Saturday, November 29, 2003

À Bagdad ou Istanbul, le message est le même

Le Soleil
Opinions, samedi, 29 novembre 2003, p. D7

À Bagdad ou à Istanbul, le message est le même

Alain-Michel Ayache

Avec les attentats, les intégristes se lancent à l'assaut de tout ce qui ne représente pas l'islam pur et dur Bagdad ou Istanbul, le message demeure le même : exit les valeurs occidentales. C'est ce qui semble être le leitmotiv des intégristes qui se lancent à l'assaut de tout ce qui ne représente pas l'islam pur et dur.

Hier encore, on enterrait les victimes libanaises tuées dans l'explosion d'une voiture piégée en Arabie Saoudite. Puis, quelques jours plus tard, ce fut au tour de la communauté juive de Turquie et des attentats contre les intérêts britanniques qui ont fait des dizaines de morts - dont le Consul général de Grande-Bretagne à Istanbul - et des centaines de blessés.

Trois thèses pour expliquer le chaos

Pourquoi cet acharnement des islamistes contre des personnes innocentes, des chrétiens ou des musulmans ? On avance plusieurs théories pour répondre à ces attaques. La plus communément partagée, c'est celle selon laquelle le réseau Al-Qaida chercherait à déstabiliser tous les régimes arabes qui maintenaient une sorte de modus vivendi avec l'administration américaine. Ce faisant, on forcerait ces gouvernements à revoir leur relation avec les États-Unis sous un angle nouveau en tenant compte davantage de l'opinion de la rue, plus intégriste. À cette stratégie de la terreur, s'ajoute également celle de la mobilisation puisque la rue, musulmane, est influencée par les slogans arabistes, islamistes et autres qui mettent en relief le retour de Saladin pour pousser les " Croisés et les mécréants " en dehors des terres arabes.

Une telle thèse serait fondée sur la perturbation quotidienne de la stabilité de ces pays pour en arriver à une sorte de révolution populaire qui balayerait les régimes arabes ou pseudo islamistes, en vue d'y instaurer la charia, la loi musulmane.

Ainsi, cette série d'attaques ne serait que le début d'une grande vague d'attentats pour contrer la présence occidentale en terre d'Islam et dont le chef d'orchestre ne serait autre que Oussama ben Laden.

la revanche de saddam

Une seconde thèse met plus en évidence le rôle des troupes baasistes de Saddam Hussein, celles qui lui sont restées fidèles. Selon cette thèse, le dictateur irakien préparait, depuis sa première défaite au Koweït, une revanche contre les Américains, surtout si l'administration Bush voulait le destituer en s'attaquant à l'Irak. Depuis une douzaine d'années, il avait ainsi mis sur pied une troupe d'élite spéciale bien équipée, tout en camouflant des caches d'armes et de munitions dans des endroits sûrs pour usage futur lors d'actions de guérillas.

Cette méthode, qui a fait ses preuves au Liban contre les troupes de Tsahal, aurait été choisie par Saddam - dont l'instinct de survie le hantait au quotidien depuis sa prise du pouvoir en Irak, le poussant à la méfiance vis-à-vis de son entourage direct - car il savait qu'il n'avait aucune chance de succès en affrontant l'armada américaine lors d'une guerre classique. Saddam aurait divisé cette troupe spéciale en une multitude de petites cellules autonomes formées de combattants fedayins en les fournissant en armes et munitions. Ce faisant, ces combattants opéreraient d'une manière coordonnée sous ses ordres directs sans pour autant être en contact les uns avec les autres. Saddam serait la seule personne à commander ces cellules pour s'attaquer à diverses cibles en Irak, et même à l'extérieur, surtout si cela pouvait inciter des populations arabes à se soulever contre la présence occidentale ou contre les régimes amis et alliés des États-Unis. Pour cela, il bénéficierait de l'aide du réseau Al-Qaida dans une sorte de coordination et d'alliance stratégique temporaire qui servirait les intérêts des deux camps.

Selon cette thèse, la guérilla organisée d'avance viserait à provoquer un sentiment de peur chez les G.I. non sans leur rappeler le syndrome du Viêtnam. Saddam espérerait susciter ainsi un sentiment d'effroi dans la population et auprès des familles des Américains, les amenant à réclamer le retour de leurs troupes. Une défaite qui serait plus destructrice pour Bush qu'une défaite militaire, selon Saddam Hussein.

La puissance des médias arabes

Une troisième thèse, et elle prévaut auprès des intellectuels des pays arabes, veut que par son approche " démocratique " à l'américaine, Washington aurait déclenché un sentiment de haine chez les populations musulmanes, un sentiment alimenté par les reportages des télévisions arabes, notamment Al-Jazira et Al-Arabia.

Un sentiment qui aurait conduit à la naissance d'un mouvement antiaméricain et antioccidental qui s'est concrétisé par la formation de groupuscules armés, sortes de milices destinées à narguer les troupes " d'occupation " américaines avec les moyens de bord, de telles milices bénéficiant de l'aide d'anciens commandos de la brigade spéciale de la Garde républicaine de Saddam, lesquels disposeraient de certaines caches d'armes et de munitions.

D'ailleurs, de nombreux intellectuels arabes soulignent le fait que la " CNN arabe " (Al-Jazira) et Al-Arabia ont largement contribué à l'exacerbation des sentiments des Arabes vis-à-vis des populations irakiennes, en montrant les opérations militaires américaines de nuit contre les maisons des civils irakiens à la recherche de " pseudo-terroristes ".

Ainsi, voyant sur les écrans de leurs téléviseurs les marines réveillant des familles entières en plein milieu de la nuit (en contradiction avec toutes les valeurs morales et démocratiques que les Américains prônent), sortis dans leurs pyjamas - les femmes également, ce qui est une grave insulte pour les musulmans - dans la rue et forcés à adopter des positions humiliantes, même pour les enfants, un mouvement de colère, surtout des jeunes, s'était formé dans la plupart des pays arabes, les poussant à venir se battre contre les Américains en Irak.

Cela aurait été facilité par le régime de Damas qui aurait ouvert ses frontières à des clandestins arabes de tous les pays afin de participer à la déstabilisation du moral des troupes américaines, mais également de l'opinion publique américaine.

Choix restreint de Bush

Quoi qu'il en soit, aujourd'hui et plus que jamais, la présence américaine semble prise dans un guet-apens d'où elle ne pourra pas se sortir sans perdre la face devant le monde entier. Deux choix s'imposent donc à l'administration Bush, soit de plier bagage et rentrer aux États-Unis, ce qui représentera la défaite politique certaine à Bush, soit durcir l'emprise sur l'Irak de façon à étouffer la guérilla. Ce faisant, les Américains se verraient alors prendre la place de Saddam pour contrôler la rue, en adoptant en quelque sorte certaines de ses méthodes, dont les attaques de nuit et l'humiliation à toute une population prise au piège par les événements.

D'ores et déjà, l'administration américaine semble vouloir donner aux Irakiens le plein pouvoir, et au plus vite, afin de sortir des sables mouvants de la guérilla islamiste et irakienne. Si cela se concrétise sans qu'un gouvernement représentatif des aspirations chiites, kurdes et sunnites ne soit mis en place et assuré du support d'une armée nouvelle et patriotique, les Américains laisseraient l'Irak dans une situation complètement instable et explosive, susceptible de mettre le feu à toute la région, emportant avec elle les régimes arabes restés fidèles à Washington. Pour George W. Bush, ce serait la fin, comme ce fut le cas de son père après la première guerre du Golfe, et Saddam Hussein en sortirait vainqueur !

