Friday, March 11, 2005

Le Hezbollah tente de sauver ses acquis

Le Soleil
Éditorial, vendredi, 11 mars 2005, p. A12

Analyse

Le Hezbollah tente de sauver ses acquis

Alain-Michel Ayache

Plus de 500 000 contre-manifestants prosyriens, selon le Hezbollah, 236 000 selon les experts : l'exagération de leur nombre par les organisateurs de cette contre-manifestation démontre qu'une nouvelle étape se franchit dans le bras de fer qui oppose les Libanais.

D'un côté, la majorité de la population du Liban (celle qui soutient un départ inconditionnel et immédiat des troupes d'occupation de Damas et de leurs agents secrets) ; de l'autre, ceux qui risquent de tout perdre avec cette sortie peu honorable pour les Syriens, sous les pressions du monde libre : les musulmans chiites libanais et en particulier le Hezbollah, considéré par l'Occident comme un groupement terroriste, bien que faisant partie de l'appareil d'État et du législatif libanais depuis un peu plus d'une décennie.

Allié pragmatique de Damas et fidèle de Téhéran, le Hezbollah cherche à travers cette participation massive des chiites, auxquels des dizaines de milliers de Syriens envoyés par les services de renseignements syriens dans des bus sans plaques d'immatriculation sont venus prêter main-forte, à renforcer ses positions dans ce qui apparaît être une reconfiguration du système politique interne libanais.

Fort d'une large popularité parmi les chiites libanais, le "Parti de Dieu" essaie de démontrer, pour la première fois sous les couleurs entièrement libanaises (habituellement le drapeau libanais avait peu de place dans les manifestations du Hezbollah, alors que cette fois-ci le drapeau libanais était omniprésent dans une absence totale d'autres drapeaux) qu'il a son mot à dire dans tout ce qui a trait à un quelconque changement de donnes sur la scène politique libanaise.

Accusé par Israël et par les États-Unis de vouloir torpiller la paix entre Israéliens et Palestiniens, notamment après le décès de Yasser Arafat, le Hezbollah tente de se protéger en envoyant des messages clairs à l'Occident et en interpellant nommément le président Jacques Chirac pour lui dire que "là aussi, c'est le Liban", faisant ainsi illusion au soutien du président français à l'opposition libanaise.

Toutefois, le fait est intéressant à noter, malgré les louanges prononcées par le secrétaire général, Sayyed Hassan Nasrallah, sur le rôle de la Syrie "dans le maintien de la paix au Liban et les services rendus à la population libanaise", le Hezbollah n'a pas réclamé le maintien des forces d'occupation syrienne. Aucun mot sur le sujet ! Ce qui porte à croire que les multiples démarches récentes du Hezbollah pour entrer en dialogue constructif avec les opposants libanais devaient impérativement passer par un abandon de l'idée de vouloir garder la Syrie au Liban.

Ce faisant, le "Parti de Dieu" essaie de se tailler une place de choix sur la nouvelle scène politique interne libanaise post-assassinat de Hariri, dans le but de sauvegarder ses acquis devant un autre parti chiite inféodé à Damas, Amal, dirigé par l'actuel président de la Chambre, Nabih Berri. Dans un tel contexte, le Hezbollah arracherait toute légitimité populaire à son concurrent immédiat, réduisant l'option hégémonique directe de Damas sur le Liban. Ainsi, il se positionnerait sur un terrain d'entente capable d'amadouer l'opposition chrétiano-sunno-druze à un dialogue pour un nouveau Liban.

Le leader de l'opposition, le Druze Walid Joumblatt, farouche opposant au maintien des troupes d'occupation de Damas, vient d'ailleurs de saisir au vol le message de Nasrallah. Il a ainsi déclaré à Bruxelles que l'avenir du Hezbollah et la dissolution de son bras armé sont une affaire interne libanaise et que la résolution 1559 du Conseil de sécurité des Nations unies n'a pas à s'occuper de cela. Ce même Joumblatt demandait à la Syrie de reconnaître l'identité libanaise des fermes de Chébaa que le Hezbollah prétend vouloir libérer des Israéliens, afin que le Liban puisse demander diplomatiquement aux Nations unies d'y étendre l'application de la RCSNU 425. Ce qui en d'autres termes voudrait dire couper l'herber sous le pied du Hezbollah en démolissant la raison d'être de sa présence armée au Sud-Liban.

Le retour du premier ministre démissionnaire prosyrien Omar Karamé pour former le nouveau Cabinet, à la suite de cette contre-manifestation, redonne un nouveau souffle au régime en place et le positionne mieux face à Washington et à Paris, les alliés de l'opposition libanaise. À espérer toutefois que cela ne mène pas à des troubles similaires à ce qui s'est passé ces derniers jours, les rues de Beyrouth étant prises d'assaut par des contre-manifestants prosyriens armés de haches et de couteaux. Le message licite du Hezbollah chercherait-il à éviter cela ?

Alain-Michel Ayache

L'auteur est journaliste indépendant et analyste du Moyen-Orient

No comments: