Friday, July 27, 2007

Le jeu syrien

Le Devoir
ÉDITORIAL, vendredi, 27 juillet 2007, p. a8

Libre-Opinion:

Le jeu syrien

Alain-Michel Ayache

Il n'a pas fallu longtemps pour que le secrétaire général de l'ONU, Ban Ki-moon, se rende compte de la détermination du président syrien Bachar al-Assad à déstabiliser le Liban, voire toute la région, advenant la mise sur pied du tribunal international sur l'assassinat de l'ex-premier ministre libanais Rafic Hariri, tel que le stipule la résolution 1757 du Conseil de sécurité des Nations unies.

C'est ce qui ressort de l'information que le quotidien français Le Monde vient de publier il y a quelques jours à la suite d'une «fuite» initiée par un proche du secrétaire général sur le contenu de la rencontre.

S'il y a un sens à cette «fuite», c'est celui du message que le régime de Damas essaie de faire passer sur sa volonté d'être toujours considéré comme un joueur indispensable dans le dessein du Grand Moyen-Orient, version américaine. D'ailleurs, depuis un certain temps, la Syrie multiplie les signes d'ouverture à une possible reprise des pourparlers de paix avec Israël versus une possibilité d'affrontement contre l'État hébreu. En effet, des rumeurs courent dans les pays arabes selon lesquelles Damas aurait choisi de lancer «au mois de septembre» des attaques de guérilla contre les positions israéliennes sur le plateau du Golan, advenant le rejet d'Israël de se retirer de cette terre syrienne occupée en 1967. Les attaques seraient du type que le Hezbollah avait utilisé contre Tsahal au Liban-Sud.

Assad plus déterminé que jamais

Or, le fait que le régime Assad tente de diffuser de telles informations à qui voudrait l'entendre est en soi un signe que Damas ne lâche pas prise devant les pressions internationales et semble être prêt à aller jusqu'au bout, quitte à déstabiliser non seulement le Liban, mais également l'ensemble de la région. D'ailleurs, à regarder de plus près, l'on se rend compte que la politique syrienne s'aligne de plus en plus sur celle de l'Iran pour contrer une autre politique arabe visant le contrôle de la région, cette fois-ci saoudienne. D'ores et déjà, des observateurs occidentaux et arabes, au fait des politiques internes et régionales des pays arabes, mettent le blâme sur le royaume wahhabite - et notamment sur ses alliés libanais, dont la famille Hariri en particulier - pour avoir monté et financé des groupuscules sunnites intégristes afin de faire face au chiisme de l'Iran et du Hezbollah, groupuscules qui, aujourd'hui, se retournent contre l'Arabie saoudite. Ces groupes fondamentalistes seraient ceux-là mêmes qui se battent aujourd'hui au Liban contre l'Armée libanaise, aidés par les Palestiniens des camps militaires dits de réfugiés, et dont la majorité des combattants seraient de nationalité saoudienne. C'est du moins ce que rapportent les journaux arabes dans la région.

Ainsi, face à une marée chiite qui déferle sur le Moyen-Orient, l'Arabie saoudite semble avoir mis le paquet pour former un axe sunnite dont les premiers affrontements se déroulent en Irak et au Liban. Or, soucieuse de préserver sa place sur l'échiquier régional, la Syrie des Assad s'allie à l'Iran pour s'opposer à trois politiques principales qui tentent de changer le visage du Moyen-Orient. La première est la démocratisation de la région telle que vue par l'administration Bush à travers l'élimination du parti Baas irakien et la mise en place d'une démocratie représentative. La seconde est celle de faire du Liban un exemple de cohabitation de différentes communautés aux intérêts souvent divergents, et ainsi, pousser à la naissance de nouvelles entités régionales politiques démocratiques qui remplaceraient les dictatures en place. Finalement, celle de se voir perdre le droit à une voix de choix sur l'échiquier des grands et de participer à la vision américaine sur l'avenir de la région.

