Saturday, August 25, 2007

Damas 3 - Washington 1

Le Droit
Forum, samedi, 25 août 2007, p. 21

Damas 3 - Washington 1

Alain-Michel Ayache

Rien ne va plus pour Washington au Proche et Moyen-Orient ! Après l'Irak, c'est le Liban qui semble échapper au plan américain tout en créant une dynamique conflictuelle sérieuse aussi bien pour la Maison-Blanche que pour Tel-Aviv. D'ailleurs, rien à écouter et analyser le discours du Secrétaire général du Hezbollah, Sayyed Hassan Nasrallah, l'on se rend compte que la résolution 1701 du Conseil de Sécurité n'a fait que donner plus de temps au "Parti de Dieu" pour se réarmer encore plus et pour mieux former ses recrues en vue d'une nouvelle confrontation avec l'État hébreu.

Des menaces qui en disent long...

Ses menaces, verbales, contre Israël, le jour du premier anniversaire de la fin de la confrontation de l'été 2006, marquent le ton à venir et sonnent le glas d'une paix onusienne de plus en plus utopique. Or, bien que les menaces de Nasrallah sont selon lui conditionnelles à toute attaque israélienne, il n'en demeure pas moins que l'armement que l'Iran lui a envoyé à travers la Syrie fait de lui aujourd'hui un redoutable adversaire, d'où les "surprises" promises par lui à Israël... Cela représente en soi plus d'un problème aux desseins de Washington, car le Hezbollah peut utiliser n'importe quelle excuse pour attaquer l'État hébreu sous prétexte de défendre la souveraineté du Liban. À cela s'ajoute la mobilisation de plus en plus grandissante des masses arabes en sa faveur, car il est perçu par elles comme le seul "héro arabe et musulman à avoir pu battre l'ennemi sioniste". D'ores et déjà, le Hamas semble copier à la lettre près la politique "hezbollienne" aussi bien sociale, économique que militaire afin de démontrer à ses critiques qu'il est capable d'assumer la responsabilité et la gestion d'un État palestinien.

Le jeu habile de Damas

Par ailleurs, il y a encore quelques jours, Damas marquait un point face à la politique étrangère américaine au Proche-Orient en poussant son allié libanais Michel Aoun dans des élections partielles face à l'ancien président de la République libanaise, Amine Gémayel. À peine quelques heures après l'annonce de la victoire du candidat prosyrien, Washington égalisait avec le décret de bloquer tous les avoirs de citoyens américains et entreprises américaines ayant un quelconque lien avec les alliés de Damas. Mais qu'à cela ne tienne ! Le lendemain de l'annonce américaine Moscou se positionna de plain-pied sur l'échiquier régional. Désormais, une base militaire navale russe opérera de Syrie !

L'effet d'une telle annonce est assez signifiant tant sur le plan régional qu'international. En effet, la décision de Putin, ne peut être analysée qu'une reprise de ce bras de fer russo-américain, identique dans sa forme, du moins pour l'instant, à celui jadis révolu de la guerre froide. Encore qu'à cette époque, Damas avait fini par devenir l'allié pragmatique des États-Unis.

L'option américaine versus l'option russe

En se positionnant de la sorte, Moscou vient de donner un souffle sans précédent à Assad en fortifiant sa position face à un Bush en déroute aussi bien sur le plan interne qu'externe ! Pis, une telle décision russe peut bien mettre une fin de non-recevoir au tribunal international pour juger les assassins de l'ex-premier ministre libanais assassiné, Rafic Hariri.

Ainsi, alors que Washington pensait avoir gagné du terrain sur l'échiquier glissant et miné du Proche et Moyen-Orient, la voilà de nouveau aux prises avec des variables plus dangereuses encore et plus déstabilisantes que jamais pour son hégémonie régionale. Quant à Moscou, s'aventurer à partir de Damas lui donne un pied-à-terre dans la région après une absence si longue. Or, cette présence moscovite ne peut que consolider le régime tyrannique des Assad face à toute possibilité de changement dans la région pour une Syrie plus démocratique. Ce qui confortera encore plus Damas dans toute politique de déstabilisation de son petit voisin libanais, gardant ainsi une pression grandissante sur la sécurité du Nord d'Israël voire de tout le pays, maintenant que le Hezbollah semble disposer de missiles de longue portée capable de toucher la capitale israélienne !

Aujourd'hui, dans un temps où le Liban vit une crise politique similaire à celle de 1991, date de la fin officielle de la guerre civile sous l'occupation syrienne, le "Pays des Cèdres" risque gros avec cette nouvelle carte russe à Damas. Pour les plus sceptiques des Libanais, une telle présence pourrait à court terme décourager l'Administration Bush alors qu'elle s'approche de la fin de son mandat pour trouver une solution finale à la problématique libanaise. Pis, ces derniers craignent que Damas ne reprenne le contrôle du pays à travers ses alliés, tel le Hezbollah... ou encore la Russie ! D'ores et déjà, le commandant en chef de l'Armée, dont les hommes tentent encore de mettre un terme aux terroristes de Fatah al-Islam, fait miroiter la possibilité de se tourner vers Moscou pour recevoir des armes que Washington était censée lui adresser pour finir avec les Islamistes... et qui semblent avoir été remis aux calendes grecques...

