Friday, November 5, 2004

La fin d'une époque et le début d'une nouvelle au Moyen-Orient

Le Soleil
Opinions, vendredi, 5 novembre 2004, p. A13

Analyse

La fin d'une époque et le début d'une nouvelle ère au Moyen-Orient

Alain-Michel Ayache

Que le leader palestinien Yasser Arafat meure prochainement ou pas, il est clair que le Moyen-Orient s'apprête à tourner une page sensible de son histoire.

Tour à tour ingénieur, révolutionnaire, terroriste puis repenti avant de renoncer officiellement et totalement au terrorisme pour devenir président de l'autorité palestinienne, Yasser Arafat est le dernier pilier palestinien de la vieille garde antisioniste, malgré l'image de modéré et de victime qu'il a tenté de montrer au monde durant les derniers mois passés dans son bunker.

Ennemi juré d'Ariel Sharon, depuis notamment l'invasion israélienne du Liban en 1982 et son exil forcé à Tunis avec l'ensemble de ses combattants, Arafat rêvait de laisser un héritage révolutionnaire dont l'Intifada serait son épine dorsale. Or, depuis que le Hamas a pris la situation en main et mené des attaques principalement contre la population israélienne, le terrain semble avoir échappé au contrôle du vieux combattant. Réduit à son bunker, Arafat essayait par tous les moyens de se positionner de nouveau face à son éternel vieil ennemi et complice - dans le sens de son existence - l'actuel premier ministre israélien, Ariel Sharon.

Or, l'intensité des ripostes israéliennes aux actions terroristes du Hamas lui a arraché le dernier mot qu'il se voulait face à Sharon. Intransigeant quant aux concessions, légitimes pour certaines, formulées par le camp israélien, il a réduit la question palestinienne à sa propre personne rendant ainsi les territoires qu'il occupe à l'image du reste du monde arabe, soit une dictature, une sorte de monarchie absolue avec un zeste de pseudo-démocratie à travers la participation de ces ministres à un processus décisionnel limité tant dans sa forme que dans son contenu.

Sa défaite la plus grave vient de lui être servie par les déclarations de son ennemi juré, Ariel Sharon. En effet, non seulement Arafat ne va pas mourir en martyr comme il l'a clamé à plusieurs reprises aux médias occidentaux, mais Sharon lui interdirait d'être enterré à Jérusalem ou même dans les territoires ! Ce qui représente en soi la plus grande des défaites face à Sharon durant plus de 30 ans de lutte armée.

Et après ?

Pour les plus optimistes, Sharon maintiendrait le retrait des colonies des territoires et consoliderait le mur de séparation avec Israël. Pas question de diviser Jérusalem, ni même de céder aux chantages des terroristes. En effet, pour que Sharon puisse mettre un terme aux actes de terrorisme, il lui faudrait isoler Israël du reste des territoires tout en maintenant une ouverture sous haute surveillance pour laisser passer les travailleurs palestiniens sélectionnés.

Cette fermeture et l'isolation quasi hermétique des territoires permettraient à Sharon d'étouffer économiquement et de contrôler le peu d'économie que les territoires puissent encore posséder. Une telle politique aurait un impact certain sur la situation interne des Palestiniens en les plaçant devant deux choix difficiles : s'ils choisissent la lutte armée, ils octroieront à Hamas le mandat de continuer cette lutte et risqueront des ripostes de plus en plus sanglantes sous l'oeil complice de l'administration républicaine, de nouveau au pouvoir aux États-Unis. Ce qui ouvrirait à moyen terme la voie vers une internationalisation du conflit et l'embrasement du Moyen-Orient, vu que, notamment, la Syrie et l'Iran sont sous étroite surveillance, tant américaine qu'israélienne.

Ainsi, au nom de la lutte contre le terrorisme, les États-Unis encourageraient Israël à frapper fort non seulement Hamas, mais également le Hezbollah et la Syrie, dans une tentative de mettre un terme à la politique de terreur qu'ils orchestrent à partir de Damas, aussi bien en Israël qu'en Irak face aux troupes de la coalisation.

Mais qu'en sera-t-il de l'après-Arafat ?