Les trois axes de la politique syrienne

Pour ce qui est de la première, Damas a trouvé sa réponse et sa stratégie dans la mobilisation des intégristes et des terroristes, aussi bien chiites que sunnites, en les armant, les entraînant et en leur assurant un refuge et un point de départ pour commettre leurs crimes aussi bien contre les Libanais que contre les Casques bleus de la FINUL. Et lorsqu'ils ne prennent pas la direction de l'Irak pour se battre contre les marines, ils se replient dans les camps militaires palestiniens au Liban. Quant à la seconde, Assad tente de casser une fois pour toutes la notoriété saoudienne par rapport au Liban en brisant le consensus national, en poussant le Hezbollah à paralyser les institutions du pays et en créant le spectre d'une nouvelle guerre d'été à partir du Sud pour ruiner la saison touristique désespérément attendue par l'ensemble des Libanais. La dernière stratégie damascène viserait alors une alliance avec l'Iran puissant pour faire encore peur aux Arabes des pays du Golfe à travers des signaux qui rendent les pays de cette région nerveux, tel que ce fut le cas il y a quelques jours au Bahreïn à la suite des propos tenus par Téhéran, qui demandait le retour de la partie chiite du Bahreïn dans son giron...

Bref, Assad semble avoir lu dans le livre machiavélique de son père feu Hafez al-Assad tout en appliquant ses recettes avec cynisme et détermination, car il n'a plus rien à perdre, mais tout à gagner. La question principale serait alors de savoir si l'Occident tombera encore une fois dans le piège syrien au nom d'une realpolitik qui maintiendrait une certaine stabilité au détriment des libertés, aussi bien du Liban que des autres pays en quête d'un changement notable. La tentative de Paris de rassembler les différentes factions libanaises autour d'un consensus pourrait s'opposer à une partie des plans de Damas, mais c'est aux États-Unis que revient la charge de décider de l'avenir de ce régime de terreur... Or, le problème majeur de Washington, c'est le manque de solutions de rechange au régime actuel en Syrie. Car, entre une dictature d'une minorité alaouite coopérante et un régime d'une majorité sunnite islamiste des Frères musulmans, la logique américaine et celle de l'Occident semblent opter pour la première... Le comble, c'est qu'Assad le sait et en profite pour avancer ses cartes, qui ne tarderaient pas à devenir néfastes pour l'ensemble de la sécurité régionale, mais également internationale!

Alain-Michel Ayache : Spécialiste du Moyen-Orient, département de science politique, Université du Québec à Montréal

Tuesday, July 24, 2007

Le jeu syrien

Le Droit
Forum, mardi, 24 juillet 2007, p. 13

À vous la parole

Le jeu syrien
Alain-Michel Ayache

Il n'a pas fallu longtemps pour que le Secrétaire général de l'ONU se rende compte de la détermination du président syrien Bachar al-Assad à déstabiliser le Liban, voire toute la région, advenant la mise sur pied du tribunal international sur l'assassinat de l'ex-premier ministre libanais Rafic Hariri, tel que le stipule la résolution 1757 du Conseil de Sécurité des Nations unies.

S'il y a un sens à cette "fuite" parue dans le quotidien Le Monde, c'est celui du message que le régime de Damas tente de faire passer sur sa volonté d'être toujours considéré comme un joueur indispensable au Moyen-Orient version américaine. Depuis un certain temps, la Syrie multiplie les signes d'ouverture envers une éventuelle reprise des pourparlers de paix avec Israël versus une possibilité d'affrontement contre l'État hébreu. Des rumeurs courent dans les pays arabes selon quoi Damas aurait choisi de lancer "au mois de septembre" des attaques contre les positions israéliennes sur le Plateau du Golan, advenant le rejet d'Israël de se retirer de cette terre syrienne occupée en 1967.

Assad plus déterminé que jamais

Le fait que le régime Assad tente de diffuser de telles informations est en soi un signe que Damas ne lâche pas prise devant les pressions internationales et semble être prête à aller jusqu'au bout quitte à déstabiliser le Liban et aussi l'ensemble de la région. À regarder de plus près, on constate que la politique syrienne s'allie de plus en plus sur celle de l'Iran pour contrer une autre politique arabe, cette fois-ci saoudienne. Des observateurs occidentaux et arabes mettent le blâme sur le Royaume wahhabite et notamment sur ses alliés libanais, dont la famille Hariri en particulier, pour avoir monté et financé des groupuscules sunnites intégristes afin de faire face au chiisme de l'Iran et du Hezbollah et qui, aujourd'hui, se retournent contre l'Arabie saoudite. Ces groupes fondamentalistes seraient ceux-là mêmes qui se battent aujourd'hui au Liban contre l'Armée libanaise, aidés par les Palestiniens des camps militaires dits de réfugiés et dont la majorité des combattants seraient de nationalités saoudiennes. C'est du moins ce que rapportent les journaux arabes dans la région.