Alain-Michel Ayache

L'auteur est analyste, chercheur et chargé de cours, spécialiste du Moyen-Orient

Friday, October 31, 2003

Le piège irakien

Le Soleil
Opinions, vendredi, 31 octobre 2003, p. A15

Le piège irakien
La violence à Bagdad ne touche plus seulement les troupes coalisées,
mais aussi de nombreux civils


Ayache, Alain-Michel

En Irak, les attaques sont de plus en plus meurtrières et touchent maintenant non seulement les troupes coalisées, mais aussi les fonctionnaires de l'ONU, de la Croix-Rouge internationale et les populations irakiennes elles-mêmes. Cette recrudescence de la violence touchant les civils rappelle les premières années de la guerre dite civile au Liban, en 1975, où l'on retrouvait une multitude de factions s'affrontant, déstabilisant le pays et provoquant le chaos au profit de régimes étrangers. Faisant le parallèle avec la situation d'aujourd'hui en Irak, on ne peut que remarquer la dislocation du pays au profit de régimes avoisinants, sous l'oeil impuissant des États-Unis.

En plus des baasistes de Saddam, les trois régimes les plus susceptibles d'être touchés, voire fragilisés par cette présence de l'armada américaine, sont l'Arabie Saoudite, l'Iran et la Syrie.

Le premier, jadis allié des différentes administrations américaines, est devenu l'ennemi gênant après les attentats du 11 septembre 2001 ; le second est une source de problèmes pour la stabilité de la rue chiite irakienne et le contrôle des activités du Hezbollah libanais ; et le dernier, le plus subtil de tous ces régimes, le parti Baas de Syrie, bénéficie pour le moment de l'indulgence des "arabistes" au sein de l'administration américaine, malgré les pressions du Pentagone et de la Maison-Blanche pour mettre fin au passage des combattants islamistes à travers les frontières de la Syrie.

Or, si Washington s'est lancé dans cette guerre, ce n'est certainement pas uniquement pour instaurer la démocratie, ni même pour le pétrole ou pour réduire à néant les armes de destruction massive : c'est plus pour se positionner dans la région d'une façon permanente en vue de la préparation des changements géostratégiques et géopolitiques vers lesquels la région semble se diriger après le 11 septembre 2001 et dont les cibles ne peuvent qu'être ces trois principaux régimes hébergeant et finançant les groupuscules terroristes.

L'Arabie Saoudite

Accusé par les Américains d'avoir commandité les terroristes par l'intermédiaire de ses organisations charitables, le royaume wahabite est de plus en plus fragile face aux pressions américaines. En effet, Washington s'est démarqué de Riyad en essayant de se libérer de sa dépendance au pétrole saoudien. Cela s'est concrètement traduit par la décision du Pentagone de faire sortir les troupes américaines du Royaume, alors que des études stratégiques sur des sources alternatives d'énergie et de pétrole faisaient leur entrée dans le cercle des spécialistes et sur l'agenda des décideurs américains. C'est dans cette optique qu'il faut analyser la tournée du président américain en Afrique et son rapprochement avec la Russie pour signer des accords sur l'importation du pétrole, en échange d'un côté d'une aide et d'une implication plus remarquée de Washington en Afrique, et de l'autre, d'un accord de gentlemen avec Poutine pour fermer l'oeil sur les activités de Moscou en Tchétchénie.

En réaction, Riyad cherche à sauvegarder ses assises dans la région, en reprenant de plus belle le contrôle de la rue musulmane et notamment sunnite en Irak, et ce, à travers des organismes intermédiaires ou de personnes. La méthode utilisée rappelle celle que les wahhabites ont usée au Liban, sauf que, cette fois-ci, les chrétiens visés sont représentés pas les troupes américaines.

L'Iran

Depuis l'avènement du régime des ayatollahs en 1979, Washington a perdu une tête de pont importante dans la région ainsi qu'une source pétrolière stratégique. L'impossibilité de Saddam de gagner la guerre contre l'Iran lui a fait perdre sa crédibilité et son utilité pour l'administration Bush père. Pis, les événements du Liban et la naissance du Hezbollah, en 1983, dont certains membres sont responsables des attentats contre les baraques de marines à Beyrouth, ainsi que la réussite de ce groupuscule à mettre fin à la présence israélienne au Sud Liban, ont fait de Téhéran une cible pour Washington.

De plus, les méthodes des Gardiens de la révolution iranienne (les Pasdarans), à l'origine des premières voitures et camions piégés, ont humilié à plusieurs reprises le "Grand Satan". En effet, c'est à Beyrouth que la première voiture piégée a sauté contre des intérêts américains, et c'est le premier camion piégé qui a détruit le quartier général des marines, tuant 241 "gardiens de la paix" dans le cadre d'une mission internationale de maintien de la paix ! Une humiliation qui s'est traduite par le départ immédiat des troupes américaines du Liban sous les coups de feu, de joie, de la population chiite... et l'oeil complice de la Syrie, à qui Washington décida de confier, depuis, la gestion du Liban.

Or, les chiites représentent la majorité de la population en Irak, et à la suite de la dislocation du régime de Saddam, ces derniers cherchent à mettre en place une république chiite islamiste. La présence des Américains, avec leur vision du nouvel Irak pluraliste, ne fait que compliquer leur donne et les marginaliser car l'administration Bush cherchera à mettre au gouvernail chiite, un proche qui, forcément, sera rejeté par la majorité chiite, appauvrie davantage chaque jour, de plus en plus radicalisée et critique des promesses non tenues de Washington.

La Syrie

Pays-clé dans la région alors que feu le président Hafez al-Assad a su alterner le chaud et le froid dans ses relations équilibrées avec l'Union soviétique et les États-Unis, la Syrie s'était taillé une place de choix dans les calculs géostratégiques des uns et des autres en devenant un interlocuteur unique pour la crise libanaise. Or, la mort du président Assad père, surnommé le Bismarck du Moyen-Orient, a ouvert la porte à des excès par sa vieille garde, laquelle gère aujourd'hui la Syrie et le Liban par son fils Bachar. Pour cette garde, tout changement dans le statu quo régional affecterait la Syrie, l'affaiblirait.

Usant de sa politique de division et de terreur, Damas a pu se maintenir et garantir sa mainmise totale sur le Liban. Et c'est ce modèle "libanais" que la vieille garde essaye d'exporter en Irak. D'ailleurs, des rumeurs courent dans les rues de Beyrouth qu'une troupe des commandos d'élites de l'armée libanaise, formée par des officiers et soldats musulmans sunnites et chiites, aurait été envoyée en Irak pour entraîner les insurgés à des opérations de guérilla du type "Hezbollah contre Tsahal". De même, on parlerait d'une présence d'officiers du Hezbollah auprès des populations chiites pour les entraîner pour une guerre d'usure contre "l'envahisseur américain".

En déstabilisant l'Irak, en misant sur un conflit civil, Damas espère inciter Washington à modérer son approche envers la vieille garde, à lui octroyer même un rôle sur le futur de l'Irak, rêve qu'elle chérit depuis que le parti Baas irakien s'est positionné comme adversaire du parti Baas syrien dans les années 70.

Aujourd'hui, que ce soit l'Arabie Saoudite, l'Iran, la Syrie, ou encore des fidèles de Saddam Hussein, l'appel au Jihad est lancé pour contrer la présence américaine en espérant répéter l'exploit d'avoir poussé les marines à quitter, humiliés, le Liban. L'Irak devient alors un terrain idéal pour cette stratégie de terreur, cette libanisation du conflit : les Saoudiens, en finançant la guérilla, les Iraniens, en envoyant des instructeurs aux populations chiites, et les Syriens, en permettant aux combattants sunnites de Syrie et du Liban de pénétrer en territoire irakien avec armes et munitions. Pris au piège, Bush ne peut pas ordonner la fin de l'occupation de l'Irak car ce serait une incitation, pour tous les terroristes du monde, à livrer une guerre contre les intérêts américains, sans compter la perte totale de la crédibilité de la première démocratie au monde, de plus en temps d'élection présidentielle.

