Friday, October 4, 2002

La nouvelle politique US au MO

Le Soleil
Opinions, vendredi, 4 octobre 2002, p. A15

La nouvelle politique des Américains au Moyen-Orient
Les É.-U. veulent diminuer leur dépendance au pétrole saoudien

Ayache, Alain-Michel

Si le 11 septembre 2001 a changé la vie des Américains en transportant la guerre des " autres " jusqu'à leurs maisons, il a également largement affecté la politique étrangère américaine en ce qui concerne les visions traditionnelles des analystes du département d'État, qu'ils avaient jusque-là, du Moyen-Orient en général et de l'Arabie Saoudite en particulier.

En effet, l'Arabie Saoudite est le seul pays arabe où la présence des services de renseignements américains est réduite presque à néant et cela d'un commun accord avec les autorités saoudiennes, et ce pour diverses raisons dites " stratégiques ". En échange du pétrole saoudien, Washington devait soutenir inconditionnellement un régime wahhabite intégriste et tourner son oeil sur la situation interne du pays. Toutes informations à caractère sécuritaire devaient être fournies par les services de renseignement saoudiens.

Deux visions opposées

Cette stratégie de fonctionnement " commode " devait assurer une continuité dans la politique pétrolière stable de la région afin de ne point affecter l'économie américaine. D'ailleurs, c'est dans ce contexte que la guerre du Golfe eut lieu. Et c'est à travers cette vision " arabiste " des analystes du département d'État américain que les marines assurèrent la sécurité de la région et que Washington maintint son appui militaire à l'Arabie Saoudite. Pour les Saoudiens, c'était une occasion d'or, d'échanger leur or noir pour une quasi-liberté de mouvements masquée par les multiples aides financières aux associations nord-américaines chargées de financer indirectement la formation de cellules terroristes et la diffusion de l'islam dans l'Ouest, et pas n'importe lequel. Il s'agit d'un islam pur et dur et qui répond à un ancien rêve arabe d'islamiser l'Occident et de prendre la revanche sur les Croisés en suivant le chemin tracé par Saladin !

C'est ainsi que les détenteurs de passeports saoudiens étaient les seuls parmi toutes nations arabes et islamiques à bénéficier d'un traitement privilégié en ce qui a trait à leur arrivée aux États-Unis, à leurs investissements ou à leurs séjours. Si " 9-11 " fut un choc pour l'Occident, il eut par contre le mérite de réveiller l'Oncle Sam de sa somnolence et de son quasi-aveuglement en ce qui a trait aux associations islamistes dites charitables ; mais il a surtout démasqué le véritable visage de l'Arabie Saoudite, celui d'un antioccidentalisme primaire et " mesquin " selon les dires de certains analystes américains. Pas étonnant de savoir alors que 15 des 18 pirates de l'air kamikazes du 11 septembre étaient des Saoudiens.

Par ailleurs, " 9-11 " a fourni de nouvelles munitions aux analystes " anti-arabistes " du département d'État pour faire prévaloir leur vision, écartée au profit de celle des " arabistes " privilégiant l'appui aux dictatures arabes en échange de loyaux services et... du pétrole.

Stratégie pétrolière

Aujourd'hui, le camp des " antiarabistes " avance d'autres solutions aux politiques adoptées par la Maison-Blanche. Une de leurs solutions se résume principalement à trouver une nouvelle source d'approvisionnement du pétrole qui remplacerait le pétrole saoudien et irakien.

En effet, vouloir sortir de cette presque dépendance pétrolière saoudienne des Américains est important pour qu'ils puissent entamer ce que les anti-arabistes réclament sous la table : un changement de la carte géopolitique de la région pouvant mener à une paix au Moyen-Orient, mais avec de nouveaux acteurs dont la vision serait plus ouverte à l'économie de marché interne, régionale et internationale, de même qu'au modernisme local de leurs sociétés, plutôt qu'à une économie d'État et à intégrisme aveugle au détriment de la majorité de leurs sociétés comme c'est le cas aujourd'hui.

