Actualités, samedi, 19 juillet 2008, p. 25
à prendre avec des pincettes !
Pour un novice en relations internationales, le "souhait" du Président syrien, Bachar al-Assad, exprimé cette semaine à Paris, de voir "la France et les États-Unis intercéder" auprès d'Israël pour la reprise officielle des pourparlers de paix entre Damas et Tel-Aviv, paraîtrait comme un "assagissement" et une nouvelle page dans l'histoire du Proche-Orient ! Or, à bien analyser les donnes de la région, un "initié" aux tactiques "assadiennes" laissées en héritage par feu Hafez al-Assad, alias "le Bismarck du Moyen-Orient", à son fils Bachar, démontrent le machiavélisme d'un chef d'État qui tente le tout pour le tout au moment où l'Occident pointe du doigt l'autre "danger", l'Iran.
En effet, cette demande est loin d'être innocente. L'expliquer revient avant tout à démontrer la volonté de Damas de mettre fin au boycott occidental qui la touche dans la région, pour regagner sa place à la table des négociations ; cette place que Damas a perdue avec l'assassinat de l'ex-premier ministre du Liban, Rafic Hariri, en 2005 ainsi que les multiples assassinats politiques dont sont responsables selon toute vraisemblance ses services secrets et plus particulièrement Assef Chaoukat, le beau-frère du Président syrien. Ce faisant, Assad éloigne du coup le spectre du tribunal international qui pointe à l'horizon et cherche à faire la lumière sur ces assassinats.
Mensonge
Or, encouragé par les derniers succès politiques du Hezbollah tant au Liban que face à Israël - notamment dans le dossier de l'échange des prisonniers libanais contre les corps des soldats de Tsahal, kidnappés et tués par la milice pro-iranienne - le président syrien tente de se faire entendre en multipliant les signes de "bonne volonté". Toutefois, s'il est vrai que le Hezbollah contrôle maintenant le Liban face aux pro-occidentaux, il n'en demeure pas moins que c'est davantage l'Iran qui détient jusqu'aujourd'hui la principale clef dès lors qu'il s'agit de convaincre le Hezbollah de faire preuve de retenue ou non. Consciente de cette réalité telle que perçue par l'Occident, Damas, tente coûte que coûte de la changer, en démontrant qu'il ne faut point la considérer comme n'étant qu'un simple passage pour les armes et munitions qui transitent de l'Iran vers le "Parti de dieu".
Cette tentative de changement de "l'image de marque" de Damas explique, selon certains observateurs arabes l'assassinat du responsable militaire du Hezbollah, Imad Moghnieh, à qui on attribue des multiples assassinats et attentats anti-américains et anti-israéliens et qui était qualifié de terroriste le plus recherché par les États-Unis. Or, son assassinat à Damas, ne pouvait être, selon ces mêmes observateurs arabes, que le travail des mêmes services secrets syriens responsables de la série d'assassinats de politiciens et journalistes libanais anti-syriens. D'autres iront jusqu'à dire que pour ce dossier en particulier et pour rapprocher le point de vue syrien de celui des Américains, les services secrets jordaniens s'étaient alliés à cette partie "de chasse au terroriste"... à Damas !
Aujourd'hui, s'il est question de pourparlers secrets entre Damas et Tel-Aviv, Israël ne semble pas prêt à sacrifier sa sécurité et remettre le Golan aux Syriens pour une paix illusoire et d'autant plus fragile, tant et aussi longtemps que Damas ne ferme pas les bureaux de Hamas à Damas et chasse du pays Khaled Mechaal, le leader palestinien de Hamas responsable des actions terroristes contre Israël. De même, tant et aussi longtemps que le Hezbollah est aidé par Damas et ses cadres et ses armements transitant via la Syrie, le Nord d'Israël demeurera sous la menace du Hezbollah et de l'Iran.
Mais alors de quelle paix parle le Président syrien ? Le "souhait" syrien paraît alors un leurre pour acheter du temps tout en misant sur le changement dans la politique américaine à venir avec le nouveau président. Pis, Damas mise sur l'arrivée de Barak Obama au pouvoir, d'autant plus que durant les primaires, le candidat démocrate avait lancé des signes interprétés par Damas comme lui étant favorables, brisant du coup un boycott de l'actuelle administration américaine et ouvrant de nouvelles possibilités au Président syrien.
Ainsi, Damas tentera d'augmenter ses chances en présentant un nouveau visage, celui d'un État voulant enterrer la haine et le passé douloureux. Cette nouvelle page aurait commencé avec l'acceptation récente d'établir des représentations diplomatiques entre la Syrie et le Liban, ce qui est en quelque sorte une reconnaissance de la pleine souveraineté du Liban, chose que Damas n'avait jamais accepté de faire depuis son indépendance totale de la France en 1946. Or, l'établissement des représentations diplomatiques ne peut en aucun cas à lui seul être suffisant pour faire confiance à l'actuel régime syrien. À cela s'ajoute l'alliance entre Téhéran et Damas qui rend les choses encore plus compliquées non seulement pour Israël mais surtout pour l'Occident en général et les États-Unis en particulier. En effet, dans un scénario de guerre contre l'Iran, quel serait le rôle de Damas, sachant que les armes qui parviennent au quotidien au Hezbollah transitent par le territoire syrien ? Est-ce que Damas se risquerait contre le Hezbollah pour le miner de l'intérieur et l'affaiblir quitte à gagner la confiance de l'Occident ? Qui de ses alliés au sein du nouveau gouvernement libanais, lesquels disposent d'un droit de veto capable de bloquer à tout moment les institutions du pays ? Et le dossier irakien dans tout cela et l'interférence de Damas qui envoi des combattants islamistes pour défier les Américains et contribuer avec l'Iran par islamistes interposés à miner la stabilité de ce pays ?
Entre craintes et espoir
Les réponses ne peuvent guère être rassurantes peu importe les stratégies verbales déployées à cet effet par le Président syrien à Paris. Seul un changement drastique de 180 degrés de la politique syrienne pourrait aboutir à une paix véritable dans la région. En d'autres termes, cela équivaudrait à la fin du régime syrien actuel. Or, avec l'impossibilité pour l'Occident de trouver une alternative à ce gouvernement et avec le grand échec américain en Irak, l'Occident et notamment Washington et Paris, risqueront-ils de déstabiliser la Syrie et aboutir à un scénario catastrophe similaire à celui de l'Irak qui engloberait le Liban et Israël ? Tout tend à croire que si la Syrie avance des signes encourageants, c'est davantage pour justifier une position occidentale pour entamer un semblant de reconnaissance d'une Syrie sur un fond de branle-bas de combat en gestation contre l'Iran. La paix semblerait alors plus fragile que jamais !
Alain-Michel Ayache,
spécialiste du Proche et Moyen-Orient
Département de Science politique
Université du Québec à Montréal (UQÀM)
Illustration(s) :
AP
Le président syrien, Bachar al-Assad rencontrait le 12 juillet dernier le président français, Nicolas Sarkozy.
© 2008 Le Droit. Tous droits réservés.
Numéro de document : news·20080719·LT·0064
No comments:
Post a Comment