Ce qui importe pour l'Occident ne l'est pas nécessairement pour les pays du tiers-monde, pour les islamistes en particulier : exporter le concept de démocratie à l'américaine ! Washington reverra-t-il sa politique vers un régime moins ouvert et moins démocratique, mais mieux adapté aux mentalités de la région ou insistera-t-il pour implanter sa vision d'une démocratie à l'occidentale quand la plupart des Irakiens ont perdu confiance en ces promesses ? Choisira-t-il de revenir, comme lors de la dislocation de l'empire ottoman, à la création d'un nouvel Irak où une sorte de confédéralisme religieux prendra le dessus ? Optera-t-il enfin pour la dislocation de l'Irak et la création de plusieurs nouvelles nations religieusement identifiées ?

L'auteur est analyste politique et chercheur spécialisé sur les questions du Moyen-Orient.

Friday, August 8, 2003

L'héritage de Jean Chrétien...

Le Devoir
IDÉES, vendredi, 8 août 2003, p. A9

L'héritage de Jean Chrétien
Un Canada de plus en plus faible face aux dictatures du monde
De récentes affaires à l'étranger impliquant des ressortissants canadiens montrent qu'Ottawa joue la politique de l'autruche

Alain-Michel Ayache
Analyste politique et chercheur

Une fois encore, le laxisme d'Ottawa en matière de politique étrangère et son manque de fermeté vis-à-vis des dictatures du monde conduisent directement à une crise diplomatique, mais cachée, afin d'éviter des embarras quant à sa façon de mener de front de telles situations dites délicates. Un embarras qui démontre l'impuissance d'un Canada pourtant vu par l'ensemble des pays opprimés comme LE pays des droits de la personne et de la défense des valeurs universelles.

Cette position et l'image de marque qu'Ottawa faisait prévaloir dans le reste des pays du monde semblent s'effriter chaque jour un peu plus, et notamment depuis que le premier ministre Jean Chrétien a décidé de faire cavalier seul en matière de politique internationale, ne prenant pas en considération celle de nos voisins du Sud. La conséquence immédiate de cet éloignement fut la perte de crédibilité d'un Canada qui se veut fort et respecté des régimes entiers, y compris de ceux qui s'opposent à une Amérique hégémonique. Résultat : le Canada est plus que jamais fragile à l'étranger, là où, il y a encore quelques années, le passeport canadien, à lui seul, était suffisant pour sauver des vies. Aujourd'hui, détenir un passeport canadien est synonyme d'être condamné à l'emprisonnement, à la torture, à la mort ou à Dieu sait quelle autre action contre les valeurs universelles des droits de la personne dont le Canada se veut le défenseur.

Trois exemples

Preuve en donnent les multiples incidents à l'étranger dont les victimes ne sont que des Canadiens. Parmi ces derniers, notons l'exemple de Maher Arar, citoyen canadien d'origine syrienne.

Arrêté par les autorités américaines à la suite aux mesures draconiennes que Washington avait adoptées après les événements tragiques du 11 septembre, Arar fut considéré persona non grata et fut expulsé en Syrie, où il est emprisonné depuis. Certes, son expulsion par les États-Unis vers la Syrie fut condamnée par Ottawa, qui considérait qu'un citoyen canadien devrait être renvoyé vers le Canada s'il est arrêté avec son passeport canadien et non vers son pays de naissance.

Or, voilà que monsieur Arar est renvoyé en Syrie, où le régime dictatorial des Assad l'a enfermé dans des geôles desquelles il ne sortira sans doute que sur une civière... à moins d'une action internationale ferme et solide contre Damas.

Ainsi, au lieu d'insister fermement sur sa libération et d'imposer des sanctions diplomatiques et économiques contre le régime dictatorial de Bachar al-Assad, Ottawa tourne l'oeil en répliquant par le biais de ses responsables au MAECI que monsieur Arar est d'origine syrienne et donc considéré comme Syrien dès qu'il entre en Syrie. De ce fait, Ottawa n'est pas en mesure de décider quoi que ce soit à son sujet et ne peut donc intervenir en sa faveur que dans les discours politiques et lors des périodes d'élection.

Mais que dire alors à tous ces Canadiens nés à l'étranger et qui sont venus au Canada pour justement échapper à l'inhumanité de leurs régimes en place? Que dire de cette politique de l'autruche d'Ottawa, quand on sait qu'un Montréalais sur quatre est né à l'étranger? Est-ce une discrimination contre ceux-là mêmes qui font la richesse culturelle et économique d'aujourd'hui au Canada?

Deux autres cas

Le second exemple le plus frappant est celui de la journaliste Zara Kazemi. Il a fallu le savoir-faire de son fils et ses contacts personnels avec les médias pour pousser Ottawa vers une intervention pour se faire entendre auprès du régime des ayatollahs à Téhéran. Là encore, Ottawa avait avancé le fait que madame Kazemi détient la double nationalité pour expliquer qu'il ne serait pas en mesure de faire des démarches fructueuses. Or, l'insistance de son fils et la pression des médias ont poussé Ottawa à monter son ton d'un cran. Un cran qui était suffisant pour avoir des réponses vraies de la part de Téhéran et même la reconnaissance du meurtre de madame Kazemi.

Et voilà qu'aujourd'hui un troisième Canadien, cette fois-ci «de souche», est arrêté à l'aéroport international de Beyrouth et emprisonné durant plusieurs jours sans aucune accusation, ni condamnation. Pis, les autorités libanaises ont manqué à leur devoir international selon les conventions de Genève, soit celui d'informer l'ambassade canadienne au Liban qu'un citoyen canadien était en détention. Ce n'est que dix jours plus tard qu'un informateur transmit l'information à l'ambassade. Bruce Balfour, sexagénaire, fut arrêté à l'aéroport international de Beyrouth en rentrant au Liban. Il faisait partie d'une mission évangélique pour la reforestation de la forêt biblique des Cèdres, une région entièrement contrôlée par les services secrets syriens, bien qu'en territoire libanais. Il y a quelques jours seulement, le procureur de la République libanaise Adnan Addoum a accusé monsieur Balfour d'espionnage pour le compte d'Israël! Or, nul n'ignore que cette accusation est à la mode dans le lexique juridique de monsieur Addoum pour justifier toute arrestation d'opposants libanais (et ils sont nombreux à en avoir payé de leurs vies, alors que d'autres crèvent dans les geôles syriennes) ou même de toute autre personne jugée dérangeante!

Dans le cas de monsieur Balfour, son passeport porte l'étampe d'une visite en Israël. Or, selon la loi de Damas imposée au Liban, toute personne ayant visité Israël n'est pas admissible en territoire libanais. Ce qui est, à la rigueur, compréhensible pour un régime qui ne reconnaît pas l'existence de l'État d'Israël et qui le considère toujours comme l'ennemi. Mais de là à emprisonner une personne sans aucune autre justification... c'est tout de même transgresser les lois internationales et la Charte des droits de l'homme de l'ONU.

Laxisme

Que l'accusation soit justifiée et fondée ou non (encore faudrait-il apporter les preuves, ce qui n'a toujours pas été fait, et monsieur Balfour n'a pas encore bénéficié de l'aide juridique, ni des services d'un avocat, car il est persécuté par le tribunal militaire au Liban, connu pour être expéditif puisque géré par les services secrets syriens), il est important de noter que le laxisme d'Ottawa persiste quant à la défense de ses citoyens. Dans ce dernier cas, il faut souligner que, depuis qu'Ottawa a suivi l'exemple de Washington en mettant le Hezbollah sur la liste des organisations terroristes, les exactions contre les intérêts canadiens ont été nombreuses ainsi que les pressions exercées par un lobby de Canadiens d'origine chiite contre cette décision d'Ottawa. L'arrestation de monsieur Balfour fait partie de cette stratégie du Hezbollah pour mettre fin à cet embargo politique et économique d'Ottawa, sachant que l'argent que le Hezbollah pourra recueillir pour sa cause à travers les dons islamiques et autres du Canada représente une somme et pas des moindres.