Alain-Michel Ayache,

Spécialiste du Proche-Orient, département de Science politique, UQAM

Friday, August 10, 2007

Élections partielles au Liban, Damas 1, Washington 0

Le Devoir
IDÉES, vendredi, 10 août 2007, p. a9

Élections partielles au Liban
Damas 1, Washington 0

Alain-Michel Ayache

On s'y attendait. La victoire du candidat du général Michel Aoun sur son concurrent, l'ex-président de la République libanaise, Amine Gémayel, était prévisible. Ce qui ne l'était pas, c'est la différence de voix qui a mené le premier à la victoire.

En effet, les 418 votes qui séparent le gagnant du perdant sont indicatifs à plus d'un égard, le premier étant encore une fois la preuve que le général Aoun a des appuis dans la région majoritairement chrétienne. Par ailleurs, c'est également la preuve qu'il a perdu beaucoup des siens lors de ces élections partielles. Des 70 % de voix chrétiennes et notamment maronites qu'il avait récoltées lors des dernières élections législatives, il ne lui reste plus qu'un pourcentage minime!

Cette perte de popularité dans le camp chrétien trouve son origine dans l'alliance du général avec le Hezbollah et la Syrie alors que, durant ses 15 ans d'exil en France, il représentait, notamment pour les chrétiens maronites, le fer de lance du nationalisme libanais et de l'antisyrianisme primaire. Or, depuis qu'il a retrouvé le chemin de Beyrouth, au nom d'une «union nationale», il multiplie les erreurs politiques en misant sur les mauvais joueurs.

Ennemi d'hier, allié d'aujourd'hui

Ses détracteurs, dont la majorité gouvernante, lui reprochent son alignement sur la politique syrienne contre les intérêts premiers du Liban. Lui défend la position de la présidence de la République, qu'il cherche à occuper au prétexte de consolider son pouvoir face à un sunnisme fort centralisateur de la décision exécutive de l'État. Il accuse ce gouvernement d'être une copie conforme de celui sous l'occupation syrienne, car la majorité des ministres en question y siégeaient à cette époque. Or, si cette «sauvegarde» de la position présidentielle est jugée importante par l'Église libanaise, il n'en demeure pas moins que le général est aujourd'hui plus que jamais perçu comme la mauvaise personne aux yeux des chrétiens et du clergé pour l'occuper. D'ailleurs, le patriarcat maronite a cherché à plusieurs fois à colmater la brèche entre le général et l'ex-président Gémayel, mais il a lamentablement échoué à cause de l'entêtement et de la personnalité du premier, voire de son mépris pour la famille Gémayel. Cela s'est traduit à plus d'une reprise par des déclarations télévisées du général, dont le degré de respect à l'endroit des Gémayel se rapprochait davantage de celui d'un agent des moukhabarats syriens que d'un général de l'establishment militaire, pis, d'une personne aspirant à la magistrature suprême du pays!

Un ras-le-bol chrétien

À examiner cela de près, on s'aperçoit que les voix qui ont mené le candidat du général au succès sont principalement celles du camp arménien, bien qu'en partie seulement, et du parti social-progressiste national, très proche de Damas, en plus des votes des «naturalisés» venus spécialement en autocar de Damas pour remplir leur devoir civique. Bien entendu, une partie des chrétiens de la région a voté pour le candidat aouniste. Ce sont les fidèles de l'ex-ministre de l'Intérieur, vice-premier ministre du temps des Syriens au Liban, Michel el-Murr, dont, ironiquement, le fils est l'actuel ministre de la Défense et a déjà été l'objet d'une tentative d'assassinat par les mêmes personnes qui ont tué l'ex-premier ministre Rafic Hariri.

La réplique de Washington

Pour les observateurs et les analystes de la scène politique libanaise, le succès du courant patriotique du général Aoun à ces élections partielles démontre la capacité de celui-ci à gêner un gouvernement qu'il juge inconstitutionnel et non représentatif de la volonté des Libanais. En réalité, ces résultats ne sont qu'une avant-première du combat électoral que les chrétiens, notamment, auront à mener pour la présidence de la République. La candidature de Michel Aoun, bien qu'annoncée, ne recevra sans doute aucun appui de la population chrétienne qu'il clame représenter. D'où le grave problème pour les maronites de trouver une solution de rechange ayant l'aval de tous. D'ores et déjà, les analystes américains pensent que la présidence de la République constituera le prochain bras de fer non négligeable entre l'administration américaine et Damas. Or Washington semble prendre les devants après cette «victoire» d'Aoun sur le gouvernement Siniora en bloquant et en saisissant tous les comptes de citoyens américains et d'entreprises américaines connues pour appuyer financièrement le général.

Ainsi, dans l'attente de la prochaine élection présidentielle, qui devrait avoir lieu fin septembre, les deux camps semblent se préparer pour un automne des plus chauds au Liban. D'aucuns parlent même d'affrontement armé avec toutes les armes qui continuent de transiter de Damas vers ses alliés libanais...

Alain-Michel Ayache : Spécialiste du Proche-Orient au département de science politique de l'Université du Québec à Montréal