Tuesday, April 15, 2008

Le Sommet arabe à Damas


Le Soleil
Opinion, mardi, 15 avril 2008, p. 25

Analyse

Alain-Michel Ayache,
Spécialiste du Proche et Moyen-Orient, Université du Québec à Montréal

Le sommet arabe de la division

Depuis l'indépendance du pays des Cèdres, le Liban a été transformé en terrain de confrontation. Les pays de la région s'y sont affrontés par Libanais interposés et la situation ne semble pas en voie de changer. De retour d'un séjour au Moyen-Orient, Alain-Michel Ayache poursuit ses observations.

Le Sommet arabe s'est terminé comme il a commencé : c'est comme si "les Arabes s'étaient mis d'accord pour ne pas se mettre d'accord", comme dirait le proverbe arabe. D'ailleurs, selon "le guide de la Révolution libyenne, l'éternel colonel Mouammar Kadhafi "aucun développement notable n'a été enregistré lors de ce Sommet, comme cela a toujours été le cas lors des précédents sommets". Pour lui, toutefois, "le plus important dans ce sommet, c'est le fait que nous avons reconnu l'existence de divisions, des problèmes et une haine entre les pays arabes et qu'il faut trouver un mécanisme pour le surmonter".

Une division insurmontable


En effet, les 22 pays de la Ligue arabe s'étaient réunis en principe pour trouver une solution finale à la crise politique libanaise et se mettre d'accord sur un plan spécifique pour une politique commune pour l'ensemble de la région. Or, leur communiqué final ne constitue que la traditionnelle conformation de l'absence de toute résolution concrète.D'ailleurs, les divisions sont apparues dès le début de l'annonce de la tenue de ce Sommet à Damas. D'un côté, l'Arabie Saoudite, l'Égypte et la Jordanie, principaux alliés des États-Unis. Ils ont exigé de Damas de mettre fin à la crise politique libanaise en incitant ses alliés chiites libanais - notamment du Hezbollah - qu'ils cessent de bloquer le fonctionnement des institutions libanaises pouvant mener à l'élection d'un président de la République au Liban. De l'autre côté, les pro-Syriens. Entre les deux, quelques pays arabes du Golfe qui cherchent à se démarquer en mettant de l'avant une pseudo-indépendance de décision politique dont le Qatar, les Émirats arabes unis, le Bahrein, le Koweit et le Yémen.Le Sommet devait entre autres trouver une solution à la problématique irakienne et la division palestinienne. Mais le rapport de force entre pro-Américains et pro-Syriens a poussé la moitié des chefs d'État arabes à s'absenter de cette réunion censée être au Sommet. Seulement 11 chefs d'États sur 22 s'y sont rendus. Les autres ont décidé de faire parvenir un message à Damas en déléguant la tâche à leurs ministres des affaires étrangères et autres ministres de rang inférieur.

Conflit d'influence


Or, selon les observateurs arabes, cette absence est significative car elle met l'accent sur la détermination de l'Arabie Saoudite de ne pas s'incliner devant une politique iranienne expansionniste dans la région à travers l'alliance entre Damas et Téhéran. En effet, que ce soit en Irak ou au Liban, les variables, chiites et intégristes sunnites d'obédience Al-Qaïda s'allient stratégiquement et indirectement pour miner les efforts de l'Occident en général et des États-Unis en particulier pour trouver une solution à la crise irakienne.À cela s'ajoute la situation de blocage des institutions politiques libanaises, provoquée par les alliés de Damas dont le Hezbollah afin d'exercer une pression sur la politique étrangère américaine. Quant à la présence des autres pays du Golfe à ce Sommet, elle est, selon ces observateurs arabes, une façon pour eux de se démarquer du jeu saoudien pour des intérêts bien spécifiques. En effet, pour le Qatar notamment, il s'agit avant tout de maintenir et de consolider un rapport de plus en plus solide avec l'Iran et la Syrie notamment.D'ailleurs, Doha, la capitale du Qatar, est de plus en plus présente sur la scène libanaise et les travailleurs libanais spécialisés sont devenus légendes depuis peu à Qatar.Les EAU, le Bahreïn et le Koweit prennent en considération la variable chiite qui constitue une bonne partie de leurs populations respectives et ne peuvent se permettre de s'allier aveuglément sur une politique strictement sunnite saoudienne. Le Yémen, lui, essaye de se positionner entre les belligérants en essayant de jouer la carte du modérateur entre le Hamas et l'Autorité palestinienne, alors que lui-même est aux prises avec un problème avec les islamistes qui essayent de le déstabiliser.Bref, et comme l'a bien expliqué le leader libyen, Mouammar Kadhafi, l'avenir des Arabes paraît plus que compromis. "Où est la dignité des Arabes, leur avenir, leur véritable existence? Tout a disparu", s'est-il écrié avant d'ajouter : "Notre sang et notre langue ont beau être unis, il n'y a rien qui puisse nous unir".

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Numéro de document : news·20080415·LS·0049

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