Au lieu d'imiter pour une fois notre voisin du Sud et les pays européens, comme la France et la Grande-Bretagne quand il s'agit de sauver leurs ressortissants, Ottawa semble avoir ouvert une boîte de Pandore, ce qui, par inaction et manque de détermination face à un régime terroriste tel que celui de Damas et au régime libanais qu'il contrôle, serait une invitation à tous les autres groupements terroristes de la même nature à suivre les méthodes syriennes.

Les ressortissants canadiens sont mal protégés à l'étranger

Le Soleil
Éditorial, vendredi, 8 août 2003, p. A13

Commentaire

Les ressortissants canadiens sont mal protégés à l'étranger

Ayache, Alain-Michel

L'image de marque d'Ottawa, dans les autres pays du monde, semble s'effriter, notamment depuis que le premier ministre Jean Chrétien fait cavalier seul en matière de politique internationale, s'éloignant de celle de nos voisins du sud. Avec, pour conséquence, la perte de crédibilité d'un Canada qui se veut fort et respecté de régimes entiers, y compris de ceux qui s'opposent à une Amérique hégémonique. Le Canada est plus que jamais fragile à l'étranger, là où, il y a encore quelques années, la seule détention d'un passeport canadien suffisait pour sauver des vies. Aujourd'hui, détenir ce passeport n'a plus la même signfication.

Preuve en est, les multiples incidents à l'étranger dont les victimes ne sont que des Canadiens. Ainsi en est-il de Maher Arar, citoyen canadien d'origine syrienne. Arrêté par les autorités américaines à la suite des mesures draconiennes de Washington après les événements tragiques du 11 septembre 2001, Arar, persona non grata, fut déporté en Syrie, où il est emprisonné depuis. Certes, sa déportation par les États-Unis vers la Syrie fut condamnée par Ottawa, qui considérait qu'un citoyen canadien devrait être renvoyé au Canada s'il était arrêté avec son passeport canadien et non vers son pays de naissance.

Or, voilà que M. Arar est renvoyé en Syrie, où le régime dictatorial des Assad l'a enfermé dans des geôles desquelles il ne sortira sans doute que sur une civière... à moins d'une action internationale ferme et solide contre Damas. Ainsi, au lieu d'insister fermement sur sa libération et d'imposer des sanctions diplomatiques et économiques contre le régime dictatorial de Bachar Al-Assad, Ottawa tourne l'oeil en répliquant par l'intermédiaire de ses responsables au ministère des Affaires étrangères et du Commerce international que M. Arar est d'origine syrienne et donc considéré comme Syrien dès qu'il entre en Syrie.

Mais que dire alors à tous ces Canadiens, nés à l'étranger, qui sont venus au Canada pour justement échapper à l'inhumanité de leurs régimes en place ? Que dire de cette politique d'autruche d'Ottawa quand on sait qu'un Montréalais sur quatre est né à l'étranger ?

L'exemple le plus frappant fut sans doute celui de la journaliste Zhara Khazemi. Il a fallu le savoir-faire de son fils, et ses interventions auprès des médias, pour forcer Ottawa à se faire entendre du régime des ayatollahs à Téhéran. Là encore, Ottawa avait avancé le fait que Mme Khazemi détenait la double nationalité pour justifier la difficulté de ses démarches. C'est l'insistance de son fils et la pression des médias qui ont poussé Ottawa à monter le ton d'un cran.

Voilà qu'aujourd'hui, un troisième Canadien, cette fois "de souche", est arrêté à l'aéroport international de Beyrouth et emprisonné durant plusieurs jours sans aucune accusation, ni condamnation. Pis, les autorités libanaises ont manqué à leurs responsabilités internationales selon les conventions de Genève, en n'informant pas l'ambassade canadienne au Liban qu'un de leurs citoyens était en détention. Ce n'est que 10 jours plus tard qu'un informateur en a avisé l'ambassade.

Bruce Balfour, sexagénaire, fut arrêté à l'AIB en rentrant au Liban. Il faisait partie d'une mission évangélique pour la reforestation de la forêt biblique des Cèdres, une région entièrement contrôlée par les services secrets syriens, bien qu'en territoire libanais. Il y a quelques jours seulement, le procureur de la République libanaise Adnan Addoum accusait M. Balfour d'espionnage pour le compte d'Israël ! Or, nul n'ignore que cette accusation est à la mode dans le lexique juridique de M. Addoum pour justifier toute arrestation d'opposants libanais (et ils sont nombreux à l'avoir payé de leurs vies alors que d'autres crèvent dans les geôles syriennes) ou même toutes autres personnes jugées dérangeantes !

Que l'accusation soit justifiée et fondée ou non (encore faudrait-il apporter les preuves, ce qui n'a toujours pas été fait, et M. Balfour n'a pas encore bénéficié de l'aide juridique, ni d'avocat, car il est persécuté par le tribunal militaire au Liban), il est important de noter que le laxisme d'Ottawa persiste quant à la défense de ses citoyens.

L'auteur est analyste et chercheur

Saturday, May 17, 2003

La nouvelle voix de l'Amérique

Le Soleil
Zoom, samedi, 17 mai 2003, p. D4

La nouvelle voix de l'Amérique
Mise sur pied et gérée depuis Washington,
Radio Sawa diffuse une propagande d'un genre inédit


Ayache, Alain-Michel

" Mesdames et messieurs bonjour. Voici notre bulletin d'information. Aujourd'hui, plusieurs manifestations ont été signalées dans de nombreux pays occidentaux et arabes contre la guerre en Irak. (...) Des dizaines de milliers de manifestants ont défilé dans les rues, lançant des slogans contre le président Bush. (...) "

A priori, tout porte à croire que cette nouvelle radiophonique, lue en langue arabe, est diffusée sur une des radios affiliées à la chaîne de télévision Al-Jazira, surnommée la " CNN arabe ". Or, il s'agit d'un bulletin de nouvelles diffusé par la radio récemment créée par Washington dans le cadre de son approche dite de " diplomatie publique " envers les pays arabes. Une radio dont les plus récentes études démontrent qu'elle s'est confortablement installée à la première place, parmi l'ensemble des radios moyen-orientales toutes catégories confondues.

Loin du " Good Morning Baghdad ! " que les cinéphiles pourraient associer au film sur la guerre du Viêtnam (Good Morning Vietnam !), le message de Radio Sawa (" ensemble ", en arabe) est en priorité destiné aux populations arabes et aux jeunes en particulier, à partir d'un studio de Washington et non du front. En fait, il s'agit de deux sortes de diffusion, l'une dirigée vers les pays arabes et l'autre spécialement conçue pour l'Irak avec un programme propre à ce pays.

Ce qui fait l'originalité de l'ingéniosité américaine, c'est que la propagande épouse l'objectivité journalistique. Ainsi trouve-t-on des correspondants aux quatre coins de la planète et notamment en... Irak ! D'ailleurs, les journalistes de Sawa sont tellement prisés par les responsables de tous les pays arabes qu'ils sont conviés en premier à toutes les conférences de presse officielles. Une première dans l'histoire de la propagande américaine.