Ainsi, trouver une nouvelle source d'approvisionnement suffisante pour remplacer la production pétrolière saoudienne serait le début de la fin de cette lune de miel entre Washington et Riyad. Et c'est justement ce que semble aujourd'hui adopter le président Georges Bush en se tournant du côté de la Russie, mais aussi de l'Afrique de l'Ouest.

Antiarabistes

Que ce soit la guerre en Afghanistan, ou le dernier rapprochement spectaculaire avec la Russie mettant fin à la guerre froide d'une façon nette, la nouvelle stratégie américaine semble avoir adopté la vision des antiarabistes. La Russie membre de l'OTAN, ouvrant son marché aux produits américains et une coopération contre le terrorisme international et la réduction des missiles balistiques, tels sont les résultats immédiats et officiels de la dernière rencontre entre les présidents américain et russe. Cependant, un dernier volet qui outrepasse en importance ces points fut également mentionné sans qu'il ne fasse pour autant le grand titre de cette entente. Il s'agit de l'accord énergétique entre les deux pays pour que la Russie augmente sa production pétrolière et en fournisse d'avantage aux É.-U.

De même, l'annonce de nouvelles coopérations énergétiques des pays africains producteurs de pétrole, prouve que Washington semble vouloir tourner une page dans ses relations avec le Moyen-Orient et tout particulièrement avec l'Arabie Saoudite. Pas étonnant alors que pour la première fois l'on entend parler " d'opposants saoudiens " vivant aux É.-U. et que les médias américains " découvrent " également pour la première fois et les accueillent dans des émissions à grand taux d'écoute ! Pas étonnant également de lire des critiques acerbes dans la presse américaine accusant le régime wahabite de soutenir les terroristes et l'endoctrinement antioccidental et antiaméricain dans des " Madrasas ", les écoles coraniques non seulement de l'Arabie Saoudite, mais également des autres pays musulmans... y compris au Pakistan !

Nouvelles donnes

D'autres signes portent à croire que l'administration américaine s'apprête à provoquer un changement de donnes pouvant affecter la carte géopolitique du Moyen-Orient. Que ce soit les pourparlers avec les opposants irakiens ou même la dernière annonce faite par le président Bush pour la création d'un État palestinien mais avec de nouveaux acteurs, autres que ceux qui existent aujourd'hui, c'est-à-dire autre que Yasser Arafat qui a toujours bénéficié de l'appui des chefs arabes pourtant amis et alliés de Washington, ou encore l'appui de Washington pour Tel-Aviv dans sa guerre contre les bombes humaines et le terrorisme islamiste, ce qui est clair, c'est que le compte à rebours pour ce changement a déjà commencé. Ainsi entendons-nous de sources informelles israéliennes et américaines que Wa- shington aurait donné son feu vert à Tel-Aviv pour user de la force contre le Liban, mais surtout contre la Syrie advenant encore une attaque du Hezbollah libanais pro-iranien contre les régions nord d'Israël. Une politique qui s'accompagne d'un " bill " au Congrès américain contre la Syrie, lui faisant porter la responsabilité de l'appui apporté aux terroristes de Hamas ainsi qu'à d'autres formations islamistes terroristes que Damas héberge, finance, leur fournissant l'appui logistique nécessaire pour leurs actions contre Israël et les intérêts américains dans la région, dont le parti chiite libanais, le Hezbollah qui répond aux ordres directs de Damas.

En somme, changer la politique américaine au Moyen-Orient reviendrait à trouver d'autres alliés riches en ressources énergétiques capables de remplacer le bailleur de fonds du terrorisme actuel. Ce faisant, cela ramènera la région à ce qu'elle était en 1919 quand elle représentait l'" homme malade " ou l'Empire ottoman, à la veille du déclenchement la Grande Guerre. Ainsi, 2002 serait ce que 1919 était pour cette partie du monde. Une flambée de guerre qui commencerait au Liban changera sans aucun doute la région en entier, mettant fin aux accords de Sykes-Picot et mènera à la naissance de nouvelles nations... Le Moyen-Orient se verra ainsi redessiné non à l'anglaise, mais cette fois-ci, à l'américaine.