Face à une marée chiite qui déferle sur le Moyen-Orient, l'Arabie Saoudite semble avoir mis le paquet pour former un axe sunnite dont les premiers affrontements se déroulent en Irak et au Liban. Soucieuse de préserver sa place sur l'échiquier régional, la Syrie des Assad s'allie à l'Iran pour s'opposer du coup à trois politiques qui tentent de changer le visage du Moyen-Orient. La première étant la démocratisation de la région telle que vue par l'Administration Bush à travers l'élimination du parti Baath irakien et la mise en place d'une démocratie représentative. La seconde est celle de faire du Liban un exemple de cohabitation de différentes communautés aux intérêts souvent divergents et ainsi pousser à la naissance de nouvelles entités régionales politiques démocratiques qui remplaceraient les dictatures en place. Finalement, celle de se voir perdre le droit à une voix de choix sur l'échiquier des grands et participer à la vision américaine sur l'avenir de la région.

Les trois axes de la politique syrienne

Pour ce qui est de la première, Damas a trouvé sa réponse et sa stratégie dans la mobilisation des intégristes et des terroristes aussi bien chiites que sunnites, en les armant, les entraînant et en leur assurant un refuge et un point de départ pour commettre leurs crimes aussi bien contre les Libanais que contre les casques blues de la FINUL. Et lorsqu'ils ne prennent pas la direction de l'Irak pour se battre contre les Marines, ils se replient dans les camps militaires palestiniens au Liban. Quant à la seconde, Assad tente de casser une fois pour de bon la notoriété saoudienne sur le Liban en brisant le consensus national et en poussant le Hezbollah à paralyser les institutions du pays et en créant le spectre d'une nouvelle guerre d'été à partir du Sud pour ruiner la saison touristique désespérément attendue au Liban. La dernière stratégie viserait alors une alliance avec l'Iran pour faire encore peur aux Arabes des pays du Golfe à travers des signaux qui rendent les pays de cette région, nerveux, tel que fut le cas il y a quelques jours au Bahreïn suite aux propos tenus par Téhéran qui demandait le retour de la partie chiite du Bahreïn dans son giron...

Bref, Assad semble avoir lu dans le livre machiavélique de son père feu Hafez al-Assad, tout en appliquant ses recettes avec cynisme et détermination, car il n'a plus rien à perdre, mais tout à gagner. La question principale serait alors de savoir si l'Occident tombera encore une fois dans le piège syrien au nom d'une certaine Realpolitik qui maintiendrait une certaine stabilité au détriment des libertés aussi bien du Liban que des autres pays en quête d'un changement notable. La tentative de Paris de rassembler les différentes factions libanaises autour d'un consensus pourrait opposer une partie des plans de Damas, mais c'est aux États-Unis que revient la charge de décider de l'avenir de régime de terreur... Or, le problème majeur que Washington rencontre, c'est le manque d'alternative au régime actuel en Syrie. Car, entre une dictature d'une minorité alaouite coopérante et un régime d'une majorité sunnite islamiste des Frères musulmans, la logique américaine et celle de l'Occident semblent opter pour la première...

Alain-Michel Ayache, Spécialiste du Moyen-Orient

Département de Science politique, UQAM

Saturday, July 7, 2007

Le Hamas est mis à l'épreuve

Le Soleil
Opinions, samedi, 7 juillet 2007, p. 29

Analyse

Le Hamas est mis à l'épreuve

Ayache, Alain-Michel

Maintenant que le Hamas contrôle l'ensemble de la bande de Gaza et forme, selon lui, le gouvernement officiel de ce territoire, plusieurs questions viennent à l'esprit : réussira-t-il là où le Fatah d'Arafat - dont Abbas a hérité - a échoué : enrayer la corruption au profit d'une amélioration des conditions de vie des Palestiniens ? Gérera-t-il la sécurité intérieure de Gaza d'une manière démocratique ou instaurera-t-il la Charia? Quid de sa tolérance d'autres groupes armés islamistes jadis ses alliés contre le Fatah, mais surtout contre Israël ?