Le concept de Sawa est révolutionnaire et original dans le traitement de l'information. Il ne s'agit pas de diffuser une pure propagande militaire ou politique destinée à faire peur à l'auditoire arabe, cible de cette radio, mais au contraire, son but est de gagner sa confiance pour que les auditeurs l'adoptent en tant que source principale d'information. Une information qui, souvent, est absente dans leurs pays et que les médias occidentaux et notamment américains tendent à présenter et analyser à travers un point de vue purement américain et occidental. Autre spécificité de Radio Sawa, c'est celle d'émettre en alternance des chansons en arabe et en anglais, 24 heures sur 24, sept jours par semaine, avec toutes les 15 minutes, un court bulletin de nouvelles en langue arabe. Sawa, c'est également la diffusion d'informations culturelles et autres sur les stars américaines en mettant surtout l'accent sur celles et ceux d'origine moyen-orientale. C'est aussi les derniers succès et hit-parades arabes et américains qui sont joués sur ses ondes, de quoi pousser les jeunes Arabes à rester collés à leur poste radio ou devant leurs ordinateurs, puisque Sawa utilise les moyens des technologies nouvelles pour transmettre ses messages (http://www.radio sawa.com).

Son mandat officiel : rejoindre les jeunes de ces pays, gagner leur confiance quant à sa mission et son objectivité et leur diffuser la culture américaine et les principes de liberté et de démocratie. Officieusement, Radio Sawa est un excellent outil de propagande américaine revue, corrigée et adaptée aux besoins des jeunes Arabes.

À l'assaut des jeunes Arabes

Alors que, dans le passé, la Voix de l'Amérique était le seul véhicule de " propagande " américaine en direction du reste du monde, la nécessité de changer la méthode de diffusion de l'information sur les États-Unis était devenue au fil des ans une priorité pour Washington, notamment après les événements du 11 septembre 2001. Consciente de l'importance que le Moyen-Orient revêt pour les intérêts américains, Washington allait repenser sa stratégie médiatique dès octobre 1999, quand l'Agence américaine d'information (USIA) fut dissoute pour faire partie du département d'État américain. À cette époque, une nouvelle politique étrangère américaine était née. Il s'agit d'une nouvelle vision des relations diplomatiques avec les autres pays du monde, mais également d'une nouvelle façon de faire la promotion des intérêts américains en usant du savoir-faire professionnel des gourous du marketing et des médias américains.

C'est ainsi que naquit l'idée de Radio Sawa. Norman Pattiz, expert largement reconnu en marketing et fondateur d'un des plus grands réseaux télévisés de sport et de divertissement au monde, Westwood One, en est à l'origine. Membre du conseil d'administration du Broadcasting Board of Governors (BBG) et ayant un intérêt particulier pour le Moyen-Orient, qu'il avait visité à plusieurs reprises, Pattiz proposa sa vision du service arabophone de la Voix de l'Amérique (Voice of America). Son idée était basée sur les résultats des études et des sondages effectués par Washington pour connaître le taux d'écoute des émissions arabes diffusées sur la Voix de l'Amérique. Pour diverses raisons, ces cotes d'écoute frôlaient le zéro absolu, à 2 %.

Norman Pattiz proposa alors l'utilisation de la bande FM, mais également des nouvelles technologies de l'information : Internet. Pour cela, il réussit à convaincre le Congrès américain de lui octroyer la bagatelle de 35 millions $ pour démarrer ce projet. Une partie de cet argent a été consacrée à de nombreuses recherches qui ont servi à étudier les marchés arabes et les besoins de leurs populations, dont les jeunes représentent 65 %.

" Au début, certains gouvernements arabes, dont l'Irak, essayaient de bloquer notre signal FM. Le gouvernement de l'Égypte a même refusé de nous donner des fréquences sur les bandes FM et AM ", explique Joan Mower, directrice des affaires publiques de Radio Sawa. Celle-ci ajoute : " Nous y avons remédié en installant des relais dans des pays limitrophes ; et puis, nous avions la possibilité d'utiliser les satellites ainsi que les technologies d'information. Nous l'avons fait afin de permettre aux jeunes de tous les pays arabes de nous rejoindre et de nous écouter. Des négociations avec un certain nombre de pays arabes eurent alors lieu pour l'installation de divers émetteurs et relais : AM, FM, Internet, audio-numérique par satellite et ondes courtes (...). Aujourd'hui, nous disposons de relais AM à Chypre, au Koweït, à Djibouti. Nous avons des émetteurs FM en Jordanie, au Qatar, Abu-Dhabi, Dubaï, Bahreïn, Koweït, Djibouti. Nous regardons en direction de l'Afrique du Nord pour étendre notre présence et nous pensons avoir bientôt des relais au Maroc pour la bande FM. Nous émettons également sur les trois principaux satellites qui desservent les pays arabes : Hot Bird, Eutelsat et Nilesat, Internet et ondes courtes. "

Un succès inestimable

Sawa commença à émettre le 23 mars 2002. Aujourd'hui, un an après sa mise en onde, elle est devenue la favorite des radios FM au Moyen-Orient. Son originalité réside dans le fait qu'en plus de la musique dernier cri, " Sawa n'hésite pas à traiter des sujets controversés, tels la drogue et les jeunes, les accidents de la route, le sida et les relations sexuelles pré-maritales ", explique Mme Mower, ce qui lui octroie un intérêt certain de la part des jeunes des pays arabes qui recherchent ce genre de sujets souvent considérés comme tabous dans leurs pays. Mower ajoute " qu'au fur et à mesure que l'audience grandissait, comme les études le prouvaient, de nouvelles émissions étaient ajoutées. Nous avons maintenant des entrevues avec des personnalités de premier ordre, américaines et arabes, mais également d'autres qui traitent du concept de la démocratie, des droits de la personne, des droits de la femme, du droit des sociétés civiles et de leurs rôles, du droit au vote. Nous avons également un programme nommé Ask the World Now (demande au monde maintenant), une émission dont le principe repose sur les questions des auditeurs et les réponses des officiels américains ". Bien entendu, les questions sont posées pour le moment par courriel, mais Mower espère que prochainement un ou plusieurs numéros sans frais seront mis à la disposition des auditeurs dans différents pays afin de permettre une meilleure interactivité avec le public.

Pour s'assurer du succès de Sawa et de sa survie, il fallait répondre aux attentes des jeunes Arabes en matière de divertissement pour les attirer et les fidéliser, mais également avoir la bonne personne aux commandes. Le choix s'est alors arrêté sur Mowafaq Harb, citoyen américain d'origine libanaise et ancien journaliste de la chaîne de télévision américaine ABC. Connaissant le monde arabe et musulman ainsi que la mentalité des jeunes, ce directeur chevronné d'à peine 36 ans forma rapidement une équipe dynamique et enthousiaste d'Américains d'origine arabe et libanaise, dont plusieurs femmes.

Se relayant 24 sur 24, sept jours sur sept, ils entretiennent les auditeurs en leur proposant les dernières nouveautés en matière de hit-parades américains et arabes, de quoi rendre jalouses l'ensemble des radios FM du Moyen-Orient. Quant à la politique, " nous n'en faisons point ", répond Mme Mower et d'ajouter : " Nous ne sommes pas liés au département d'État. Nous sommes indépendants et notre budget vient directement du Congrès. Nous faisons de la diplomatie publique et nous sommes presque identiques à la BBC de Londres en matière de financement, mais nous sommes la seule agence gouvernementale dirigée par des citoyens privés et non par des fonctionnaires du département d'État, ce qui nous privilégient énormément dans notre liberté de mouvement. Sawa émet ce que l'on pourrait qualifier de la politique américaine (American policy), mais elle est clairement identifiée à travers son mandat officiel, qui se résume à la diffusion d'informations et de nouvelles objectives ".

