arabes l'assassinat du responsable militaire du Hezbollah, Imad Moghnieh, à qui on attribue des multiples assassinats et attentats anti-américains et anti-israéliens et qui était qualifié de terroriste le plus recherché par les États-Unis. Or, son assassinat à Damas, ne pouvait être, selon ces mêmes observateurs arabes, que le travail des mêmes services secrets syriens responsables de la série d'assassinats de politiciens et journalistes libanais anti-syriens. D'autres iront jusqu'à dire que pour ce dossier en particulier et pour rapprocher le point de vue syrien de celui des Américains, les services secrets jordaniens s'étaient alliés à cette partie "de chasse au terroriste"... à Damas !

Aujourd'hui, s'il est question de pourparlers secrets entre Damas et Tel-Aviv, Israël ne semble pas prêt à sacrifier sa sécurité et remettre le Golan aux Syriens pour une paix illusoire et d'autant plus fragile, tant et aussi longtemps que Damas ne ferme pas les bureaux de Hamas à Damas et chasse du pays Khaled Mechaal, le leader palestinien de Hamas responsable des actions terroristes contre Israël. De même, tant et aussi longtemps que le Hezbollah est aidé par Damas et ses cadres et ses armements transitant via la Syrie, le Nord d'Israël demeurera sous la menace du Hezbollah et de l'Iran.

Mais alors de quelle paix parle le Président syrien ? Le "souhait" syrien paraît alors un leurre pour acheter du temps tout en misant sur le changement dans la politique américaine à venir avec le nouveau président. Pis, Damas mise sur l'arrivée de Barak Obama au pouvoir, d'autant plus que durant les primaires, le candidat démocrate avait lancé des signes interprétés par Damas comme lui étant favorables, brisant du coup un boycott de l'actuelle administration américaine et ouvrant de nouvelles possibilités au Président syrien.

Ainsi, Damas tentera d'augmenter ses chances en présentant un nouveau visage, celui d'un État voulant enterrer la haine et le passé douloureux. Cette nouvelle page aurait commencé avec l'acceptation récente d'établir des représentations diplomatiques entre la Syrie et le Liban, ce qui est en quelque sorte une reconnaissance de la pleine souveraineté du Liban, chose que Damas n'avait jamais accepté de faire depuis son indépendance totale de la France en 1946. Or, l'établissement des représentations diplomatiques ne peut en aucun cas à lui seul être suffisant pour faire confiance à l'actuel régime syrien. À cela s'ajoute l'alliance entre Téhéran et Damas qui rend les choses encore plus compliquées non seulement pour Israël mais surtout pour l'Occident en général et les États-Unis en particulier. En effet, dans un scénario de guerre contre l'Iran, quel serait le rôle de Damas, sachant que les armes qui parviennent au quotidien au Hezbollah transitent par le territoire syrien ? Est-ce que Damas se risquerait contre le Hezbollah pour le miner de l'intérieur et l'affaiblir quitte à gagner la confiance de l'Occident ? Qui de ses alliés au sein du nouveau gouvernement libanais, lesquels disposent d'un droit de veto capable de bloquer à tout moment les institutions du pays ? Et le dossier irakien dans tout cela et l'interférence de Damas qui envoi des combattants islamistes pour défier les Américains et contribuer avec l'Iran par islamistes interposés à miner la stabilité de ce pays ?

Entre craintes et espoir

Les réponses ne peuvent guère être rassurantes peu importe les stratégies verbales déployées à cet effet par le Président syrien à Paris. Seul un changement drastique de 180 degrés de la politique syrienne pourrait aboutir à une paix véritable dans la région. En d'autres termes, cela équivaudrait à la fin du régime syrien actuel. Or, avec l'impossibilité pour l'Occident de trouver une alternative à ce gouvernement et avec le grand échec américain en Irak, l'Occident et notamment Washington et Paris, risqueront-ils de déstabiliser la Syrie et aboutir à un scénario catastrophe similaire à celui de l'Irak qui engloberait le Liban et Israël ? Tout tend à croire que si la Syrie avance des signes encourageants, c'est davantage pour justifier une position occidentale pour entamer un semblant de reconnaissance d'une Syrie sur un fond de branle-bas de combat en gestation contre l'Iran. La paix semblerait alors plus fragile que jamais !

Alain-Michel Ayache,

spécialiste du Proche et Moyen-Orient

Département de Science politique

Université du Québec à Montréal (UQÀM)

Illustration(s) :

AP
Le président syrien, Bachar al-Assad rencontrait le 12 juillet dernier le président français, Nicolas Sarkozy.

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Numéro de document : news·20080719·LT·0064

Thursday, July 17, 2008

L'humanitaire versus «le terrorisme»!

Cyberpresse

Le jeudi 17 juil 2008

LE SOLEIL - ANALYSE

L'humanitaire versus «le terrorisme»!

Alain-Michel Ayache
Spécialiste du Proche et Moyen-Orient
Département de Science politique
Université du Québec à Montréal

Deux ans après, presque jour pour jour, le Hezbollah remet les corps des deux soldats israéliens qu'il avait kidnappés lors de son attaque par delà la ligne bleue, en territoire israélien. Une attaque qui avait été à l'origine de la «seconde guerre du Liban» de juillet 2006.

Aujourd'hui, les tractations entre le Hezbollah et Israël à travers la médiation allemande, a permis aux Israéliens de rapatrier enfin ces deux corps, en échange d'un grand gain pour le Hezbollah.