Analyste politique et journaliste spécialisé sur les questions du Moyen-Orient.

Friday, September 6, 2002

Couper l'herbe sous le pied des terroristes

Le Soleil
Opinions, vendredi, 6 septembre 2002, p. A15

Les impacts du 11 septembre
Analyse

Couper l'herbe sous le pied des terroristes
Les États-Unis devront apporter démocratie
et aide économique dans les pays arabes


Ayache, Alain-Michel

Le monde ne sera plus jamais le même après le 11 septembre. Un an après les attentats qui ont ému la communauté internationale, des politologues, sociologues, théologiens, islamologues, philosophes et autres universitaires de renom répondent à l'invitation du journal LE SOLEIL. Dans une série d'articles qui se poursuit aujourd'hui, ces analystes livrent, chacun son tour, les réflexions que leur inspirent ces événements.

Comprendre le pourquoi des attentats du 11 septembre 2001, c'est avant tout vouloir disséquer la politique étrangère américaine dans la région du Moyen-Orient. Or, ce qui représente pour les États-Unis un acte de terrorisme n'est en effet pour les masses arabes qu'un juste retour des effets de cette même politique américaine dans l'ensemble de la région.

Certes, l'ampleur des pertes en vies humaines a soulevé l'indignation des éditorialistes arabes, mais cela a vite laissé place à une comparaison avec les victimes palestiniennes, et ce, dans un renversement des vapeurs d'accusation pour viser la politique étrangère américaine.

Washington a longtemps été accusé par les élites arabes et par les populations opprimées de laxisme face à leurs régimes. D'ailleurs, nul observateur occidental n'infirme la cruauté, l'oppression et l'État policier qui régissent l'ensemble des pays musulmans. Seul le Liban, à cause notamment des chrétiens maronites et de son système pseudo-démocratique parlementaire, pourrait être considéré comme un cas particulier, bien que, depuis le 13 octobre 1990, la Syrie l'occupe et le gère, le transformant de plus en plus à son image, une dictature militaro-policière.

Cette politique américaine d'appui aux régimes en place dans les pays musulmans, notamment après la chute de l'Union soviétique, avait pour but de maintenir une stabilité politique, militaire, mais surtout énergétique dans une région convoitée par les différentes puissances moyennes ou régionales. Soutenir les monarques absolus et les dictateurs arabes devenait la solution la plus facile pour Washington pour consolider une tête de pont face à un Iran révolutionnaire qui tente d'exporter sa vision chiite dans l'ensemble des autres pays avoisinants, sonnant ainsi le glas au quasi-contrôle énergétique de Washington sur la région.

C'est ainsi que l'Arabie saoudite, le Koweït, l'Égypte, les Émirats arabes unis, la Jordanie, le Bahreïn et la Syrie ont longtemps bénéficié, et continuent de bénéficier, de la complicité des É.-U. lorsqu'il s'agissait de mater des opposants ou d'instaurer des lois répressives et contraires à la Charte universelle des droits de l'homme. Alors que Washington se faisait le champion des droits de la personne, sa politique arabe et sa complicité avec les dictatures de la région allaient le conduire droit vers le 11 septembre.

L'une des erreurs de la politique américaine dans son approche moyen-orientale fut d'avoir sous-estimé la réaction de l'islam radicalisé par la politique d'oppression des régimes en place. Un islam qui a su profiter des occasions ratées et d'un affairisme étatique personnalisé des leaders arabes. C'est ainsi qu'à l'image de la Révolution iranienne, des groupes radicaux islamistes, tel le Hamas en Palestine et le Hezbollah au Liban, profitant de l'absence de politiques sociales étatiques, ont su monter des organismes de charité afin d'apporter des aides substantielles et essentielles à la survie des populations les plus pauvres.

