Monday, February 6, 2006

Le Hamas au pouvoir

Le Soleil
Opinions, lundi, 6 février 2006, p. A17

Analyse

Le Hamas au pouvoir
Une radicalisation de la région est à craindre

Alain-Michel Ayache

La victoire du Hamas était prévisible compte tenu de la corruption des dirigeants du Fatah et de leurs promesses jamais tenues.

Pour en mesurer l'ampleur, il faudra remonter aux accords du Caire en 1969 qui ont donné libre cours aux Palestiniens pour mener leurs attaques contre Israël à partir du Liban. À l'époque, les pays arabes et à leur tête l'Arabie Saoudite, la Syrie et la Libye finançaient à coup de milliards de dollars "l'Organisation de libération de la Palestine" (OLP). L'argent servait principalement aux opérations de terrorisme international et non à bâtir une infrastructure dans Gaza et la Cisjordanie ou promouvoir l'éducation des jeunes. Arafat et son entourage s'étaient appropriés des fortunes, tout en poussant la propagande palestinienne à faire porter la responsabilité de la pauvreté sur l'État hébreu. Les comptes en Suisse et en Europe au nom de l'épouse d'Arafat et de ses collaborateurs se garnissaient pendant que le peuple palestinien vivait dans la misère.

Le mythe de Saladin

De son vivant, Arafat n'avait pas manqué une occasion de narguer son ennemi de toujours, Ariel Sharon, en bloquant le processus de paix et en mettant en oeuvre une opération charme très efficace qui a détruit la crédibilité d'Israël aux yeux de l'opinion publique internationale. Pendant ce temps, la mouvance radicale du Hamas adoptait la stratégie du Hezbollah libanais pour récupérer l'opinion de la rue à son profit d'autant plus que la jeunesse palestinienne n'avait plus d'espoir face à l'inertie de l'Autorité palestinienne dans un contexte d'attaques des "libérateurs contre l'occupant israélien" et des représailles de ce dernier.

C'est principalement pourquoi Mahmoud Abbas a perdu sa crédibilité malgré le retrait de Tsahal de Gaza. Car, ce qui était considéré par Israël comme un geste de bonne foi était perçu par la rue comme une victoire du Hamas, à l'instar de ce qui s'était passé au Liban en mai 2000 après le retrait précipité de l'armée israélienne. La suite est facile à comprendre. La rue choisit le mythe de l'armée victorieuse de Saladin contre l'infidèle afin de punir, entre autres, les corrompus ou le Fatah et ses dirigeants.

Aujourd'hui, Hamas est à la croisée des chemins et le choix de sa politique orientera l'avenir de l'ensemble de la région. Le mouvement se trouve devant trois options :

1- Le Hamas dirige un gouvernement radical : dans l'hypothèse où les dirigeants du mouvement arrivent à comprendre le mécanisme de la gestion du territoire, ils devront faire face à leur slogan qui rejoint celui du président iranien pour effacer Israël de la carte du monde. S'ils le maintiennent, l'Occident imposera des sanctions économiques qui étoufferont le peu d'espoir que les Palestiniens pensaient avoir avec l'arrivée au pouvoir du Hamas. S'en suivra alors une montée de la tension et des opérations terroristes contre Israël, voire en Occident. Quant aux sources de financement, il ne serait pas étonnant que l'Iran, la Syrie et l'Arabie Saoudite remplacent les pays occidentaux, ce qui alimenterait le terrorisme international. Cette radicalisation amènerait celle d'Israël et se traduirait par l'élection de Netannyahou en mars prochain.

2- Le Hamas opte pour le statu quo contrôlé : cela voudrait dire qu'il ne changerait pas de slogans, mais qu'il ne s'abstiendrait de lancer des attaques contre Israël, en attendant la suite donnée au dossier du programme nucléaire iranien par le Conseil de sécurité. Selon cette hypothèse, l'aide proviendrait des pays arabes et même de Russie et de Chine pour remplacer à moyen terme celle de l'Occident, mais pas pour longtemps, car l'axe irano-syrien sous pressions américaines, chercherait à déstabiliser la région en activant aussi bien le Hezbollah que d'autres mouvements radicaux, si le Hamas se retient de lancer des attaques contre Israël.

3- Le Hamas reconnaît l'existence de l'État hébreu : cette hypothèse qu'alimentent quelques intellectuels arabes est peu probable et ne verra jamais le jour. Car, il faudra que le Hamas renonce à sa "raison d'être". Or, c'est là que réside l'essentiel de la problématique actuelle. Que ce soit le Hamas ou le Hezbollah, renoncer aux armes au profit de la politique signifierait perdre la guerre contre Israël. D'aucuns diront que si l'objectif ultime est la paix et la souveraineté d'un État palestinien, les dirigeants du Hamas pourraient arriver à cette décision, sauf que cela créerait un précédent pour l'ensemble des pays qui ont des mouvances islamistes en gestation. Toutefois, dans le contexte actuel de tension régionale, il est plus approprié de penser que le succès du Hamas causera une contagion radicale qui affectera l'ensemble des pays arabes où la doctrine Bush pensait implanter un semblant de démocratie.

Alain-Michel Ayache

Chercheur associé à la Chaire Raoul-Dandurand de l'UQAM et spécialiste du Proche et Moyen-Orient

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