Wednesday, October 9, 2013

Intervention possible en Syrie - Un remake de l’Irak de Saddam?

Le Devoir,
30 août 2013

Le régime Assad est-il stupide au point de se faire hara-kiri sur la scène internationale?

Vous rappelez-vous des « armes de destructions massives » de Saddam desquelles Washington avait
peur et qui avaient mené le gouvernement Bush vers la guerre de 2003 ? Ces menaces irakiennes qui
s’avérèrent plus tard infondées ? Nous voilà aujourd’hui devant une possibilité de remake de cette
affaire, mais cette fois-ci, il s’agit du parti frère - ou cousin - de l’Irak, le parti Baath syrien du
président Bachar al-Assad.

Aujourd’hui, Bachar, fils de feu Hafez al-Assad, meilleur allié arabe pour la stabilité des fronts est et
nord d’Israël, semble devenu une persona non grata qu’il faut éliminer de la carte moyen-orientale.
Toutefois, ce que les analystes du gouvernement actuel américain ont omis dans leurs calculs résidedans la réaction de ses proches collaborateurs, mais également le manque de candidats capables de
remplir le rôle de la solution de rechange, advenant la fin dudit régime.

Les mauvais calculs d’Obama

Ce que les analystes de la Maison-Blanche semblent ignorer, c’est qu’à la différence des sunnites
d’Irak, qui comptaient de nombreux aspirants généraux pour remplacer Saddam, la communauté
alaouite à laquelle le président Assad appartient est plus solidaire de son chef. Par ailleurs, les troupes
d’élite syriennes sont principalement alaouites et sont équipées des meilleurs armements russes
existants.

D’un autre côté, ces mêmes analystes américains tablaient sur l’union de l’opposition à l’étranger. Un
groupe capable de former un gouvernement en exil, lequel serait immédiatement reconnu par les
Occidentaux et, à leur tête, les États-Unis. Or, cet espoir s’est rapidement brisé compte tenu du
manque de cohésion des candidats potentiels, incapables de se trouver un terrain d’entente.

À cela s’ajoute la variable sunnite, surtout dans l’armée syrienne sur laquelle ces analystes comptaient
comme facteur de division. Or, bien que certains généraux syriens sunnites aient quitté les rangs de
l’armée, voire pour certains avec armes, munitions et soldats sous leurs ordres, il n’en demeure pas
moins que l’armée syrienne est encore composée aussi bien d’alaouites que de sunnites et prône
toujours un discours que ses chefs considèrent « national ».

Il y a aussi l’évaluation de la capacité de combat des « rebelles », qui disposent d’un armement de
base. Or, sur ce point, les États-Unis se heurtent à un choix très difficile et crucial. En effet, la montée
de l’Islamisme salafiste pur et dur en Syrie ainsi que l’apport en armes, munitions, mais surtout en
djihadistes des quatre coins du Moyen-Orient - de l’Afrique noire et de l’Asie musulmane - font en
sorte que le théâtre des opérations syriennes est devenu trop risqué ; difficile d’y apporter une aide en
armes sophistiquées, puisqu’elles pourraient tomber dans les mains des insurgés. La décision de la
France d’annuler la livraison de missiles sol-air est assez significative à ce propos et démontre le
cafouillage occidental dans la façon de traiter la crise syrienne.

Dire certaines vérités…

Le risque le plus grand ? Que les insurgés finissent par être entièrement contrôlés par les salafistes et
les djihadistes avec l’appui des Frères musulmans syriens, mais également des autres venus de Tunis,
d’Égypte avec l’argent aussi bien saoudien que qatari. Advenant un tel résultat, les minorités en Syrie,
dont les alaouites, seraient égorgées comme le sont actuellement les chrétiens en Syrie ; ce dont on ne
parle jamais dans nos médias. Il suffit d’aller naviguer sur la toile pour voir les images des horreurs,
des terreurs et des atrocités perpétrées par les rebelles djihadistes et salafistes contre les chrétiens de
Syrie.

Or, Washington et l’ensemble de l’Occident se retrouvent sous le marteau de ces salafistes et
djihadistes, ainsi que des Frères musulmans… mais au nom d’un slogan fait des principes de liberté,
des droits de l’homme et de démocratie ; et ce, au moment où les pays dits du « printemps arabe »
prennent le chemin de retour à l’obscurantisme médiéval…

Armes chimiques : résonnons dans l’absurde!

 Le dernier chapitre du drame syrien, marqué par les armes chimiques, semble encore une fois
démontrer cet illogisme dans la gestion de la crise syrienne par les Américains, d’autant plus que de
nombreuses questions se posent sur la crédibilité d’une telle manoeuvre. S’il est vrai que des armes
chimiques ont été utilisées contre les civils syriens, et principalement des sunnites, la question qu’un
chercheur-analyste devrait poser est : le régime est-il stupide au point de se faire hara-kiri sur la scène
internationale à un moment où il cherche activement à rebâtir des ponts ? L’autre question légitime
serait alors de savoir à qui profite le crime.

Là, ce ne sont pas les acteurs régionaux qui manquent, en commençant par les Saoudiens qui ont à
leur tête l’émir Bandar bin Sultan, jadis un point de contact important du royaume avec l’ensemble des
services secrets du monde et actuellement avec Al-Qaïda… Il y a également le Qatar, qui a tout intérêt à
regagner sa place régionale, surtout qu’à la tête de ce petit émirat, le fils vient de remplacer le père.

Les jours à venir s’annoncent très sombres en Syrie et la dislocation du Proche et Moyen-Orient est à
l’ordre du jour. La question ultime serait alors de connaître le rôle que les Occidentaux comptent
réserver aux islamistes après que les dictatures arabes aient échoué dans le développement de
l’humain dans leur pays au profit de leurs poches d’abord et de leurs proches ensuite. La
condamnation timide de la destitution de Morsi en Égypte et la prise du contrôle de l’État par l’armée,
mais également les révoltes qui commencent à sourdre un peu partout dans les pays du « printemps
arabe » contre les islamistes au pouvoir sont-ils des indications de changement de cap dans la politique
occidentale et, notamment, américaine ? Si oui, pourquoi ? Regrettent-ils déjà les dictatures alliées de
l’époque ?

Alain-Michel Ayache - Chercheur, Faculté de théologie et d’études religieuses (FaTER), Université
de Sherbrooke | Actualités internationales

Photo : Agence France-Presse Abo Shuja
Des rebelles s’affairant à détruire une affiche de Bachar al-Assad (à droite) et de son père, feu Hafez al-Assad, meilleur allié arabe pour la stabilité des fronts est et nord d’Israël.