La guerre en Irak

" La création de Sawa est principalement pour contrer toute désinformation, distorsion de la nouvelle quelle qu'elle soit, de même que la propagande, en offrant une information objective et mise à jour à la minute près ", explique M. Dan Nassif, directeur de la rédaction de Sawa. Il précise : " Nous suivons minute par minute l'information sur l'Irak afin de présenter à nos auditeurs les dernières nouvelles en provenance du front. (...) Nous y rapportons uniquement les faits. Nous ne faisons point de commentaires. Cependant, nous présentons des entrevues et des points de vue d'Irakiens et d'Américains d'origine irakienne résidant aux États-Unis et ailleurs dans le monde, mais aussi de l'administration américaine, laissant ainsi aux auditeurs le soin d'analyser et d'interpréter l'information reçue comme ils l'entendent. " Par ailleurs, Mme Mower précise que dans les mois à venir, Radio Sawa ouvrira son premier studio outre-mers à Dubaï, ce qui représentera un nouveau pont vers ces jeunes. De plus, voyant la réussite de Sawa, Washington se tourne maintenant vers l'Iran pour offrir une Sawa perse qui, espère-t-on, aura les mêmes résultats que ceux obtenus dans le monde arabe.

Monday, May 5, 2003

La déroute des Arabes

Le Soleil
Éditorial, lundi, 5 mai 2003, p. A14

Carrefour des lecteurs

La déroute des Arabes

Alain-Michel Ayache

Invasion, occupation ou simplement libération ? Ce sont ces termes qui animent aujourd'hui les conversations de la rue arabe, mais aussi canadienne et québécoise. Des mots qui soulèvent la colère des uns et la satisfaction des autres, dépendamment de l'appartenance de chacun.

Les émotions sont partagées entre la satisfaction des Irakiens et la colère de la rue arabe. En effet, d'un côté nous avons assisté à une euphorie irakienne après la libération dans les rues de Bagdad et de l'autre à une désolante réalité et à un choc d'incompréhension qui plonge le restant de cette rue arabe dans le désarroi. Comment oublier les nombreuses manifestations, de l'Afrique noire jusqu'aux pays du Golfe, alliés des États-Unis, en passant par les territoires palestiniens, contre cette " Amérique impérialiste et envahissante " ? Ces bains de foule des portraits de Saddam portés sur les épaules et les effigies de George Bush et de Tony Blair finissant sur le bûché ? Les réponses se trouvent sans doute dans une relecture historique et sociologique du peuple de l'Irak.

Relire l'histoire

Cette relecture historique et sociologique, il faut aller la chercher, notamment, après la fin de la Seconde Guerre mondiale, quand la Grande - retagne contrôlait l'ensemble du territoire irakien et imposait la loi de Sa Majesté. À cette époque, les Britanniques étaient rentrés pour " libérer les peuples de cette région du joug de l'occupant Ottoman ". Or, il ne fallut pas longtemps aux Irakiens et tout particulièrement aux peuplades chiites de l'Irak pour se soulever contre les " nouveaux occupants " qui se sont occupés plus de libérer le pétrole que du bien-être des autochtones. Or, le scénario américain ressemble étrangement à celui des Britanniques en 1945 et surtout au message initial, celui " d'apporter la liberté et le bien-être aux peuples de l'Irak ".

Aujourd'hui, la population irakienne vit une situation très précaire où l'insécurité règne toujours et où les nécessités quotidiennes sont loin d'être assurées, alors que l'armée américaine occupe l'ensemble du territoire irakien, et que l'intérêt qui paraît prendre la tête de la liste des préoccupations de l'administration Bush se résume à la sécurisation des puits de pétrole. En témoigne le mandat exclusif octroyé par l'administration Bush à deux des trois compagnies américaines, qui sont les seules au monde à pouvoir éteindre les puits en feu, et dont le mandat paraît aller au-delà de l'extinction des feux pour comprendre l'exploitation desdits puits.

Ce que les intellectuels arabes reprochent à l'administration américaine, c'est de n'avoir pas relu l'histoire du nationalisme irakien et notamment celle des mouvements chiites face à la présence britannique de l'époque qui s'étaient traduits par la montée de nouveaux courants hostiles à la présence occidentale. Cela a eu pour résultat la naissance de mouvements d'indépendance. Ces actions ont fini par mener Saddam au pouvoir après une période d'instabilité et de coups d'État.

Chercher à Comprendre

Quant à la surprise des populations arabes dans la région face à la chute de Bagdad, elle s'ajoute à l'incompréhension des régimes arabes du sentiment de la rue irakienne face à la nature du régime de Saddam Hussein. En effet, les régimes arabes n'ont pas voulu admettre l'existence, ni voir la vérité du régime sanguinaire du dictateur déchu durant des années. Au lieu de le dénoncer, ils ont fermé l'oeil, croyant que Bagdad se positionnait avec Damas, pourtant frère ennemi, face au sionisme au Moyen-Orient.

Ainsi, du " Machrek " au Maghreb en passant par les territoires palestiniens, la rue arabe avait vibré pour des semaines au rythme des slogans antiaméricain et anti-israélien, de telle sorte que leurs gouvernements étaient obligés de les suivre dans leur support à Saddam Hussein de peur de se voir devenir leur cible et accusés d'être vendus à l'Oncle Sam. Or, la chute de Bagdad et le refus des Irakiens de se battre contre " l'envahisseur infidèle " a complètement choqué ces peuplades pour qui Saddam avait fini par représenter une sorte de héros arabe, un Saladin des temps modernes, contre l'Occident " mécréant " et le sionisme !

Aujourd'hui, après la chute de Bagdad aux mains des marines, les Arabes du Canada cherchent toujours à comprendre ce qui s'est passé, de même que des explications à " une libération imposée ". Ils se veulent pourtant démocrates et ouverts à la critique, mais ils ne peuvent que dénoncer ce qu'ils qualifient " d'impérialisme américain " et d'" anti-islamisme ".


Sunday, April 6, 2003

La guerre des ondes

La Presse
Forum, dimanche, 6 avril 2003, p. A11

La guerre des ondes !

Dans cette seconde guerre du Golfe,
la couverture médiatique est quasi instantanée


Alain-Michel Ayache
L'auteur est analyste politique et chercheur

S'IL Y A une nouveauté dans cette seconde guerre du Golfe, qui affecte considérablement son déroulement et le moral des uns et des autres, c'est bel et bien sa couverture médiatique quasi instantanée.

Lors de la première guerre du Golfe, en 1990, on avait découvert la force de CNN. Le monde arabe était à l'époque otage de cette couverture américaine qui s'était avérée quelques mois plus tard, après la fin de la guerre, une campagne de propagande contrôlée directement par le Pentagone. Les journalistes de CNN avait été leurrés et leurs informations recueillies directement auprès des militaires.

Aujourd'hui, les choses sont différentes. L'information est brute et directe. Elle arrive aux téléspectateurs qui vivent l'action presque en même temps que les soldats, alors que le commandement au Pentagone essaye au même moment de digérer le flux d'informations divulguées par les médias avant de décider de la façon de réagir à son contenu.

Ainsi, avons-nous assisté dans la nuit du samedi au dimanche, 22-23 mars, à une guerre en direct dans les environs de Um Qasr, où des troupes fidèles à Saddam ont occasionné un retard considérable à l'avancée de la 7e brigade mécanisée de la Cavalerie américaine qui se dirigeait vers Bagdad.

Les médias en plein feu de l'action

Cette participation des médias à la guerre en vue de fournir des informations aux civils n'est pas nouvelle en soi. Ce qui l'est, c'est l'effet qu'elle produit sur le moral des uns et des autres. D'ailleurs, il est important de noter à ce sujet la réaction des gouvernements, qu'ils soient occidentaux ou arabes, à toute percée militaire ou autre de part et d'autres et dont les médias font état.