Dans une autre perspective, les Palestiniens se choisiraient un interlocuteur modéré capable de reprendre les pourparlers de paix avec Sharon et qui accepterait de faire des concessions, quitte à ce que la naissance d'un État palestinien embryonnaire puisse prendre place et que le statut de Jérusalem soit relégué aux calendes grecques. Mais pour que cette deuxième option puisse se réaliser, il faudrait que le nouveau chef puisse mater Hamas ou du moins le convaincre de faire partie de son équipe et d'opter pour le dialogue plutôt que pour la lutte armée.

Encore est-il qu'une mort proche d'Arafat laisserait sans doute un vide dans les territoires et donnerait une bouffée d'oxygène au Hamas pour mener un plus grand nombre d'actions terroristes contre les Israéliens, provoquant du fait même une riposte, à l'instar de ce qui s'est produit il y a encore quelques jours lors de l'hospitalisation du leader palestinien à Paris.

Seule une action rapide des modérés palestiniens pour contenir toute nouvelle flambée de violence pourra permettre d'espérer pour le mieux. Mais pour cela, il faudrait que le vieux combattant puisse donner son approbation à une telle politique... ce qui semble avoir été le cas si l'on se fie à ses dernières déclarations de son lit de Paris.

Quant à Sharon, maintenant que son ennemi juré est sur le point de mourir, sa raison d'être à la tête du gouvernement en serait aussi affectée. Le dernier vote à la Knesset est en soi annonciateur de la fin de l'ère Sharon en Israël. Encore est-il qu'à l'instar d'Arafat, Sharon n'aurait pas cédé un pouce, fidèle à son éternelle politique face aux Palestiniens.

Ainsi, il ne serait pas étonnant que, dans quelques mois, Sharon soit contraint de démissionner ou, tout simplement, qu'il perde les élections à venir face à quelqu'un qui pourrait changer le statu quo dans la région. Il s'agit de savoir si ce nouvel interlocuteur israélien serait du Parti travailliste ou du Likoud, ce qui ferait toute la différence.

Quoi qu'il en soit, le fait que Sharon soit remplacé signifierait la fin d'une époque sans être pour autant un happy ending pour la région. Toutefois, dans un tel scénario, le Moyen-Orient aurait ouvert une nouvelle page de son histoire, clôturant ainsi celle marquée par le sang de part et d'autre.

Une histoire que l'on pourrait surnommer : "l'ère Sharon - Arafat".

Alain-Michel Ayache

Journaliste et chercheur, analyste du Moyen-Orient

Friday, September 10, 2004

Entre le dit et le non-dit, La doctrine Bush à l'épreuve

Le Devoir
IDÉES, vendredi, 10 septembre 2004, p. a9

Entre le dit et le non-dit
La doctrine Bush à l'épreuve

Alain-Michel Ayache

Pendant que les Américains sont occupés par l'élection présidentielle et la guerre en Irak, un autre front semble s'ouvrir au Moyen-Orient. En effet, réuni presque en catastrophe à la demande expresse de Washington et - aussi surprenant que cela puisse paraître a priori - de Paris, le Conseil de sécurité des Nations unies a voté la résolution introduite par la mission américaine permanente à l'ONU et portant le numéro 1559.

Cette résolution vise directement la Syrie, pays accusé par l'administration américaine de contribuer à l'insécurité de l'Irak et, par Tel-Aviv, d'héberger la matière grise du terrorisme palestinien. Or le front choisi par les auteurs de cette résolution se situe au Liban, pays presque entièrement occupé par la Syrie depuis 1976 et entièrement depuis le retrait total israélien en mai 2000, selon la résolution no 425 du Conseil de sécurité des Nations unies datant de 1978.

L'introduction de cette résolution devait en principe contrer la décision de Damas de renouveler coûte que coûte le mandat du président libanais. Washington cherchait à transmettre un message de fermeté à Damas en ce qui a trait à sa politique au Liban mais surtout au Moyen-Orient. Ainsi, la résolution 1559 dans sa première version demandait explicitement à la Syrie de retirer ses troupes du Liban et de ne pas intervenir dans les élections libanaises, laissant le choix du président aux Libanais.

Or il semblerait que Washington ait subi «des pressions» de nombreux pays alliés, comme le rapportaient les articles dans la presse occidentale et arabe, ce qui a poussé les auteurs de la résolution en question à la modifier, la rendant plus souple que jamais, voire quasi symbolique. En effet, la mention de la Syrie a été rayée et remplacée par «toutes les troupes non libanaises», ce qui fait dire à plusieurs observateurs que l'essence même de la résolution, telle qu'elle a été rédigée au début, est devenue caduque.

