Monday, August 22, 1994

L'indépendance, une utopie

La Presse
Éditorial, lundi, 22 août 1994, p. B2

La boîte aux lettres

L'indépendance, une utopie

Alain-Michel Ayache
Journaliste montréalais d'origine libanaise



Être ou ne pas être Canadiens, là est la véritable question que se posent les Québécois aujourd'hui!

Cette dure réalité est devenue incontournable à un point tel que tout le monde a les yeux braqués sur la belle province, tellement les enjeux sont décisifs.

En effet, une victoire du Parti québécois semble vouloir signifier le compte à rebours pour l'accession à la souveraineté du Québec. Du moins, c'est ce que M. Parizeau laisse entendre. Un tel scénario a toutes les chances d'aboutir à condition que les Québécois affichent en grande majorité leur volonté de quitter le Canada lors du prochain référendum. Toutefois, un tel choix n'est pas aussi facile à faire à un moment où l'économie mondiale semble au bord du gouffre et n'arrive pas à se sortir complètement d'une récession devenue étouffante.

Faire du Québec un pays indépendant et par-dessus tout francophone est une utopie qui ne peut durer que le temps des élections, juste avant que le peuple ne se réveille et n'affronte la terrible réalité, celle du divorce consommé avec le Canada, avec toutes les conséquences qui en découlent. Non, ce n'est pas de la démagogie, c'est du réalisme que de dire qu'actuellement un projet d'indépendance est suicidaire à court terme pour le Québec. Suicidaire, car nul n'ignore les visées de nos voisins du Sud sur les richesses naturelles de notre province.

Nul n'ignore qu'avec un premier ministre comme Jean Chrétien, un gouvernement péquiste n'a aucune chance de gagner une quelconque «politique» en faveur du Québec. Au contraire, un tel gouvernement est susceptible de demeurer dans un état de tension permanente avec Ottawa, sans pour autant parler de la dette à partager et de toute la confusion que cela va causer dans les esprits des gens du pays!

Par ailleurs, nous entendons souvent M. Parizeau dire que l'indépendance se fera, mais que les Québécois auront le choix de garder la double nationalité. C'est-à-dire qu'ils pourront conserver leur passeport canadien tout en détenant le nouveau passeport québécois. Mais que feront alors ceux qu'on surnomme les néo-québécois? Auront-ils trois nationalités, puisque la plupart d'entre eux détiennent déjà la double nationalité? Ou la politique de M. Parizeau sera sélective à leur égard et, par le fait même, ils seront considérés comme des personnes appartenant à une catégorie spéciale de citoyens, alors qu'ils sont des citoyens à part entière comme tous les autres québécois.

À cela le chef du PQ répondra sans doute que de nombreuses personnalités issues des communautés culturelles se sont jointes à lui dans son combat francophone et se présentent pour son parti aux prochaines élections. Or, si on regarde de près ces personnalités, on constate facilement que la plupart - pour éviter de dire l'écrasante majorité - ne représentent aucunement leurs communautés culturelles. Le pire, c'est que beaucoup de ces personnes ne savent même pas parler français.

Logiquement, on est alors en droit de se poser la question suivante: comment ces personnes pourront-elles défendre les intérêts de leurs concitoyens québécois à l'Assemblée Nationale? Ou s'agit-il simplement de figurants pour le compte de M. Parizeau? Si c'est le cas, quel Québec le PQ nous prépare-t-il?

Et la monnaie dans tout cela? Allons-nous garder la monnaie canadienne comme devise du Québec libre? Allons-nous garder les effigies des personnalités qui ont marqué l'histoire du Canada ou celle de la reine d'Angleterre? Et si M. Parizeau choisit le dollar américain, n'est-ce pas une signature en blanc en vue d'une annexion lente mais certaine du Québec par les États-Unis?! On parle bien ici d'annexion, car nul n'ignore que le pouvoir économique de nos voisins du Sud est assez fort pour avaler l'économie québécoise en un rien de temps.

Et les autres francophones du Canada, que deviendront-ils? MM. Parizeau et Bouchard promettent bien d'aider ces communautés, ce qui est pour le moins étrange, car le fait que le Québec accède à l'indépendance signifie que des frontières s'établiront entre lui et le reste du Canada, lequel deviendra de facto un pays étranger. Nul n'a alors besoin de préciser qu'une telle action du Québec en faveur des communautés francophones pourrait être vue par le Canada comme une ingérence dans les affaires internes du pays et susceptible de représailles de toutes sortes.

Bref, ce scénario cauchemardesque ne peut être qu'annonciateur de la fin d'un pays québécois. Car vouloir faire l'indépendance, c'est une excellente chose à condition que l'on sache ce qui nous attend. Une telle démarche est à sens unique. Une fois le processus enclenché, il devient impossible de retourner en arrière. Une telle option de retour ne peut que détruire définitivement tous les gains que le Québec a réalisés depuis le début de la Confédération!

Réfléchissons avant qu'il ne soit trop tard.