A priori, tout observateur sage répondra que la région tend à se radicaliser, d'Iran jusqu'à Gaza, en passant par les camps militaires palestiniens au Liban.

Enrayer la corruption

S'attaquer à la corruption exigera la mise en place d'une bureaucratie responsable et efficace qui répondra à un pouvoir administratif, lui-même assujetti aussi bien au législatif, à l'exécutif et au judiciaire. Si le Hamas décidait d'instaurer une bureaucratie selon la méritocratie, il tomberait dans le piège du Fatah, celui de demander aux "proches" d'assumer les fonctions les plus importantes au sein de l'administration - quitte à ce que ces derniers soient moins qualifiés - tant et aussi longtemps qu'ils réussissent à sauvegarder les assises du gouvernement du Hamas devant d'autres groupes armés plus islamisés que lui. Ceux-là mêmes qui étaient responsables du rapt du journaliste britannique de la BBC et qui représentent à moyen terme un danger imminent à la survie du pouvoir unique dans Gaza, à moins que l'histoire ne prouve plus tard qu'ils n'étaient que des pions aux mains du Hamas pour peaufiner son image de marque sur la scène internationale !

La Charia

Si, par contre, le Hamas instaure la Charia comme loi officielle gérant la vie des Palestiniens de Gaza, cette dernière sera à l'image de l'Afghanistan sous les talibans. Le résultat ne peut que mener les Palestiniens vers un exode en Cisjordanie, en Égypte ou ailleurs, laissant Gaza aux plus radicaux, la tolérance envers les chrétiens et les non-musulmans étant réduite à zéro. Or, cela est déjà très visible.

Quelques jours à peine après la prise de la bande de Gaza par les troupes du Hamas, des magasins de vidéo, d'instruments de musique occidentaux et des boutiques ont été saccagés et brûlés. Les produits vendus avaient été jugés par le Hamas comme contraire aux lois de l'islam. Quant à l'exode vers la Cisjordanie, tout porte à croire qu'il a commencé, du moins pour ceux qui détenaient une nationalité occidentale !

La sécurité interne

Le troisième problème du Hamas, c'est le contrôle total de la sécurité des citoyens de Gaza. En effet, si le gouvernement Hamas veut prouver au monde qu'il est le seul maître à bord (en vue éventuellement de mener des négociations avec Israël ou par l'intermédiaire d'une tierce partie), il devra être le seul responsable de la gestion interne et sécuritaire de la bande. En ce sens, la libération inattendue du journaliste britannique de la BBC laisse penser que le Hamas s'est rendu maître du terrain.

Des thèses circulent dans les milieux arabes selon lesquelles la Syrie aurait orchestré (à travers Khaled Mechaal, le grand patron du Hamas réfugié à Damas), une sorte d'entrée honorable du Hamas sur la scène internationale. Ainsi, "l'Armée de l'Islam" ne serait qu'un leurre pour montrer qu'il contrôle bien Gaza. Ce faisant, le Hamas ferait un bras d'honneur au Fatah de Mahmoud Abbas, accusé de laxisme et de faiblesse devant les nombreux autres groupes armés, lesquels jouissaient d'une grande liberté d'action sur l'ensemble des territoires palestiniens sous sa juridiction.

Ainsi, les Palestiniens de Gaza sont devenus prisonniers d'un système fermé de propagande haineuse contre l'Occident et ses alliés, lesquels sont d'autres Palestiniens, dont Abbas ! Pis encore, ils sont devenus otages d'une radicalisation tous azimuts dans la région où la division entre intégristes et modérés s'agrandit de plus en plus au profit des premiers... Une division qui emportera sans doute dans son sillage, dans les semaines à venir, la stabilité interne des camps militaires palestiniens au Liban, camps dits de "réfugiés"!

Alain-Michel Ayache, spécialiste du Proche-Orient, département de science politique, UQAM