Cela est d'autant plus vrai que la Syrie, par la voix de son représentant aux Nations unies, a critiqué «l'ingérence américaine dans les affaires internes du Liban et ses relations privilégiées avec la Syrie». D'ailleurs, Damas ne se considère pas comme étant une armée étrangère au Liban puisqu'elle prétend que sa présence au pays des cèdres est à la demande officielle du Liban. Cette explication ne convainc aucun Libanais puisque depuis que les troupes d'occupation syriennes sont au Liban, c'est Damas qui gère leur quotidien à tous les points de vue, rendant le Liban à son image et le transformant en une dictature militaire.

Le bémol de Bush

Ce qui est pour le moins étonnant, c'est l'acceptation par Washington des modifications «imposées» par d'autres pays alors qu'il y a encore quelques jours, le président Bush déclarait dans son allocution à l'investiture républicaine que Washington n'est et ne sera jamais sujet à la décision des pays tiers - encore moins celle de la France - pour agir au niveau international.

À cela s'ajoute une autre surprise de taille, celle de l'absence de la mention de la Syrie comme pays terroriste dans le discours de Bush, qui n'a pas pour autant manqué de citer les noms des autres pays membres de ce même «axe du mal» que la Syrie, tel que décrit par Bush lui-même il y a encore quelques mois.

Ce changement dans le langage de Bush et la prorogation du mandat du président libanais par les parlementaires libanais à la façon syrienne, c'est-à-dire à main levée, bafouant par le fait même les principes démocratiques d'usage, font croire à une entente ou à un marché conclu entre Damas et Washington - encore un -, dont le Liban est le bouc émissaire et la monnaie d'échange. Ce faisant, l'administration Bush semble avoir vendu encore une fois le Liban à une dictature en échange de quelque chose qui ne tardera pas à se révéler. À quoi bon le discours de Bush de vouloir changer la situation des peuples opprimés au Moyen-Orient?

Pour les organisations de défense des droits de la personne libano-nord-américaines, il s'agit là d'une action de principe dans un contexte purement électoral, d'autant plus que les Américains d'origine libanaise sont au nombre de trois millions et que tous, sans exception, sont en faveur du retrait des troupes d'occupation syriennes du Liban, comme en témoignent leurs nombreuses actions et demandes en ce sens, ce qui fait de leur vote un appui crucial pour Bush.

Un message de pseudo-fermeté

Ainsi, Washington aurait transmis un message de fermeté à la Syrie pour qu'elle revoie davantage sa politique irakienne plutôt que libanaise. Or, selon cette même résolution, «les troupes étrangères» ont «30 jours» pour se conformer à la demande du Conseil de sécurité. À la suite de quoi le secrétaire général Kofi Annan présenterait un rapport sur le respect ou non de «ces troupes d'occupation» avant de suggérer des sanctions ou une action militaire, comme le stipulent les articles 40 et 41 du chapitre VII de la Charte des Nations unies.

La résolution 1559, adoptée par neuf voix (soit le minimum requis) et six abstentions, démontre encore une fois la mesquinerie des grandes puissances, notamment les États-Unis, en ce qui a trait à une politique américaine de «deux poids, deux mesures», devenue le leitmotiv de toutes les administrations depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale et notamment depuis la désintégration de l'Union soviétique.

Toutefois, l'adoption de cette résolution ouvre un nouveau front au Moyen-Orient qui, quoique attisé par le changement de la formulation, ne tardera sans doute pas à s'enflammer dans l'hypothèse de la réélection de Bush et plus encore de Kerry, si on en croit le discours de ce dernier, qui veut agir pour mettre un terme au régime baathiste syrien terroriste.

Le 3 octobre prochain, les 30 jours seront écoulés. Le Conseil de sécurité aura alors à décider de la suite à donner. C'est là que réside la clef de la nouvelle politique américaine au Proche et au Moyen-Orient. Si le gouvernement de George W. Bush ou de John Kerry décide d'aller plus loin dans les sanctions contre la Syrie, qui ne se retirera pas du Liban sans une action militaire contre elle, les Libanais pourraient alors commencer à préparer la véritable reconstruction nationale, basée sur une nouvelle entente interlibanaise et juste pour toutes les composantes de la société libanaise.