Ce faisant, ces mouvements ont réussi non seulement à gagner un soutien inconditionnel des populations, mais également à recruter des jeunes sans avenir pour leur apprendre à haïr l'Occident " mécréant " et ses valeurs " décadentes ". Ces jeunes recrues ont été ensuite placées dans des " madrassas " coraniques pour être endoctrinées selon les désirs et les plans de ces groupes. Et elles allaient constituer le fer de lance des mouvements islamistes radicaux dans les pays arabes et musulmans.

À cela s'ajoute la campagne anti-islamiste de nombreux pays arabes qui n'a fait qu'exacerber la haine des radicaux contre les chefs d'État arabes accusés d'être à la solde du " Grand Satan ". C'est dans ce même contexte qu'Oussama ben Laden, richissime homme d'affaires saoudien et opposant au régime wahabite en place, monta son propre groupe en espérant un jour renverser la vapeur et déloger le régime saoudien en place. Sa politique de recrutement s'était basée, entre autres, sur le fait que le royaume saoudien, censé être le protecteur de l'Islam, a permis à des " infidèles ", les Marines américains, de stationner leurs troupes sur le sol saint de l'islam. Pour les populations arabes, c'est une insulte impardonnable de la part des dirigeants saoudiens et surtout des Américains.

Cette approche sociale, totalement absente de la vision des chefs d'État arabes occupés par leur affairisme et l'accumulation de richesses personnelles, a mené les islamistes vers un discours religieux enflammé durant les prêches du vendredi dans les mosquées. Un discours, qui, à défaut de pouvoir le contrôler, fut toléré par les chefs d'État arabes pour devenir une sorte de bouffée d'oxygène, notamment après la deuxième Intifada. Ce faisant, les dictateurs et monarques arabes croyaient pouvoir maîtriser la rue à travers des chefs religieux qui gardaient une sorte de contrôle sur les masses. Par ailleurs, il fallait la " bénédiction " de ces derniers pour garder l'image de défenseur de la foi islamique, car dans l'Islam, l'État et la religion sont inséparables. C'est dans cette optique que le royaume saoudien devint le bailleur de fonds de toutes les organisations islamiques à travers les cinq continents, finançant par ce fait même, les actions terroristes, dont les attentats du 11 septembre.

À cette situation de mobilisation islamiste, la politique à deux poids deux mesures de Washington face au problème palestinien a été largement exacerbée par les médias arabes, notamment par la chaîne télévisée du Qatar, Al-Jazeera, et par celle du Hezbollah libanais, Al-Manar. C'était la réponse des médias arabes à la couverture de CNN lors de la guerre du Golfe contre l'Irak en 1990.

De plus, le retrait israélien du Sud- Liban en mai 2000, sous la pression de la guérilla du Hezbollah et de son média audiovisuel Al-Manar, fut transformé en une " grande victoire islamique " et en " première arabe ". Les images des opérations meurtrières de guérilla contre les soldats de Tshahal, transmises en direct, ont largement contribué au soulèvement de la rue, brisant le mythe d'une armée israélienne " imbattable ". Une victoire morale qui a profité aux radicaux pour récolter le soutien des masses et les mobiliser davantage contre l'Occident, notamment contre les États-Unis et Israël. Pas étonnant alors de voir des Palestiniens et d'autres Arabes danser de joie dans les rues à la vue des tours qui s'effondraient !

Le 11 septembre survient dans cette même perspective : celle de briser le mythe de suprématie des États-Unis. Désormais, les forces d'Allah peuvent frapper partout en Occident. Le pire qui puisse arriver, c'est que les régimes des pays arabes soient montrés du doigt et accusés de complicité avec les terroristes. Ce qui fera l'affaire de ces derniers, et des groupes islamistes éparpillés en multiples cellules à travers l'Occident, lesquels n'attendent que les ordres d'un illuminé pour frapper les civils innocents.