L'exemple par excellence qui résume à lui seul cet effet, c'est la guerre du Liban, en 1999 et 2000, lors de l'affrontement entre le Hezbollah et l'armée défensive d'Israël qui évacuait rapidement ses positions au Liban Sud pour se replier vers Israël. À cette époque, la télévision du Hezbollah, Al Manar, avait joué un rôle primordial dans la déstabilisation du moral des troupes israéliennes, mais surtout de leurs familles.

En effet, le nombre de clips vidéos que le bureau de propagande du Hezbollah avait diffusé sur les ondes d'Al Manar était à lui seul capable de démontrer que le mythe de l'armée israélienne "que l'on ne pouvait point vaincre" était tombé à l'eau. Le Hezbollah avait filmé ses opérations militaires contre les positions de Tsahal et celles de ses alliés de l'armée du Liban Sud, ce qui avait eu pour effet de soulever la colère des mères des soldats israéliens et de l'opinion publique israélienne contre la présence des soldats israéliens au Liban.

D'un autre côté, l'action médiatique du Hezbollah, orchestrée à la perfection, avait contribué à remonter le moral des masses arabes d'une manière considérable, donnant ainsi plus de munitions aux Palestiniens pour mener des attaques suicides contre les positions israéliennes et ailleurs dans le monde contre les intérêts américains, le tout filmé et diffusé par Al Manar, ainsi que sur la chaîne de télévision arabe Al-Jazira.

Al-Jazira: la CNN arabe

L'autre nouveauté dans cette seconde guerre du Golfe, c'est la montée de la chaîne de nouvelles continues Al-Jazira, surnommée la CNN arabe. La montée rapide dans les cotes d'écoute de cette chaîne sur satellite a fourni aux Arabes une tribune inespérée, s'exprimant dans leur langue, mais surtout montrant l'actualité sous un angle différent de celui diffusé par les chaînes américaines et notamment par CNN.

Ainsi, Al-Jazira se positionne face à CNN comme la chaîne des Arabes. Les combats en directs sont désormais couverts non seulement par les chaînes occidentales, mais également arabes. Or, il suffit de bien écouter la façon dont l'information est traitée, que ce soit par les médias occidentaux ou arabes, pour remarquer la différence dans le traitement des faits et leur interprétation; il en est de même pour le "timing" de la diffusion des reportages.

L'exemple type de cette différence se situe au niveau de la diffusion des images de destruction des cibles irakiennes et américaines. Chaque camp diffuse les images qui lui sont favorables. Ainsi, voyons-nous CNN, MSNBC et ITN diffuser des images des soldats de la coalition en train de mener des attaques sporadiques, mais où l'accent et l'emphase sont mis davantage sur la supériorité de la puissance de feu occidental. D'ailleurs, il suffit d'écouter les éloges que nombre de journalistes américains font de cette force militaire; ils s'expriment souvent "comme s'il s'agissait d'une console de jeu vidéo". D'autres vont plus loin en admirant "le spectacle nocturne dans le ciel de Bagdad" causé par les bombes et les missiles de croisières de la coalition.

Face à eux, la propagande arabe sur Al-Jazira est merveilleusement orchestrée par Bagdad avec la complicité flagrante de cette chaîne qatari. Comme on sait, la couverture de CNN à Bagdad, qui insistait beaucoup sur la puissance de feu des troupes américaines et sur la précision des tirs de la coalition dérangeait considérablement Saddam et ses sbires. Ceux-ci ont donc poussé l'équipe de CNN hors de la ville.

Ce sont les chaînes arabes qui ont pris la relève pour diffuser ce que Bagdad voulait faire transmettre comme message non seulement aux Occidentaux, mais également et spécialement aux masses arabes dans le but de soulever encore plus la rue contre leurs dirigeants accusés par Saddam de vendre la cause arabe et de l'Islam. Ce faisant, le dictateur irakien espère pousser le restant des pays arabes dans cette guerre, en noyant la coalition dans les marées de l'Islam.

Le choc des images

C'est dans cette optique que Al-Jazira a diffusé les images des soldats américains tués et fait prisonniers par les troupes de Saddam. Pour les responsables de cette chaîne arabe, il s'agit là du droit à l'information qu'on se targue d'exercer objectivement. Pour les autorités irakiennes, il s'agit de prouver la capacité de leurs troupes à battre les "infidèles et les mercenaires", mais surtout de remonter le moral des masses arabes pour les sensibiliser face à cette guerre. La propagande irakienne est telle qu'elle vise en premier l'image de marque américaine en montrant les destructions et les victimes "innocentes de l'agression des mécréants".

C'est également dans cette optique que Peter Arnett a été viré par NBC et National Goegraphic. En effet, le fait qu'une célébrité journalistique comme lui ait été interviewée par la chaîne de télévision irakienne n'est pas en soi un problème. Ce qui l'est, c'est le contenu de son discours critique vis-à-vis des forces armées américaines, qui avait pour effet de valider les dires de Saddam et de discréditer encore plus le message du président américain aux yeux du reste du monde arabe et notamment des musulmans.

La décision du commandement américain d'éloigner des lieux du combat le correspondant de la chaîne Fox est un autre exemple qui illustre l'importance du rôle des journalistes sur le terrain des opérations. Se prenant pour un analyste militaire et pensant apporter un zeste de suspense à la Hollywood à son reportage, Geraldo Rivera était bêtement tombé dans le piège du showbiz. Ainsi, il avait fait un croquis dans le sable du désert, en direct devant les caméras, des positions de la troupe de la 101 aéroportée qu'il accompagnait afin d'expliquer aux téléspectateurs le déroulement des opérations militaires. Tout cela en détaillant la manière dont les Marines américains allaient mener leur attaque contre les positions irakiennes. On l'a donc expulsé.

Ce qu'il avait oublié de prendre en considération, c'est que le commandement irakien scrute à la loupe les nouvelles télévisées américaines qu'il utilise comme source de renseignements militaires. Pas étonnant alors d'entendre le Commandement américain dire que Rivera avait compromis les opérations militaires.

Otage du direct

Quoi qu'il en soit, l'information est devenue aujourd'hui l'otage du direct et des manipulations gouvernementales de part et d'autres, alors que l'armée américaine est devenue à son tour victime de sa propre propagande. Certes, les Alliés sont aux portes de Bagdad, mais le temps commence d'ores et déjà à jouer contre eux. Un flot d'images montrant des cadavres de soldats américains et britanniques, de même que la montée rapide dans le nombre des pertes en vies humaines, côté coalition, risquerait fortement de compromettre la mission de cette guerre.

L'information sera déterminante au cours des prochaines semaines en ce sens qu'elle contribuera à faire balancer le poids de la guerre d'un côté ou de l'autre. Les effets d'un tel rôle sur le moral de la population américaine et britannique, mais également arabe, est extrêmement important d'autant plus que l'issue de cette guerre pourrait en être affectée. Washington pourrait se retrouver rapidement dans une situation similaire à celle qu'il avait subie au Vietnam une fois l'opinion publique américaine démoralisée par le nombre des pertes de vie. C'est exactement ce que Saddam cherche à causer en utilisant Al-Jazira comme base de départ de sa propagande meurtrière et démoralisante.


Friday, March 21, 2003

Le prélude d'une nouvelle ère au MO

Le Soleil
Opinions, vendredi, 21 mars 2003, p. A19

La guerre en Irak
Le prélude d'une nouvelle ère au Moyen-Orient

Ayache, Alain-Michel

Le message essentiel que Washington fait passer aux dirigeants du monde arabe, et aux autres, c'est non seulement sa détermination à bouter Saddam Hussein, mais surtout celui de signaler à ses anciens alliés - particulièrement saoudiens - qu'ils avaient commis l'erreur de soutenir les actions terroristes sur le sol américain.