La «victoire» du Hezbollah

Pour la rue arabe en général et pour les Libanais en particulier, notamment les prosyriens, cet échange représente la plus grande victoire jusqu'à là achevée par une «résistance musulmane». Et pour cause. Lors des 33 jours de combats entre le Hezbollah et Tsahal, Tel-Aviv cherchait à maintenir son image de force de dissuasion pour l'ensemble de ses ennemis. Or, voilà qu'une milice chiite, forte de quelques milliers de combattants, réussit à résister au mythe de l'armée la plus forte de la région, voire l'une des meilleures au monde.

Bien que le prix ait été lourd du côté du Hezbollah, même si officiellement ses chefs nient la perte de plusieurs centaines des leurs parmi les 1200 Libanais tués durant ces affrontement de 2006, et malgré que le Hezbollah n'ait pas réussi durant ces affrontements à interdire l'accès de Tsahal au territoire libanais comme il l'avait à maintes reprises annoncé à ses fidèles, il n'en demeure pas moins qu'Israël a échoué d'atteindre ses objectifs dont le premier, celui de libérer les deux soldats kidnappés. Quant aux armements du Hezbollah, il s'est reconstitué d'une manière encore plus rapide et plus efficace, et ce, même avec la présence de la FINUL censée l'interdire!

Nasrallah, «le héros de l'Islam»

En soi, le fait d'avoir réussi à bloquer les plans d'Israël, mais également à détruire un nombre considérable de ses chars d'assaut qui faisaient la terreur des pays arabes, était une grande victoire pour le Hezbollah au niveau de la rue arabe. De plus, l'image de marque de l'armée indestructible d'Israël avait fini par succomber à la détermination suicidaire des combattants du «Parti de dieu».

Cela avait largement contribué à la popularité du Hezbollah et de son Secrétaire général Sayyed Hassan Nasrallah. On a vu en lui, le «sauveur» et le «véritable héros» que les leaders arabes n'avaient pas réussi depuis 60 ans à se donner ! Par ailleurs, fort d'une confiance en ses capacités et ses hommes, Sayyed Hassan Nasrallah cherchait à prouver au monde entier et au monde arabe et musulman en particulier, qu'il était un homme de parole. Il leur avait promis la libération des «otages» libanais en Israël, ces prisonniers de guerre qu'Israël avait capturés durant les actions terroristes contre son territoire ou lors de la «Seconde guerre du Liban». Aujourd'hui, il vient de prouver qu'il respectait sa parole et qu'il agissait en conséquence, ce qui lui vaut du coup une image encore plus solide d'«l'homme intègre» et de «l'héros de l'Islam»…

«Chose promise, chose due !»

Le fait d'avoir réussi à obliger en quelque sorte Israël à libérer l'ensemble des détenus libanais et de rendre les corps de plusieurs dizaines de combattants arabes et libanais tués durant les nombreux affrontements que vit cette région du monde, est considéré comme un autre coup de massue contre Olmert! Car Nasrallah avait à maintes reprises déclaré que sa milice resterait armée jusqu'à ce que le dernier otage libanais soit libéré des prisons israéliennes, mais également que les Fermes de Chebaa le soient de même.

En d'autres termes, cela voudrait dire que les armes du Hezbollah demeureront présentes tant et aussi longtemps que ces fermes n'auront pas été remises au Liban, alors qu'officiellement, selon les Nations Unies, la résolution du Conseil de Sécurité 425 qui concernait le retrait de l'occupation du territoire libanais par Tsahal avait été accompli en mai 2000 lors du retrait officiel du dernier soldat israélien. Ce que le Hezbollah refuse de reconnaître tant que ces fermes sont encore occupées, alors qu'en réalité elles l'ont été par Israël durant la guerre de 67 après avoir chassé l'armée syrienne qui s'y trouvait!

Le geste d'Israël et ses répercussions

Pour de nombreux observateurs, Israël ne pouvait plus ignorer son opinion publique et notamment les appels des familles de ces deux soldats. Pour un pays démocratique comme Israël, le gouvernement n'avait plus le choix que d'accepter les demandes des familles et de s'incliner en quelque sorte devant l'humanitaire, en mettant de côté le militaire.

Or, ce geste, s'il est considéré par la majorité de la population comme étant noble et une continuité dans la tradition juive israélienne de ne point laisser derrière, des corps des siens ou des prisonniers de guerre, il n'en demeure pas moins que cela est interprété comme un précédent dangereux par plusieurs. En effet, le fait qu'Israël s'incline devant les demandes du Hezbollah constitue une première car un message erroné serait envoyé du coup à l'ensemble des ennemis de l'État hébreu pour les encourager à entreprendre des actions similaires sachant qu'Israël finira par privilégier l'humanitaire sur le militaire! Cela pourrait affecter la libération du soldat Guilad Shalit actuellement détenu par le Hamas depuis également 2006, juste avant la Seconde guerre du Liban. L'échange d'aujourd'hui ne pourrait être qu'encourageant pour le Hamas et l'inciter à monter les enchères encore plus, dans l'espoir d'augmenter ses gains à l'Instar du Hezbollah…

Ainsi, la libération d'aujourd'hui a sans aucun doute apporté un prestige sans précédant au Hezbollah, ce qui consolide encore plus son pouvoir au Liban, notamment après son succès militaro-politique face au gouvernement pro-occidental… La question principale sera alors celle de savoir si l'Occident et Israël se voient désormais forcés d'adopter une Realpolitik vis-à-vis du Hezbollah, de la Syrie et de l'Iran faute d'alternatives viables, et ce, pour éviter toute escalade militaire dans la région sur un fond de crise économique sans précédent aux États-Unis!