Sunday, August 10, 2008

La visite du président syrien en Iran, Prélude à un rôle nouveau?

Le Devoir
IDÉES, samedi, 9 août 2008, p. b5

La visite du président syrien en Iran
Prélude à un rôle nouveau?

Alain-Michel Ayache

À priori, la récente visite du président syrien Bachar al-Assad en Iran s'inscrit dans le cadre d'un exercice diplomatique annuel que ce dernier s'est habitué à faire depuis l'accession au pouvoir du président iranien Mahmoud Ahmadinejad. Or le fait qu'elle ait eu lieu la fin de semaine où l'ultimatum occidental, pour que l'Iran accepte de se plier aux exigences de l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA), venait (du moins théoriquement) à échéance la rend particulière, et pour cause: la dernière rencontre entre Assad et le président français Nicolas Sarkozy semble avoir donné lieu à un accord tacite entre les deux hommes.

En effet, tout porte à croire que le président français aurait promis un retour de la diplomatie syrienne à la table des grands au Proche et au Moyen-Orient, en échange de bons offices et de concessions de la part de Damas. Ce qui s'était traduit quelques jours après la rencontre au sommet de Paris par l'acceptation de Damas, pour la première fois depuis son indépendance, d'établir des représentations diplomatiques avec le Liban, le reconnaissant enfin comme un pays souverain à part entière.

Le second geste de Damas fut de lancer un signe «encourageant» - selon les commentaires de certains diplomates occidentaux - à l'égard d'Israël pour rétablir le dialogue afin d'aboutir à une paix durable. De plus, l'annonce faite à Paris par le président Sarkozy qu'Assad aurait demandé à Paris et à Washington d'intercéder auprès de Tel-Aviv pour reprendre les négociations prouve que Damas semble avoir finalement réussi à briser le mur d'isolement que l'administration Bush avait mis en place après l'assassinat de l'ex-premier ministre libanais Rafic Hariri, le 14 février 2005.

D'autres signes viennent s'ajouter à l'importance du rôle que les Occidentaux semblent de plus en plus vouloir octroyer à la Syrie, dont la médiation turque avec Israël pour la reprise des négociations de paix entre les deux parties, mais également les déclarations à Washington du vice-premier ministre israélien, Shaul Mofaz, sur la nécessité pour Israël «de poursuivre ses pourparlers de paix avec la Syrie sous médiation turque et sans condition préalable», laissant du coup une large marge de manoeuvre aux Syriens! Tout cela souligne les changements sur lesquels Damas table pour reprendre un rôle régional qui lui est dû, selon des observateurs arabes. D'ailleurs, la montée récente du pouvoir chiite appuyé par l'Iran dans l'ensemble des pays du Golfe, mais surtout au Liban, rend le rôle syrien indispensable pour créer une zone tampon entre les diplomaties arabes et perse. En effet, le fait que la Syrie, pays de l'arabité, soit l'alliée inconditionnelle de l'Iran et le passage obligé des armes iraniennes vers les combattants du Hezbollah la positionne comme un élément majeur à prendre en considération dans la politique de rétablissement d'un certain équilibre régional brisé depuis l'invasion américaine de l'Irak en 2003.

Par ailleurs, nul n'ignore le rôle que Damas joue auprès des mouvements terroristes et des islamistes du Hamas, en Irak contre les troupes américaines, au Liban avec le Hezbollah et même mondialement à travers l'aide logistique apportée à des groupements révolutionnaires et autres. Or cela a fini par lui donner plus de poids dans la défense de son rôle vis-à-vis des grandes puissances en général et de la France en particulier. Le résultat semble encourageant pour le président syrien, d'autant plus que le secrétaire général des Nations unies, Ban Ki-moon, a annoncé il y a quelques semaines que le financement pour le tribunal international censé se pencher sur l'assassinat de l'ex-premier ministre libanais Hariri, duquel Damas est accusé, était limité dans le temps. En d'autres termes, le tribunal risque de ne pas voir le jour pour condamner les responsables syriens de l'assassinat ou, s'il est mis en place, sa «vie» ne sera que de quelques mois, deux ans au maximum! Ce qui fait dire à certains qu'une entente secrète aurait été conclue avec Damas pour lui donner encore du temps afin de prouver «sa bonne foi» en poussant son allié iranien à mettre son programme nucléaire aux oubliettes.

Ainsi, la dernière visite d'Assad en Iran ne serait, en principe, qu'un message occidental à livrer via la Syrie pour que Téhéran laisse l'option nucléaire de côté. Or cette politique de l'autruche que l'Occident semble de nouveau suivre ne fait que retarder une échéance certaine, celle qui mènera sans aucun doute la région dans son ensemble vers une guerre sans merci. Un affrontement qui finira par englober la planète en entier, car nul n'ignore l'importance stratégique des ressources naturelles de cette région et leurs effets sur les économies des grandes puissances en particulier. Ce qui fait dire à beaucoup que l'Iran ne changera rien dans sa politique actuelle, attendant les prochaines élections américaine et israélienne. Pour l'instant, toutes les tergiversations font gagner du temps à Téhéran et permettent à Damas de récupérer une place (de choix?!) sur la scène internationale. Dans les deux cas, «l'Axe du mal» semble le grand gagnant, du moins jusqu'à présent!

Alain-Michel Ayache : Spécialiste du Proche-Orient et du Moyen-Orient au département de science politique de l'UQAM©2008 Le Devoir. Tous droits réservés.
Numéro de document : news·20080809·LE·200870


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