Transporter ainsi la terreur en Occident, particulièrement aux États-Unis, n'est qu'une autre façon de " rendre la monnaie d'une politique américaine manipulatrice et hypocrite " comme l'affirment plusieurs intellectuels arabes. Éradiquer le terrorisme ne se fera pas par la force des bombes américaines, mais plutôt par une politique plus humaniste de Washington, basée sur une nouvelle approche économique, soulageant la souffrance des plus pauvres, les arrachant ainsi aux grippes des islamistes radicaux.

Contrer la pauvreté et aider à l'instauration de régimes démocratiques dans la région du Moyen-Orient sont la seule garantie solide contre le développement du terrorisme. Cela nécessitera un changement de la politique moyen-orientale de Washington et donc, l'abandon de ses anciens alliés arabes. Le ferait-il ?

L'auteur est chercheur, analyste et journaliste spécialisé sur le Moyen-Orient

Tuesday, March 26, 2002

Le piège se referme sur Sharon

Le Devoir
Idées, mardi, 26 mars 2002, p. A7

Entre la riposte et le dialogue: Le piège se referme sur Sharon

Le premier ministre israélien se voit chaque jour au pied du mur de la violence,
de laquelle il ne sait plus comment sortir


Ayache, Alain-Michel
Analyste politique

Pris entre le marteau des opérations suicide palestiniennes et l'enclume du scénario subi par l'Armée de Défense israélienne (ADI) signé par le Hezbollah (ou le "Parti de Dieu") au Liban Sud en mai 2000, le premier ministre israélien, Ariel Sharon, se voit chaque jour au pied du mur de la violence, de laquelle il ne sait plus comment sortir.

En effet, le retrait de l'ADI du Liban à la suite des pressions des attaques répétées du Hezbollah et de l'augmentation des pertes parmi ses soldats et officiers a largement remonté le moral des masses arabes et musulmanes de sorte que le "Jihad" devint le mot d'ordre et l'arme des "opprimés".

Cette montée en crescendo des opérations de guérilla, jugées par les observateurs militaires de tout bord comme étant de qualité, est largement inspirée par le style de combat du Hezbollah au Liban. Un style utilisé et orchestré à la perfection par la propagande du "Parti de Dieu" qui avait réussi à démolir le moral des alliés de l'ADI, l'armée du Liban Sud (ALS), mais qui avait également largement touché l'opinion publique israélienne. Les Israéliens n'en croyaient plus leurs yeux à la vue des opérations de guérilla réussies contre leurs soldats et leurs alliés, filmées par les miliciens du Hezbollah. Comble du tout, les chaînes de télévision israéliennes avaient largement contribué au succès du Hezbollah en rediffusant ces "documentaires historiques" que la télévision de ces miliciens chi'ite pro-iraniens "Al-Manar" diffusait sur satellite.

Aujourd'hui le style du Hezbollah, repris par les "Moujahiddines" palestiniens, réussit à exercer une pression, non sans rappeler la période de l'occupation du Sud Liban, et affecte considérablement le moral des Israéliens. Pas étonnant de voir de plus en plus d'officiers, de soldats et des civils israéliens demander à leur premier ministre de mettre un terme à sa politique de "Terre brûlée" à chaque fois qu'un Palestinien nargue la fierté de l'ADI qui se veut "la plus puissante de la région" et se fait exploser en tuant avec lui des innocents civils quand il n'arrive pas à "envoyer au diable les occupants", comme l'on entend souvent dire dans les milieux arabes, y compris à Montréal.