Si, par contre, la résolution 1559 du Conseil de sécurité reste sans suite, comme dans la plupart des cas pour ce qui est de cette région du monde, la jeunesse libanaise continuera alors à quémander les visas d'immigration et Washington aura encore une fois prouvé son hypocrisie envers la liberté des peuples opprimés. Ce qui est regrettable, c'est que le pays des droits de l'homme, la France, ait souscrit à cette mascarade!

Alain-Michel Ayache : Analyste politique et chercheur

Wednesday, September 8, 2004

Élections américaines, Le monde arabe est dans l'attente

Le Soleil
Opinions, mercredi, 8 septembre 2004, p. A17

Élections américaines
Le monde arabe est dans l'attente

S'il y a une chose en commun chez les masses arabes, c'est bien l'attente des résultats des élections présidentielles américaines. En effet, de Beyrouth à Gaza, en passant par Damas, les populations de cette région du monde sont dans l'expectative. Toutes, sans exception, misent sur une défaite de George W. Bush pour qu'il y ait un changement de donnes signifiantes sur tous les fronts.

Liban

Au Liban, c'est également la période des élections présidentielles libanaises qui préoccupe la population locale. L'actuel président, l'ex-commandant en chef de l'armée libanaise, le général Émile Lahoud achève son mandat de six années à la tête du pays. Bien que largement controversé par la majorité de la population libanaise qui l'accuse d'avoir militarisé le pays, à l'image de la dictature syrienne, il demeure le candidat favori de Damas, qui gère la politique aussi bien interne qu'étrangère du Liban depuis le 13 octobre 1990, date de la chute des dernières régions libres aux mains des forces armées syriennes. En effet, le président Lahoud fut, depuis son accession au pouvoir en 1998, l'exécutant fidèle de la politique syrienne dans la région et un des supporters inconditionnels du Hezbollah, et ce, à la demande du président syrien Bachar al-Assad.

Aujourd'hui, et dans un mouvement de défi à Washington, Damas ordonne aux ministres libanais et à leur tête au premier ministre Rafic Hariri de signer l'amendement de la Constitution libanaise pour permettre une extension de trois ans du mandat actuel du Président.

Cette démarche vient après l'opposition formelle de Washington, par le biais du vice secrétaire d'État, Richard Armitage, qui a officiellement condamné et s'est opposé catégoriquement à ce qu'on touche à la Constitution libanaise. Opposition à laquelle s'est jointe la position officielle de la Maison-Blanche qui rejette et condamne tout amendement de la Constitution libanaise et toute intervention syrienne dans ce processus électoral. Ce niet américain sur le renouvellement du mandat de Lahoud était également appuyé par les Européens et la majorité des Libanais toutes confessions confondues.

Or, selon des sources diplomatiques, Damas attend impatiemment le 2 novembre pour décider de l'action qu'il devrait prendre face à la politique américaine au Moyen-Orient. Ainsi, Assad serait en train de placer ses pions sur le nouvel échiquier régional qui s'annonce dans la mesure où il pense avoir des cartes à monnayer avec le nouveau locataire de la Maison-Blanche. Si Bush est élu, Damas se résignerait donc à accepter la position américaine dans le dossier de l'Irak, mais sans pour autant tout donner sans contrepartie. D'où la mainmise sur les élections libanaises et donc sur la carte du Hezbollah.

Dans le cas où Kerry remporterait la présidence américaine, Damas maintiendrait sa politique actuelle, voire bénéficiera de plus de poids dans la recherche américaine supposée d'une solution pacifique à la crise dans la région, d'où l'intérêt de Damas de consolider un peu plus ses assises dans la région tout en maintenant le Liban sous sa grippe.

Syrie

Mis à part le dossier de la présidence libanaise, Damas est concerné au premier chef par les élections à la Maison-Blanche. D'une part, à cause des attaques directes que Richard Armitage a lancées sur les ondes d'une chaîne satellitaire arabe tout en soulignant que "la Syrie ne semble pas avoir compris la leçon de l'Irak". De l'autre, les sanctions imposées par le président Bush après la ratification par la Maison-Blanche et des deux Chambres américaines du projet de loi qui condamne la Syrie (Syria Accountibilit y and Lebanon Sovereignty Restauration Act - SALSRA) et exige la restauration de l'indépendance du Liban.

