IDÉES, vendredi, 8 août 2003, p. A9
Un Canada de plus en plus faible face aux dictatures du monde
De récentes affaires à l'étranger impliquant des ressortissants canadiens montrent qu'Ottawa joue la politique de l'autruche
Alain-Michel Ayache
Analyste politique et chercheur
Une fois encore, le laxisme d'Ottawa en matière de politique étrangère et son manque de fermeté vis-à-vis des dictatures du monde conduisent directement à une crise diplomatique, mais cachée, afin d'éviter des embarras quant à sa façon de mener de front de telles situations dites délicates. Un embarras qui démontre l'impuissance d'un Canada pourtant vu par l'ensemble des pays opprimés comme LE pays des droits de la personne et de la défense des valeurs universelles.
Cette position et l'image de marque qu'Ottawa faisait prévaloir dans le reste des pays du monde semblent s'effriter chaque jour un peu plus, et notamment depuis que le premier ministre Jean Chrétien a décidé de faire cavalier seul en matière de politique internationale, ne prenant pas en considération celle de nos voisins du Sud. La conséquence immédiate de cet éloignement fut la perte de crédibilité d'un Canada qui se veut fort et respecté des régimes entiers, y compris de ceux qui s'opposent à une Amérique hégémonique. Résultat : le Canada est plus que jamais fragile à l'étranger, là où, il y a encore quelques années, le passeport canadien, à lui seul, était suffisant pour sauver des vies. Aujourd'hui, détenir un passeport canadien est synonyme d'être condamné à l'emprisonnement, à la torture, à la mort ou à Dieu sait quelle autre action contre les valeurs universelles des droits de la personne dont le Canada se veut le défenseur.
Trois exemples
Preuve en donnent les multiples incidents à l'étranger dont les victimes ne sont que des Canadiens. Parmi ces derniers, notons l'exemple de Maher Arar, citoyen canadien d'origine syrienne.
Arrêté par les autorités américaines à la suite aux mesures draconiennes que Washington avait adoptées après les événements tragiques du 11 septembre, Arar fut considéré persona non grata et fut expulsé en Syrie, où il est emprisonné depuis. Certes, son expulsion par les États-Unis vers la Syrie fut condamnée par Ottawa, qui considérait qu'un citoyen canadien devrait être renvoyé vers le Canada s'il est arrêté avec son passeport canadien et non vers son pays de naissance.
Or, voilà que monsieur Arar est renvoyé en Syrie, où le régime dictatorial des Assad l'a enfermé dans des geôles desquelles il ne sortira sans doute que sur une civière... à moins d'une action internationale ferme et solide contre Damas.
Ainsi, au lieu d'insister fermement sur sa libération et d'imposer des sanctions diplomatiques et économiques contre le régime dictatorial de Bachar al-Assad, Ottawa tourne l'oeil en répliquant par le biais de ses responsables au MAECI que monsieur Arar est d'origine syrienne et donc considéré comme Syrien dès qu'il entre en Syrie. De ce fait, Ottawa n'est pas en mesure de décider quoi que ce soit à son sujet et ne peut donc intervenir en sa faveur que dans les discours politiques et lors des périodes d'élection.
Mais que dire alors à tous ces Canadiens nés à l'étranger et qui sont venus au Canada pour justement échapper à l'inhumanité de leurs régimes en place? Que dire de cette politique de l'autruche d'Ottawa, quand on sait qu'un Montréalais sur quatre est né à l'étranger? Est-ce une discrimination contre ceux-là mêmes qui font la richesse culturelle et économique d'aujourd'hui au Canada?
Deux autres cas
Le second exemple le plus frappant est celui de la journaliste Zara Kazemi. Il a fallu le savoir-faire de son fils et ses contacts personnels avec les médias pour pousser Ottawa vers une intervention pour se faire entendre auprès du régime des ayatollahs à Téhéran. Là encore, Ottawa avait avancé le fait que madame Kazemi détient la double nationalité pour expliquer qu'il ne serait pas en mesure de faire des démarches fructueuses. Or, l'insistance de son fils et la pression des médias ont poussé Ottawa à monter son ton d'un cran. Un cran qui était suffisant pour avoir des réponses vraies de la part de Téhéran et même la reconnaissance du meurtre de madame Kazemi.
Et voilà qu'aujourd'hui un troisième Canadien, cette fois-ci «de souche», est arrêté à l'aéroport international de Beyrouth et emprisonné durant plusieurs jours sans aucune accusation, ni condamnation. Pis, les autorités libanaises ont manqué à leur devoir international selon les conventions de Genève, soit celui d'informer l'ambassade canadienne au Liban qu'un citoyen canadien était en détention. Ce n'est que dix jours plus tard qu'un informateur transmit l'information à l'ambassade. Bruce Balfour, sexagénaire, fut arrêté à l'aéroport international de Beyrouth en rentrant au Liban. Il faisait partie d'une mission évangélique pour la reforestation de la forêt biblique des Cèdres, une région entièrement contrôlée par les services secrets syriens, bien qu'en territoire libanais. Il y a quelques jours seulement, le procureur de la République libanaise Adnan Addoum a accusé monsieur Balfour d'espionnage pour le compte d'Israël! Or, nul n'ignore que cette accusation est à la mode dans le lexique juridique de monsieur Addoum pour justifier toute arrestation d'opposants libanais (et ils sont nombreux à en avoir payé de leurs vies, alors que d'autres crèvent dans les geôles syriennes) ou même de toute autre personne jugée dérangeante!
Dans le cas de monsieur Balfour, son passeport porte l'étampe d'une visite en Israël. Or, selon la loi de Damas imposée au Liban, toute personne ayant visité Israël n'est pas admissible en territoire libanais. Ce qui est, à la rigueur, compréhensible pour un régime qui ne reconnaît pas l'existence de l'État d'Israël et qui le considère toujours comme l'ennemi. Mais de là à emprisonner une personne sans aucune autre justification... c'est tout de même transgresser les lois internationales et la Charte des droits de l'homme de l'ONU.
Laxisme
Que l'accusation soit justifiée et fondée ou non (encore faudrait-il apporter les preuves, ce qui n'a toujours pas été fait, et monsieur Balfour n'a pas encore bénéficié de l'aide juridique, ni des services d'un avocat, car il est persécuté par le tribunal militaire au Liban, connu pour être expéditif puisque géré par les services secrets syriens), il est important de noter que le laxisme d'Ottawa persiste quant à la défense de ses citoyens. Dans ce dernier cas, il faut souligner que, depuis qu'Ottawa a suivi l'exemple de Washington en mettant le Hezbollah sur la liste des organisations terroristes, les exactions contre les intérêts canadiens ont été nombreuses ainsi que les pressions exercées par un lobby de Canadiens d'origine chiite contre cette décision d'Ottawa. L'arrestation de monsieur Balfour fait partie de cette stratégie du Hezbollah pour mettre fin à cet embargo politique et économique d'Ottawa, sachant que l'argent que le Hezbollah pourra recueillir pour sa cause à travers les dons islamiques et autres du Canada représente une somme et pas des moindres.
Au lieu d'imiter pour une fois notre voisin du Sud et les pays européens, comme la France et la Grande-Bretagne quand il s'agit de sauver leurs ressortissants, Ottawa semble avoir ouvert une boîte de Pandore, ce qui, par inaction et manque de détermination face à un régime terroriste tel que celui de Damas et au régime libanais qu'il contrôle, serait une invitation à tous les autres groupements terroristes de la même nature à suivre les méthodes syriennes.