Tuesday, April 15, 2008

Liban: Du pays des cèdres à celui de l'étincelle


Le Soleil
Opinion, lundi, 14 avril 2008, p. 23

Analyse

Du pays des cèdres à celui de l'étincelle...

Depuis l'indépendance du pays des cèdres, le Liban a été transformé en terrain de confrontation. Les pays de la région s'y sont affrontés par Libanais interposés.

Aujourd'hui encore, cette réalité n'a pas changé : la majorité et l'opposition se dressent l'une contre l'autre. De retour d'un séjour au Moyen-Orient, Alain-Michel Ayache nous livre le fruit de ses observations. (Premier de deux)

La majorité est pro-occidentale - pro-américaine pour être exact - et l'opposition pro-syrienne, anti-américaine. Officieusement, les premiers répondent aux "conseils et recommandations" de l'administration américaine, les seconds, à ceux de Damas et de Téhéran. En réalité, il s'agit tout simplement du bras de fer politique entre Washington d'un côté et Damas et Téhéran notamment de l'autre pour le contrôle total de la région du Proche et du Moyen-Orient. Le Liban, comme à son habitude, n'est autre que le terrain de confrontations.

Le Hezbollah dans l'équation

Cette réalité est tellement visible qu'un observateur attentif pourrait facilement déceler les aspirations des groupes libanais de part et d'autre de cette équation de confrontation. Ainsi, le Hezbollah, groupement chiite pro-iranien, mais dont une fraction politique répond également aux ordres de Damas, bloque actuellement le processus d'élection d'un nouveau président libanais. Cette situation dure depuis novembre dernier; la "majorité" essaye d'y remédier en tentant de négocier un meilleur pouvoir pour les Chiites au pays.Conscient de sa force militaire sur le terrain et dans la région, le Hezbollah fait grimper les enchères afin de réclamer un statut supérieur et une minorité de blocage au sein du gouvernement libanais. Il faut comprendre qu'au Liban, la politique est consensuelle car le système est bâti sur la répartition confessionnelle des postes de commandes principaux.Ainsi, pour que le Hezbollah accepte qu'il y ait un nouveau président au Liban, il faudra au gouvernement actuel, présidé par un Sunnite (comme le veut le Pacte national), qu'il lui octroie le tiers des voix. Cela lui permettrait de bloquer toute mention ou loi qui ne conviendrait pas à sa politique. Cela pourrait même aller jusqu'à bloquer toute démarche de paix éventuelle ou entente avec un autre pays si le Hezbollah le décidait!Évidemment, le gouvernement refuse de donner ce droit de veto au Hezbollah. Il tente plutôt de remettre de l'avant la nécessité de l'élection d'un président afin que chaque faction ait sa place sur l'échiquier politique du pays, les chrétiens entre autres (selon le Pacte national, le président du Liban est de confession chrétienne maronite). Or, le problème ne réside pas uniquement dans cette élection, car les deux camps ont trouvé un candidat de consensus en la personne de l'actuel chef de l'armée, le général Michel Sleiman.

Solution ou confrontation?


Pour les observateurs proches de la "majorité", le fait d'avoir trouvé un candidat accepté des deux parties est bon signe. Le problème, il est dans la démarche suscitée par Damas pour reprendre le contrôle politique du Liban à travers une stratégie de blocage des institutions et des décisions gouvernementales.Pour réussir, le régime syrien a besoin de donner au Hezbollah et à ses alliés libanais une capacité d'action suffisante tout en gardant le Liban otage de ses décisions, lesquelles répondent à des objectifs régionaux qui lui sont propres. C'est dans cette perspective que Damas s'est allié à Téhéran pour tenter de reprendre le dessus sur les autres pays arabes (sunnites) de la région.Quant à Téhéran, le fait d'armer le Hezbollah et de lui procurer maintenant des missiles balistiques capables de frapper le coeur des villes israéliennes de densité populaire élevée le place comme un acteur important sur la scène régionale et avec lequel le prochain président américain devra composer. En effet, Washington se trouvera bientôt devant l'alternative suivante : traiter avec l'Iran pour mettre au pas l'intégrisme sunnite d'Al-Qaïda ou bien se lancer contre lui dans une guerre régionale pour redessiner la carte du Moyen-Orient laissée par Sykes et Picot.Dans les deux cas, il est clair que le Liban servira de base de lancement des attaques ou, pour être plus exact, le pays à partir duquel l'étincelle embrasera la région dans son ensemble.

Alain-Michel Ayache, spécialiste du Proche et Moyen-Orient, Université du Québec à Montréal


DEMAIN : Le sommet arabe de la division

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Numéro de document : news·20080414·LS·0050


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