Ainsi, une victoire de Bush signifierait que Damas serait sérieusement menacé par Washington, surtout que l'administration américaine ainsi que le nouveau conseil irakien accusent la Syrie d'encourager des combattants à s'infiltrer de Syrie en Irak pour combattre les forces de la coalition et déstabiliser le pays à l'image de ce que Assad père avait réussi à faire au Liban avec la bénédiction de Bush père.

Une victoire de Kerry, au contraire, donnerait plus de souffle à Damas pour continuer son éternel jeu d'équilibre quitte à ce qu'il gagne une carte supplémentaire dans la région, cette fois-ci, avec la connivence de l'Iran et l'appui du Hezbollah, sur le territoire de Najaf, mais également dans le triangle sunnite.

Il est également à noter que le régime de Damas est également inquiet de la montée de l'intégrisme sunnite chez lui, ce qui, à moyen terme, voire à court terme comme le prédisent certaines personnalités politiques libanaises, pourrait déstabiliser la Syrie et la minorité alaouite qui détient actuellement le pouvoir. D'ailleurs, les premières indications de cette crainte justifiée étaient la révolte kurde dans le Nord syrien, encouragée tacitement par Washington et matée par le sang, avant qu'Assad ne desserre un peu l'étau et libère quelques-uns des activistes kurdes pour désamorcer la crise. Par ailleurs, selon certains diplomates occidentaux de la région, il semblerait que le premier ministre libano-saoudien, Rafic Hariri, soit en train de financer l'intégrisme sunnite à Damas avec la bénédiction saoudienne et sous l'oeil vigilant américain.

L'Autorité palestinienne

Les plus concernés dans ces élections américaines sont bel et bien les Palestiniens. Eux qui, sous Clinton, bénéficiaient d'un rôle important et d'une sorte d'équilibre - du moins durant les pourparlers - avec les Israéliens, se sont retrouvés isolés par l'administration Bush qui, de plus, semble avoir donné une carte blanche à Ariel Sharon notamment après les événements du 11 septembre. Il faut dire que l'ensemble du monde arabo-musulman considère Bush comme l'ennemi numéro un de l'Islam, alors que Clinton et les démocrates, semblent récolter plus de sympathie.

Ainsi, une victoire de Bush affaiblirait encore plus Yasser Arafat et l'Autorité palestinienne, donnant plus de poids aux islamistes, notamment au Hamas pour continuer ses actions meurtrières, ce qui justifierait encore plus les actions de représailles israéliennes et légitimerait l'édification du mur d'isolation.

Par contre, une victoire de Kerry verrait un soulagement "arafatien" et la renaissance de l'espoir du renouveau des pourparlers de paix avec les Israéliens sur les bases des accords d'Oslo, sinon, sur de nouvelles bases plus solides avec la prise en compte du contexte de l'après 11 septembre et de l'après-Saddam.

En somme, partout les masses arabes misent sur Kerry pour changer la situation actuelle qui, à leurs yeux, n'a fait que consolider la mainmise "sioniste" sur la politique arabe des États-Unis, mais surtout qui a permis à l'administration Bush de réduire presque à néant tous les acquis politico-diplomatico-économiques des Arabes aux États-Unis. La réélection de Bush signifierait ainsi la fin de nombreux régimes jadis alliés de Bush père. Quant à celle de Kerry, elle signerait probablement leur survie et une nouvelle coopération sur des bases plus souples que celles du passé.

Alain Michel Ayache

L'auteur est analyste du Moyen-Orient

Monday, March 22, 2004

Attentat de Madrid

Le Soleil
Opinions, lundi, 22 mars 2004, p. A19

L'attentat de Madrid sonnera-t-il le glas de l'ère Bush ?

Ayache, Alain-Michel

En annonçant sa décision de retirer les troupes espagnoles de l'Irak, le nouveau premier ministre de l'Espagne, José Luis Rodriguez Zapatero, vient de créer un précédent dans l'histoire de la lutte contre le terrorisme, mais surtout, il vient d'ouvrir une boîte de Pandore qui risque d'affecter l'avenir de la coopération américano-européenne, tant sur le plan de la politique internationale que celle sur le terrorisme.