Cette politique américaine découle du 11 septembre. Elle vise à mettre fin au terrorisme islamiste, à sécuriser l'économie mondiale, et notamment américaine.

" Le pétrole, toujours le pétrole ! ", disent toujours les intellectuels arabes. " Si au moins Washington pouvait être honnête et avouer pourquoi il s'attaquerait à l'Irak au lieu d'accuser injustement Saddam d'être responsable de tous les maux qui ont frappé l'Amérique ", entendons-nous souvent commenter dans les cercles diplomatiques et les milieux de l'intelligentsia arabe.

Malaise

Cette prise de position par la majorité des intellectuels arabes résidant en Amérique du Nord et en Europe, résume en elle-même le malaise qui monte dans les rangs des anciens amis et admirateurs de l'Amérique des valeurs démocratiques. Cela est dû au fait que pour les Arabes, Saddam Hussein, loin d'être leur " modèle de démocrate ou de dirigeant ", n'est pas pour autant responsable, du moins directement, des actes de terrorisme du 11 septembre. Ainsi, l'action des États-Unis paraît comme celle d'un géant cherchant un bouc émissaire pour établir sa loi et son règne sur ce que les Arabes considèrent comme le leur : la richesse énergétique. Une richesse, qui pour de nombreux dirigeants, représente la garantie non de la survie de leurs économies nationales, mais bel et bien de leurs richesses personnelles et de la survie de leurs règnes.

Aujourd'hui, le fait que Washington cherche à mater Saddam Hussein représente pour eux le début de la fin de cette période de flirt avec les États-Unis depuis la dislocation de l'URSS. Pour les analystes arabes, la volonté de Washington de sécuriser son économie en mettant la main sur le pétrole irakien est le début du changement des régimes dans la région. C'est d'ailleurs pour cette raison que la plupart des éditoriaux des journaux arabes, souvent des organes de propagande de leurs propres gouvernements, critiquent ouvertement la détermination du président américain à lancer une attaque unilatérale sans l'aval du Conseil de sécurité des Nations unies.

Or, depuis que la France a pris la tête des pays occidentaux opposés à la guerre contre l'Irak, les masses arabes dont les esprits sont échauffés par la chaîne de télévision arabe Al-Jazira, manipulées par leurs dirigeants spirituels et indirectement encouragés par le politique, ont adopté la démarche française qu'elles avaient toujours jugée plus proche des Arabes que d'Israël, ce qui s'est traduit par un appui tous azimuts à la politique gaullienne, alors que les États-Unis et la Grande-Bretagne sont accusés de tous les mots...

Invasion

Ainsi, l'attaque américaine représenterait pour l'ensemble des populations arabes une invasion et non une libération. Invasion, car l'appel à la guerre n'est pas unanime. Invasion, car le but final est analysé comme celui de redessiner la carte géopolitique de la région au gré des intérêts américains, mais aussi israéliens. Certains voient d'ailleurs dans le " choix " américain de l'Irak une sorte de substitut à la dépendance américaine sur le pétrole saoudien. Ce faisant, l'Irak fournirait une deuxième grande source d'import de brut pour l'Amérique, réduisant du fait, le rôle important que l'Arabie Saoudite détenait jusqu'aux événements du 11 septembre dans les calculs de la politique étrangère américaine dans la région.

Maintenant que les Wahhabites sont montrés du doigt par les enquêtes des agences de sécurité des États-Unis, le royaume saoudien semble vivre ses dernières années de tranquillité. Pour de nombreux analystes arabes, il serait sur la liste principale des pays islamistes que Washington chercherait à déstabiliser, puisque, lorsqu'il s'agit d'investissements, l'expérience a démontré que les États-Unis pouvaient bloquer les avoirs de pays, de régimes ou de dirigeants accusés d'être liés ou de collaborer avec des terroristes. Donc, aux yeux des Arabes, il s'agit avant tout pour Washington de mettre la main sur les ressources pétrolières de la région, ce qui lui assurera une supériorité économique et un contrôle accru sur les économies des autres pays, notamment l'Europe, mais également le Japon, dont les approvisionnements énergétiques au Moyen-Orient couvrent environ 80 % de l'ensemble de ses besoins.

Or, il fallait s'y attendre, ce que les alliés arabes voulaient, ne fait pas nécessairement l'affaire de Washington. Les chefs d'État arabes le savaient. Ils espéraient encore, tout en soutenant la politique de la France contre tout usage unilatéral de la force américaine... Ils craignaient le pire, non par solidarité pour Saddam Hussein, mais plus pour des calculs mercantilistes et pour leur propre sauvegarde. Aujourd'hui, ils se retrouvent dans une situation très délicate qui non seulement changera la situation politique de l'Irak, mais qui également risque fort de sonner le glas de leur règne dans les semaines à venir.

En effet, si la position de l'ensemble des gouvernements des pays arabes, pourtant alliés des États-Unis, est restée mitigée quant à endosser l'attaque américaine sans un feu vert du Conseil de sécurité des Nations unies, c'est principalement à cause de la peur de voir la rue arabe se révolter pour apporter son appui à Saddam Hussein. D'ailleurs, ces dirigeants savent qu'une guerre impliquant la dislocation de l'Irak mènera certainement à la montée des tensions internes dans leurs pays, poussant les oulémas fanatiques à user de leurs prêches du vendredi pour enflammer la rue et mener des manifestations que seule une répression dans le sang pourrait mater.

Ce qui démontrerait encore une fois que les régimes arabes sont loin de l'essence même de la démocratie, ce qui donne à Washington une justification de plus de vouloir " aider les pays de la région à virer vers la démocratie " et donc de pousser vers un changement de ces régimes.

L'avenir des régimes arabes en jeu

Que ce soit l'Égypte ou la Jordanie, principaux " amis " de Washington, les deux pays se sont ralliés aux décisions émanant de l'ONU et ils comptaient s'aligner sur celle du Conseil de sécurité si la deuxième résolution avait été présentée par Washington. Or, les dirigeants arabes demeurent divisés sur la façon de s'y prendre pour contrer cette nouvelle " hégémonie et agression " américaine, et ils essayent désespérément de trouver des scénarios pour sauver la face devant leurs populations qui les accusent d'avoir collaboré avec " le Grand Satan " américain et trahi la cause arabe. De même, ils tentent de sauver ce qui peut l'être encore de leur relation avec Washington.

D'ailleurs, il est intéressant de noter que lors de la première guerre du Golfe, Damas avait eu l'aval de Washington pour prendre d'assaut les dernières régions libres du Liban, en échange de sa collaboration avec l'effort américain pour faire sortir Saddam du Koweït. Or, vendredi passé, après que Damas se soit aligné officiellement avec la France dans le camp du non au Conseil de sécurité, le secrétaire d'État américain déclarait que Damas occupait militairement le Liban et donc devait sortir ses " armées d'occupation " du pays des cèdres et laisser les Libanais gérer leur pays. C'est une première alors que, durant 12 ans, Washington avait tourné son oeil sur les exactions de Damas contre la souveraineté du Liban.

Ainsi, le message pour les Arabes est clair : " vous êtes avec nous ou contre nous. " Pour l'instant, tout porte à croire que la position arabe ne changera pas, car la réaction de la rue fera long feu et risquera d'embraser les gouvernements en place, l'Islam intégriste étant à son apogée dans cette guerre déjà interprétée comme une croisade contre l'Islam. Ce qui a pour résultat de placer les minorités chrétiennes au Moyen-Orient en danger imminent de représailles. Plusieurs incidents ont déjà été rapportés dans les pays arabes et au Liban. Ce qui explique pourquoi les minorités chrétiennes " ont choisi la voix de la raison, celle de la France, celle de la paix ", selon un éminent journaliste libanais.

L'auteur est journaliste indépendant et spécialisé dans les questions du Moyen-Orient