Forum, mardi, 24 juillet 2007, p. 13
À vous la parole
Il n'a pas fallu longtemps pour que le Secrétaire général de l'ONU se rende compte de la détermination du président syrien Bachar al-Assad à déstabiliser le Liban, voire toute la région, advenant la mise sur pied du tribunal international sur l'assassinat de l'ex-premier ministre libanais Rafic Hariri, tel que le stipule la résolution 1757 du Conseil de Sécurité des Nations unies.
S'il y a un sens à cette "fuite" parue dans le quotidien Le Monde, c'est celui du message que le régime de Damas tente de faire passer sur sa volonté d'être toujours considéré comme un joueur indispensable au Moyen-Orient version américaine. Depuis un certain temps, la Syrie multiplie les signes d'ouverture envers une éventuelle reprise des pourparlers de paix avec Israël versus une possibilité d'affrontement contre l'État hébreu. Des rumeurs courent dans les pays arabes selon quoi Damas aurait choisi de lancer "au mois de septembre" des attaques contre les positions israéliennes sur le Plateau du Golan, advenant le rejet d'Israël de se retirer de cette terre syrienne occupée en 1967.
Assad plus déterminé que jamais
Le fait que le régime Assad tente de diffuser de telles informations est en soi un signe que Damas ne lâche pas prise devant les pressions internationales et semble être prête à aller jusqu'au bout quitte à déstabiliser le Liban et aussi l'ensemble de la région. À regarder de plus près, on constate que la politique syrienne s'allie de plus en plus sur celle de l'Iran pour contrer une autre politique arabe, cette fois-ci saoudienne. Des observateurs occidentaux et arabes mettent le blâme sur le Royaume wahhabite et notamment sur ses alliés libanais, dont la famille Hariri en particulier, pour avoir monté et financé des groupuscules sunnites intégristes afin de faire face au chiisme de l'Iran et du Hezbollah et qui, aujourd'hui, se retournent contre l'Arabie saoudite. Ces groupes fondamentalistes seraient ceux-là mêmes qui se battent aujourd'hui au Liban contre l'Armée libanaise, aidés par les Palestiniens des camps militaires dits de réfugiés et dont la majorité des combattants seraient de nationalités saoudiennes. C'est du moins ce que rapportent les journaux arabes dans la région.
Face à une marée chiite qui déferle sur le Moyen-Orient, l'Arabie Saoudite semble avoir mis le paquet pour former un axe sunnite dont les premiers affrontements se déroulent en Irak et au Liban. Soucieuse de préserver sa place sur l'échiquier régional, la Syrie des Assad s'allie à l'Iran pour s'opposer du coup à trois politiques qui tentent de changer le visage du Moyen-Orient. La première étant la démocratisation de la région telle que vue par l'Administration Bush à travers l'élimination du parti Baath irakien et la mise en place d'une démocratie représentative. La seconde est celle de faire du Liban un exemple de cohabitation de différentes communautés aux intérêts souvent divergents et ainsi pousser à la naissance de nouvelles entités régionales politiques démocratiques qui remplaceraient les dictatures en place. Finalement, celle de se voir perdre le droit à une voix de choix sur l'échiquier des grands et participer à la vision américaine sur l'avenir de la région.
Les trois axes de la politique syrienne
Pour ce qui est de la première, Damas a trouvé sa réponse et sa stratégie dans la mobilisation des intégristes et des terroristes aussi bien chiites que sunnites, en les armant, les entraînant et en leur assurant un refuge et un point de départ pour commettre leurs crimes aussi bien contre les Libanais que contre les casques blues de la FINUL. Et lorsqu'ils ne prennent pas la direction de l'Irak pour se battre contre les Marines, ils se replient dans les camps militaires palestiniens au Liban. Quant à la seconde, Assad tente de casser une fois pour de bon la notoriété saoudienne sur le Liban en brisant le consensus national et en poussant le Hezbollah à paralyser les institutions du pays et en créant le spectre d'une nouvelle guerre d'été à partir du Sud pour ruiner la saison touristique désespérément attendue au Liban. La dernière stratégie viserait alors une alliance avec l'Iran pour faire encore peur aux Arabes des pays du Golfe à travers des signaux qui rendent les pays de cette région, nerveux, tel que fut le cas il y a quelques jours au Bahreïn suite aux propos tenus par Téhéran qui demandait le retour de la partie chiite du Bahreïn dans son giron...
Bref, Assad semble avoir lu dans le livre machiavélique de son père feu Hafez al-Assad, tout en appliquant ses recettes avec cynisme et détermination, car il n'a plus rien à perdre, mais tout à gagner. La question principale serait alors de savoir si l'Occident tombera encore une fois dans le piège syrien au nom d'une certaine Realpolitik qui maintiendrait une certaine stabilité au détriment des libertés aussi bien du Liban que des autres pays en quête d'un changement notable. La tentative de Paris de rassembler les différentes factions libanaises autour d'un consensus pourrait opposer une partie des plans de Damas, mais c'est aux États-Unis que revient la charge de décider de l'avenir de régime de terreur... Or, le problème majeur que Washington rencontre, c'est le manque d'alternative au régime actuel en Syrie. Car, entre une dictature d'une minorité alaouite coopérante et un régime d'une majorité sunnite islamiste des Frères musulmans, la logique américaine et celle de l'Occident semblent opter pour la première...
Alain-Michel Ayache, Spécialiste du Moyen-Orient
Département de Science politique, UQAM
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