Opinions, lundi, 22 mars 2004, p. A19
Ayache, Alain-Michel
En annonçant sa décision de retirer les troupes espagnoles de l'Irak, le nouveau premier ministre de l'Espagne, José Luis Rodriguez Zapatero, vient de créer un précédent dans l'histoire de la lutte contre le terrorisme, mais surtout, il vient d'ouvrir une boîte de Pandore qui risque d'affecter l'avenir de la coopération américano-européenne, tant sur le plan de la politique internationale que celle sur le terrorisme.
Au départ, cette décision, qui peut être qualifiée de désistement, répond à la volonté du peuple espagnol : il a toujours été contre la guerre en Irak ! D'ailleurs, l'Espagne était presque un refuge pour les ressortissants du monde arabe et musulman compte tenu de l'histoire qui lie ces deux mondes. Toutefois, ce coup dur porté au gouvernement Aznar est non seulement une victoire de ceux qui ont commandité le massacre, mais également une gifle au président américain.
En effet, le fait que l'attentat ait conduit à la chute d'un gouvernement ayant soutenu la politique du président Bush, cela envoie un signal clair aux pays occidentaux en difficulté ou sur le point d'affronter une élection. Car, faisant face aux nombreuses questions auxquelles le président américain n'a plus de réponses claires, notamment en ce qui a trait aux véritables raisons du déclenchement de cette invasion de l'Irak et de la pseudoprésence des armes de destruction massive, ces gouvernements se trouvent à leur tour dans une situation politique délicate et risquent fort de payer le prix de leur soutien à Bush.
Payer le prix
Cela est particulièrement visible au Royaume-Uni où le premier ministre Tony Blair fait actuellement face à de nombreuses critiques, et où la guerre est de plus en plus perçue par les Britanniques comme une erreur et une mésaventure purement personnelle, en l'occurrence, celle de George W. Bush.
Ainsi, l'attentat de Madrid aura marqué un point contre la stratégie américaine, puisque, désormais, les principaux pays européens revoient leurs calculs et semblent prendre en considération la leçon de Madrid. Mais là où le danger réside, c'est dans l'éventualité d'un changement d'attitude brusque de ces gouvernements afin de s'aligner sur la nouvelle politique espagnole. Dans une telle éventualité, ils rendraient leur propre sécurité fragile car ils indiqueraient aux terroristes, notamment à leurs commanditaires, leurs points faibles, ce qui les encouragerait à effectuer plus d'attentats contre leurs populations respectives.
Sur le terrain, en Irak, il est clair qu'une telle attaque contre l'Espagne, ainsi que sa décision de retirer ses troupes, représentent une victoire des terroristes, même si Washington cherche à en minimiser l'impact. En réalité, l'administration américaine se trouve aujourd'hui devant une nouvelle obligation d'augmenter le nombre de ses soldats pour pallier aux troupes espagnoles, d'autant plus que ni la Pologne ni les autres pays actuellement sous le commandement de ce pays ne semblent vouloir envoyer des troupes de remplacement. Ce qui signifie en termes logistiques, pour Washington, une augmentation des coûts, mais aussi des risques de pertes accrues en vies humaines, d'autant plus que les attaques contre la population irakienne et les GI ont repris de plus belle.
De l'autre, une telle opération terroriste en terre européenne pourrait mener à court terme à l'augmentation de la pression de l'opinion publique européenne pour le retrait de toutes les troupes européennes de l'Irak et de l'augmentation du rôle de l'ONU. Dans ce cas, Washington se trouverait pris par sa propre politique et serait obligé d'octroyer un rôle plus clair et déterminant à l'Organisation des Nations unies, laquelle sera appelée à remplacer les troupes européennes mais également américaines si Washington tient sa promesse de transférer le pouvoir aux autorités irakiennes en place après le 30 juin prochain, à la suite de la signature de la première Constitution irakienne de l'après-Saddam.
Dans ce cas, la stratégie de l'administration Bush se serait révélée être un échec total et cela conduirait certainement à sa chute aux élections de novembre. Ainsi, l'attentat de Madrid aurait sonné le glas de l'ère Bush et donné plus de munitions à ses détracteurs pour miner sa politique au Moyen-Orient. Encore est-il que l'avenir de l'Irak demeure toujours une inconnue, un avenir menacé même si les marines sont amenés à se retirer à leur tour, sans avoir sécurisé le pays ni l'avoir remis entre les mains de l'ONU et d'un nouveau gouvernement irakien, accepté aussi bien par les ayatollahs chiites, par les Kurdes que par les Sunnites pro-Saddam.
Dans le cas contraire, ce serait certainement la libanisation de l'Irak qui mènera, sans doute, à sa balkanisation !
L'auteur est analyste et chercheur spécialisé sur les questions du Moyen-Orient
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