Tuesday, March 26, 2002

Le piège se referme sur Sharon

Le Devoir
Idées, mardi, 26 mars 2002, p. A7

Entre la riposte et le dialogue: Le piège se referme sur Sharon

Le premier ministre israélien se voit chaque jour au pied du mur de la violence,
de laquelle il ne sait plus comment sortir


Ayache, Alain-Michel
Analyste politique

Pris entre le marteau des opérations suicide palestiniennes et l'enclume du scénario subi par l'Armée de Défense israélienne (ADI) signé par le Hezbollah (ou le "Parti de Dieu") au Liban Sud en mai 2000, le premier ministre israélien, Ariel Sharon, se voit chaque jour au pied du mur de la violence, de laquelle il ne sait plus comment sortir.

En effet, le retrait de l'ADI du Liban à la suite des pressions des attaques répétées du Hezbollah et de l'augmentation des pertes parmi ses soldats et officiers a largement remonté le moral des masses arabes et musulmanes de sorte que le "Jihad" devint le mot d'ordre et l'arme des "opprimés".

Cette montée en crescendo des opérations de guérilla, jugées par les observateurs militaires de tout bord comme étant de qualité, est largement inspirée par le style de combat du Hezbollah au Liban. Un style utilisé et orchestré à la perfection par la propagande du "Parti de Dieu" qui avait réussi à démolir le moral des alliés de l'ADI, l'armée du Liban Sud (ALS), mais qui avait également largement touché l'opinion publique israélienne. Les Israéliens n'en croyaient plus leurs yeux à la vue des opérations de guérilla réussies contre leurs soldats et leurs alliés, filmées par les miliciens du Hezbollah. Comble du tout, les chaînes de télévision israéliennes avaient largement contribué au succès du Hezbollah en rediffusant ces "documentaires historiques" que la télévision de ces miliciens chi'ite pro-iraniens "Al-Manar" diffusait sur satellite.

Aujourd'hui le style du Hezbollah, repris par les "Moujahiddines" palestiniens, réussit à exercer une pression, non sans rappeler la période de l'occupation du Sud Liban, et affecte considérablement le moral des Israéliens. Pas étonnant de voir de plus en plus d'officiers, de soldats et des civils israéliens demander à leur premier ministre de mettre un terme à sa politique de "Terre brûlée" à chaque fois qu'un Palestinien nargue la fierté de l'ADI qui se veut "la plus puissante de la région" et se fait exploser en tuant avec lui des innocents civils quand il n'arrive pas à "envoyer au diable les occupants", comme l'on entend souvent dire dans les milieux arabes, y compris à Montréal.

Le spectre du passé

Par ailleurs, le spectre des massacres de civils dans les camps palestiniens de Sabra et Chatila au Liban, machiavéliquement orchestré par Damas et ses alliés, et auquel l'Europe souscrit favorablement par opposition à la politique d'appui unilatéral de Washington à Israël, pèse lourd sur la crédibilité d'Ariel Sharon. Ainsi se trouve-t-il pris entre la volonté de continuer sa politique de destruction des infrastructures palestiniennes et de son ennemi juré, le président palestinien Yasser Arafat, au risque d'un éclatement de l'appui de la population israélienne - et l'on aperçoit des signes annonciateurs de ce mécontentement - et l'arrêt des représailles démesurées qui poussera encore plus haut le moral des islamistes et du monde arabe. Dans un tel cas, la tactique du Hezbollah aura, encore une fois, gagné, poussant ainsi les Palestiniens à augmenter leurs revendications sur Jérusalem, voire sur "Eretz Israël", à l'instar de leur modèle favori, le "Parti de Dieu", qui clame aujourd'hui le droit sur les fermes de Shebaa occupées par les Israéliens et qui, selon les documents des Nations unies, sont syriennes et répondent à la résolution 242 et 338 du Conseil de Sécurité des Nations unies. Une situation ambiguë à laquelle la Syrie ajoute encore plus de mystère en n'avançant aucun document officiel ni aux Nations unies, ni au Liban pour prouver la crédibilité des dires du Hezbollah.

Le machiavélisme de Damas

Cette politique damascène à laquelle s'allie la politique de fer de Téhéran est aujourd'hui la cible de l'administration américaine. Or, Washington refuse de s'attaquer à la Syrie, d'autant plus que Bush, le fils, s'attend à l'appui du président Assad, le fils, dans sa planification d'attaquer l'Irak, comme avait fait avant lui, Bush, le père, en sacrifiant la liberté du Liban comme prix de l'alliance avec Assad, le père. Ce dernier avait prêté main-forte aux Américains en fermant les frontières avec l'Irak. De plus, la Syrie siège au Conseil de Sécurité des Nations unies et donc ne peut officiellement être accusée de soutenir le terrorisme. D'autres part, Sharon et W. Bush savent que la tactique du Hezbollah a largement inspiré les groupes terroristes et les "Moujahiddines" de Hamas et qu'éradiquer leurs actions, reviendrait à éliminer le Hezbollah, chose qui se révèle largement difficile dans l'état actuel des choses. Car le Hezbollah a acquis sa notoriété et sa légitimité au Liban - de par la population chi'ite devenue majoritaire - et à laquelle souscrivent les Chrétiens du Liban, forcés par la tyrannie damascène et l'indifférence occidentale à l'égard de leur survie.

Le choix entre le pire et le... pire!

Au pied du mur de la violence, le premier ministre Ariel Sharon n'a devant lui qu'un choix limité pour renverser la vapeur avant qu'elle n'anéantisse le restant de sa crédibilité, non seulement internationale et particulièrement européenne, mais surtout israélienne. Pour cela, il ne semble avoir que deux solutions: soit arriver à trouver une contrepartie chez les Palestiniens autre qu'un Arafat, affaibli par l'âge et par les groupes armés qu'il n'arrive plus à contrôler, et qui mettrait fin aux hostilités palestiniennes, soit amener toute la région dans un chaos de guerre et redessiner ainsi de nouveau la carte géopolitique de la région.

Dans le premier cas, il faudra qu'il maintienne sa politique de pression et de "Terre brûlée" pour amener les Palestiniens à trouver un remplaçant à Arafat avec qui une entente sera signée sans qu'il ne perde la face. Dans le cas second, il devra compter sur l'aide de Washington dans une guerre de grande envergure dans laquelle le président Bush ne semble pas prêt à plonger... du moins pas pour l'instant.

Les prochaines semaines seront significatives pour le choix fixé par Sharon et Bush selon que Washington entreprenne une action contre Saddam Hussein ou non, et selon les modalités de cette action, à un moment où l'ensemble des alliés européens et le Canada semblent se désolidariser de cette initiative cavalière américaine tout en demandant qu'une quelconque action soit menée sous l'égide des Nations unies.

En attendant, le piège se referme sur Sharon avec chaque attaque réussie des islamistes et du Hamas. La suite ne peut qu'être terrifiante pour les populations locales confondues. Le sommet des pays arabes, prévu à Beyrouth au mois de mars, pourra alors dessiner les contours d'une possible action de la Ligue arabe ou à défaut, ses divisions. Dans ce dernier cas, le statu quo pourrait engendrer le pire!