Thursday, July 17, 2008

L'humanitaire versus «le terrorisme»!

Cyberpresse

Le jeudi 17 juil 2008

LE SOLEIL - ANALYSE

L'humanitaire versus «le terrorisme»!

Alain-Michel Ayache
Spécialiste du Proche et Moyen-Orient
Département de Science politique
Université du Québec à Montréal

Deux ans après, presque jour pour jour, le Hezbollah remet les corps des deux soldats israéliens qu'il avait kidnappés lors de son attaque par delà la ligne bleue, en territoire israélien. Une attaque qui avait été à l'origine de la «seconde guerre du Liban» de juillet 2006.

Aujourd'hui, les tractations entre le Hezbollah et Israël à travers la médiation allemande, a permis aux Israéliens de rapatrier enfin ces deux corps, en échange d'un grand gain pour le Hezbollah.

La «victoire» du Hezbollah

Pour la rue arabe en général et pour les Libanais en particulier, notamment les prosyriens, cet échange représente la plus grande victoire jusqu'à là achevée par une «résistance musulmane». Et pour cause. Lors des 33 jours de combats entre le Hezbollah et Tsahal, Tel-Aviv cherchait à maintenir son image de force de dissuasion pour l'ensemble de ses ennemis. Or, voilà qu'une milice chiite, forte de quelques milliers de combattants, réussit à résister au mythe de l'armée la plus forte de la région, voire l'une des meilleures au monde.

Bien que le prix ait été lourd du côté du Hezbollah, même si officiellement ses chefs nient la perte de plusieurs centaines des leurs parmi les 1200 Libanais tués durant ces affrontement de 2006, et malgré que le Hezbollah n'ait pas réussi durant ces affrontements à interdire l'accès de Tsahal au territoire libanais comme il l'avait à maintes reprises annoncé à ses fidèles, il n'en demeure pas moins qu'Israël a échoué d'atteindre ses objectifs dont le premier, celui de libérer les deux soldats kidnappés. Quant aux armements du Hezbollah, il s'est reconstitué d'une manière encore plus rapide et plus efficace, et ce, même avec la présence de la FINUL censée l'interdire!

Nasrallah, «le héros de l'Islam»

En soi, le fait d'avoir réussi à bloquer les plans d'Israël, mais également à détruire un nombre considérable de ses chars d'assaut qui faisaient la terreur des pays arabes, était une grande victoire pour le Hezbollah au niveau de la rue arabe. De plus, l'image de marque de l'armée indestructible d'Israël avait fini par succomber à la détermination suicidaire des combattants du «Parti de dieu».

Cela avait largement contribué à la popularité du Hezbollah et de son Secrétaire général Sayyed Hassan Nasrallah. On a vu en lui, le «sauveur» et le «véritable héros» que les leaders arabes n'avaient pas réussi depuis 60 ans à se donner ! Par ailleurs, fort d'une confiance en ses capacités et ses hommes, Sayyed Hassan Nasrallah cherchait à prouver au monde entier et au monde arabe et musulman en particulier, qu'il était un homme de parole. Il leur avait promis la libération des «otages» libanais en Israël, ces prisonniers de guerre qu'Israël avait capturés durant les actions terroristes contre son territoire ou lors de la «Seconde guerre du Liban». Aujourd'hui, il vient de prouver qu'il respectait sa parole et qu'il agissait en conséquence, ce qui lui vaut du coup une image encore plus solide d'«l'homme intègre» et de «l'héros de l'Islam»…

«Chose promise, chose due !»

Le fait d'avoir réussi à obliger en quelque sorte Israël à libérer l'ensemble des détenus libanais et de rendre les corps de plusieurs dizaines de combattants arabes et libanais tués durant les nombreux affrontements que vit cette région du monde, est considéré comme un autre coup de massue contre Olmert! Car Nasrallah avait à maintes reprises déclaré que sa milice resterait armée jusqu'à ce que le dernier otage libanais soit libéré des prisons israéliennes, mais également que les Fermes de Chebaa le soient de même.

En d'autres termes, cela voudrait dire que les armes du Hezbollah demeureront présentes tant et aussi longtemps que ces fermes n'auront pas été remises au Liban, alors qu'officiellement, selon les Nations Unies, la résolution du Conseil de Sécurité 425 qui concernait le retrait de l'occupation du territoire libanais par Tsahal avait été accompli en mai 2000 lors du retrait officiel du dernier soldat israélien. Ce que le Hezbollah refuse de reconnaître tant que ces fermes sont encore occupées, alors qu'en réalité elles l'ont été par Israël durant la guerre de 67 après avoir chassé l'armée syrienne qui s'y trouvait!

Le geste d'Israël et ses répercussions

Pour de nombreux observateurs, Israël ne pouvait plus ignorer son opinion publique et notamment les appels des familles de ces deux soldats. Pour un pays démocratique comme Israël, le gouvernement n'avait plus le choix que d'accepter les demandes des familles et de s'incliner en quelque sorte devant l'humanitaire, en mettant de côté le militaire.

Or, ce geste, s'il est considéré par la majorité de la population comme étant noble et une continuité dans la tradition juive israélienne de ne point laisser derrière, des corps des siens ou des prisonniers de guerre, il n'en demeure pas moins que cela est interprété comme un précédent dangereux par plusieurs. En effet, le fait qu'Israël s'incline devant les demandes du Hezbollah constitue une première car un message erroné serait envoyé du coup à l'ensemble des ennemis de l'État hébreu pour les encourager à entreprendre des actions similaires sachant qu'Israël finira par privilégier l'humanitaire sur le militaire! Cela pourrait affecter la libération du soldat Guilad Shalit actuellement détenu par le Hamas depuis également 2006, juste avant la Seconde guerre du Liban. L'échange d'aujourd'hui ne pourrait être qu'encourageant pour le Hamas et l'inciter à monter les enchères encore plus, dans l'espoir d'augmenter ses gains à l'Instar du Hezbollah…

Ainsi, la libération d'aujourd'hui a sans aucun doute apporté un prestige sans précédant au Hezbollah, ce qui consolide encore plus son pouvoir au Liban, notamment après son succès militaro-politique face au gouvernement pro-occidental… La question principale sera alors celle de savoir si l'Occident et Israël se voient désormais forcés d'adopter une Realpolitik vis-à-vis du Hezbollah, de la Syrie et de l'Iran faute d'alternatives viables, et ce, pour éviter toute escalade militaire dans la région sur un fond de crise économique sans précédent aux États-Unis!

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