Au départ, cette décision, qui peut être qualifiée de désistement, répond à la volonté du peuple espagnol : il a toujours été contre la guerre en Irak ! D'ailleurs, l'Espagne était presque un refuge pour les ressortissants du monde arabe et musulman compte tenu de l'histoire qui lie ces deux mondes. Toutefois, ce coup dur porté au gouvernement Aznar est non seulement une victoire de ceux qui ont commandité le massacre, mais également une gifle au président américain.

En effet, le fait que l'attentat ait conduit à la chute d'un gouvernement ayant soutenu la politique du président Bush, cela envoie un signal clair aux pays occidentaux en difficulté ou sur le point d'affronter une élection. Car, faisant face aux nombreuses questions auxquelles le président américain n'a plus de réponses claires, notamment en ce qui a trait aux véritables raisons du déclenchement de cette invasion de l'Irak et de la pseudoprésence des armes de destruction massive, ces gouvernements se trouvent à leur tour dans une situation politique délicate et risquent fort de payer le prix de leur soutien à Bush.

Payer le prix

Cela est particulièrement visible au Royaume-Uni où le premier ministre Tony Blair fait actuellement face à de nombreuses critiques, et où la guerre est de plus en plus perçue par les Britanniques comme une erreur et une mésaventure purement personnelle, en l'occurrence, celle de George W. Bush.

Ainsi, l'attentat de Madrid aura marqué un point contre la stratégie américaine, puisque, désormais, les principaux pays européens revoient leurs calculs et semblent prendre en considération la leçon de Madrid. Mais là où le danger réside, c'est dans l'éventualité d'un changement d'attitude brusque de ces gouvernements afin de s'aligner sur la nouvelle politique espagnole. Dans une telle éventualité, ils rendraient leur propre sécurité fragile car ils indiqueraient aux terroristes, notamment à leurs commanditaires, leurs points faibles, ce qui les encouragerait à effectuer plus d'attentats contre leurs populations respectives.

Sur le terrain, en Irak, il est clair qu'une telle attaque contre l'Espagne, ainsi que sa décision de retirer ses troupes, représentent une victoire des terroristes, même si Washington cherche à en minimiser l'impact. En réalité, l'administration américaine se trouve aujourd'hui devant une nouvelle obligation d'augmenter le nombre de ses soldats pour pallier aux troupes espagnoles, d'autant plus que ni la Pologne ni les autres pays actuellement sous le commandement de ce pays ne semblent vouloir envoyer des troupes de remplacement. Ce qui signifie en termes logistiques, pour Washington, une augmentation des coûts, mais aussi des risques de pertes accrues en vies humaines, d'autant plus que les attaques contre la population irakienne et les GI ont repris de plus belle.

De l'autre, une telle opération terroriste en terre européenne pourrait mener à court terme à l'augmentation de la pression de l'opinion publique européenne pour le retrait de toutes les troupes européennes de l'Irak et de l'augmentation du rôle de l'ONU. Dans ce cas, Washington se trouverait pris par sa propre politique et serait obligé d'octroyer un rôle plus clair et déterminant à l'Organisation des Nations unies, laquelle sera appelée à remplacer les troupes européennes mais également américaines si Washington tient sa promesse de transférer le pouvoir aux autorités irakiennes en place après le 30 juin prochain, à la suite de la signature de la première Constitution irakienne de l'après-Saddam.

Dans ce cas, la stratégie de l'administration Bush se serait révélée être un échec total et cela conduirait certainement à sa chute aux élections de novembre. Ainsi, l'attentat de Madrid aurait sonné le glas de l'ère Bush et donné plus de munitions à ses détracteurs pour miner sa politique au Moyen-Orient. Encore est-il que l'avenir de l'Irak demeure toujours une inconnue, un avenir menacé même si les marines sont amenés à se retirer à leur tour, sans avoir sécurisé le pays ni l'avoir remis entre les mains de l'ONU et d'un nouveau gouvernement irakien, accepté aussi bien par les ayatollahs chiites, par les Kurdes que par les Sunnites pro-Saddam.

Dans le cas contraire, ce serait certainement la libanisation de l'Irak qui mènera, sans doute, à sa balkanisation !

L'auteur est analyste et chercheur spécialisé sur les questions du Moyen-Orient