Le spectre du passé

Par ailleurs, le spectre des massacres de civils dans les camps palestiniens de Sabra et Chatila au Liban, machiavéliquement orchestré par Damas et ses alliés, et auquel l'Europe souscrit favorablement par opposition à la politique d'appui unilatéral de Washington à Israël, pèse lourd sur la crédibilité d'Ariel Sharon. Ainsi se trouve-t-il pris entre la volonté de continuer sa politique de destruction des infrastructures palestiniennes et de son ennemi juré, le président palestinien Yasser Arafat, au risque d'un éclatement de l'appui de la population israélienne - et l'on aperçoit des signes annonciateurs de ce mécontentement - et l'arrêt des représailles démesurées qui poussera encore plus haut le moral des islamistes et du monde arabe. Dans un tel cas, la tactique du Hezbollah aura, encore une fois, gagné, poussant ainsi les Palestiniens à augmenter leurs revendications sur Jérusalem, voire sur "Eretz Israël", à l'instar de leur modèle favori, le "Parti de Dieu", qui clame aujourd'hui le droit sur les fermes de Shebaa occupées par les Israéliens et qui, selon les documents des Nations unies, sont syriennes et répondent à la résolution 242 et 338 du Conseil de Sécurité des Nations unies. Une situation ambiguë à laquelle la Syrie ajoute encore plus de mystère en n'avançant aucun document officiel ni aux Nations unies, ni au Liban pour prouver la crédibilité des dires du Hezbollah.

Le machiavélisme de Damas

Cette politique damascène à laquelle s'allie la politique de fer de Téhéran est aujourd'hui la cible de l'administration américaine. Or, Washington refuse de s'attaquer à la Syrie, d'autant plus que Bush, le fils, s'attend à l'appui du président Assad, le fils, dans sa planification d'attaquer l'Irak, comme avait fait avant lui, Bush, le père, en sacrifiant la liberté du Liban comme prix de l'alliance avec Assad, le père. Ce dernier avait prêté main-forte aux Américains en fermant les frontières avec l'Irak. De plus, la Syrie siège au Conseil de Sécurité des Nations unies et donc ne peut officiellement être accusée de soutenir le terrorisme. D'autres part, Sharon et W. Bush savent que la tactique du Hezbollah a largement inspiré les groupes terroristes et les "Moujahiddines" de Hamas et qu'éradiquer leurs actions, reviendrait à éliminer le Hezbollah, chose qui se révèle largement difficile dans l'état actuel des choses. Car le Hezbollah a acquis sa notoriété et sa légitimité au Liban - de par la population chi'ite devenue majoritaire - et à laquelle souscrivent les Chrétiens du Liban, forcés par la tyrannie damascène et l'indifférence occidentale à l'égard de leur survie.

Le choix entre le pire et le... pire!

Au pied du mur de la violence, le premier ministre Ariel Sharon n'a devant lui qu'un choix limité pour renverser la vapeur avant qu'elle n'anéantisse le restant de sa crédibilité, non seulement internationale et particulièrement européenne, mais surtout israélienne. Pour cela, il ne semble avoir que deux solutions: soit arriver à trouver une contrepartie chez les Palestiniens autre qu'un Arafat, affaibli par l'âge et par les groupes armés qu'il n'arrive plus à contrôler, et qui mettrait fin aux hostilités palestiniennes, soit amener toute la région dans un chaos de guerre et redessiner ainsi de nouveau la carte géopolitique de la région.

Dans le premier cas, il faudra qu'il maintienne sa politique de pression et de "Terre brûlée" pour amener les Palestiniens à trouver un remplaçant à Arafat avec qui une entente sera signée sans qu'il ne perde la face. Dans le cas second, il devra compter sur l'aide de Washington dans une guerre de grande envergure dans laquelle le président Bush ne semble pas prêt à plonger... du moins pas pour l'instant.

Les prochaines semaines seront significatives pour le choix fixé par Sharon et Bush selon que Washington entreprenne une action contre Saddam Hussein ou non, et selon les modalités de cette action, à un moment où l'ensemble des alliés européens et le Canada semblent se désolidariser de cette initiative cavalière américaine tout en demandant qu'une quelconque action soit menée sous l'égide des Nations unies.

En attendant, le piège se referme sur Sharon avec chaque attaque réussie des islamistes et du Hamas. La suite ne peut qu'être terrifiante pour les populations locales confondues. Le sommet des pays arabes, prévu à Beyrouth au mois de mars, pourra alors dessiner les contours d'une possible action de la Ligue arabe ou à défaut, ses divisions. Dans ce dernier cas, le statu quo pourrait engendrer le pire!