Opinions, vendredi, 6 septembre 2002, p. A15
Les impacts du 11 septembre
Analyse
Les États-Unis devront apporter démocratie
et aide économique dans les pays arabes
Ayache, Alain-Michel
Le monde ne sera plus jamais le même après le 11 septembre. Un an après les attentats qui ont ému la communauté internationale, des politologues, sociologues, théologiens, islamologues, philosophes et autres universitaires de renom répondent à l'invitation du journal LE SOLEIL. Dans une série d'articles qui se poursuit aujourd'hui, ces analystes livrent, chacun son tour, les réflexions que leur inspirent ces événements.
Comprendre le pourquoi des attentats du 11 septembre 2001, c'est avant tout vouloir disséquer la politique étrangère américaine dans la région du Moyen-Orient. Or, ce qui représente pour les États-Unis un acte de terrorisme n'est en effet pour les masses arabes qu'un juste retour des effets de cette même politique américaine dans l'ensemble de la région.
Certes, l'ampleur des pertes en vies humaines a soulevé l'indignation des éditorialistes arabes, mais cela a vite laissé place à une comparaison avec les victimes palestiniennes, et ce, dans un renversement des vapeurs d'accusation pour viser la politique étrangère américaine.
Washington a longtemps été accusé par les élites arabes et par les populations opprimées de laxisme face à leurs régimes. D'ailleurs, nul observateur occidental n'infirme la cruauté, l'oppression et l'État policier qui régissent l'ensemble des pays musulmans. Seul le Liban, à cause notamment des chrétiens maronites et de son système pseudo-démocratique parlementaire, pourrait être considéré comme un cas particulier, bien que, depuis le 13 octobre 1990, la Syrie l'occupe et le gère, le transformant de plus en plus à son image, une dictature militaro-policière.
Cette politique américaine d'appui aux régimes en place dans les pays musulmans, notamment après la chute de l'Union soviétique, avait pour but de maintenir une stabilité politique, militaire, mais surtout énergétique dans une région convoitée par les différentes puissances moyennes ou régionales. Soutenir les monarques absolus et les dictateurs arabes devenait la solution la plus facile pour Washington pour consolider une tête de pont face à un Iran révolutionnaire qui tente d'exporter sa vision chiite dans l'ensemble des autres pays avoisinants, sonnant ainsi le glas au quasi-contrôle énergétique de Washington sur la région.
C'est ainsi que l'Arabie saoudite, le Koweït, l'Égypte, les Émirats arabes unis, la Jordanie, le Bahreïn et la Syrie ont longtemps bénéficié, et continuent de bénéficier, de la complicité des É.-U. lorsqu'il s'agissait de mater des opposants ou d'instaurer des lois répressives et contraires à la Charte universelle des droits de l'homme. Alors que Washington se faisait le champion des droits de la personne, sa politique arabe et sa complicité avec les dictatures de la région allaient le conduire droit vers le 11 septembre.
L'une des erreurs de la politique américaine dans son approche moyen-orientale fut d'avoir sous-estimé la réaction de l'islam radicalisé par la politique d'oppression des régimes en place. Un islam qui a su profiter des occasions ratées et d'un affairisme étatique personnalisé des leaders arabes. C'est ainsi qu'à l'image de la Révolution iranienne, des groupes radicaux islamistes, tel le Hamas en Palestine et le Hezbollah au Liban, profitant de l'absence de politiques sociales étatiques, ont su monter des organismes de charité afin d'apporter des aides substantielles et essentielles à la survie des populations les plus pauvres.
Ce faisant, ces mouvements ont réussi non seulement à gagner un soutien inconditionnel des populations, mais également à recruter des jeunes sans avenir pour leur apprendre à haïr l'Occident " mécréant " et ses valeurs " décadentes ". Ces jeunes recrues ont été ensuite placées dans des " madrassas " coraniques pour être endoctrinées selon les désirs et les plans de ces groupes. Et elles allaient constituer le fer de lance des mouvements islamistes radicaux dans les pays arabes et musulmans.
À cela s'ajoute la campagne anti-islamiste de nombreux pays arabes qui n'a fait qu'exacerber la haine des radicaux contre les chefs d'État arabes accusés d'être à la solde du " Grand Satan ". C'est dans ce même contexte qu'Oussama ben Laden, richissime homme d'affaires saoudien et opposant au régime wahabite en place, monta son propre groupe en espérant un jour renverser la vapeur et déloger le régime saoudien en place. Sa politique de recrutement s'était basée, entre autres, sur le fait que le royaume saoudien, censé être le protecteur de l'Islam, a permis à des " infidèles ", les Marines américains, de stationner leurs troupes sur le sol saint de l'islam. Pour les populations arabes, c'est une insulte impardonnable de la part des dirigeants saoudiens et surtout des Américains.
Cette approche sociale, totalement absente de la vision des chefs d'État arabes occupés par leur affairisme et l'accumulation de richesses personnelles, a mené les islamistes vers un discours religieux enflammé durant les prêches du vendredi dans les mosquées. Un discours, qui, à défaut de pouvoir le contrôler, fut toléré par les chefs d'État arabes pour devenir une sorte de bouffée d'oxygène, notamment après la deuxième Intifada. Ce faisant, les dictateurs et monarques arabes croyaient pouvoir maîtriser la rue à travers des chefs religieux qui gardaient une sorte de contrôle sur les masses. Par ailleurs, il fallait la " bénédiction " de ces derniers pour garder l'image de défenseur de la foi islamique, car dans l'Islam, l'État et la religion sont inséparables. C'est dans cette optique que le royaume saoudien devint le bailleur de fonds de toutes les organisations islamiques à travers les cinq continents, finançant par ce fait même, les actions terroristes, dont les attentats du 11 septembre.
À cette situation de mobilisation islamiste, la politique à deux poids deux mesures de Washington face au problème palestinien a été largement exacerbée par les médias arabes, notamment par la chaîne télévisée du Qatar, Al-Jazeera, et par celle du Hezbollah libanais, Al-Manar. C'était la réponse des médias arabes à la couverture de CNN lors de la guerre du Golfe contre l'Irak en 1990.
De plus, le retrait israélien du Sud- Liban en mai 2000, sous la pression de la guérilla du Hezbollah et de son média audiovisuel Al-Manar, fut transformé en une " grande victoire islamique " et en " première arabe ". Les images des opérations meurtrières de guérilla contre les soldats de Tshahal, transmises en direct, ont largement contribué au soulèvement de la rue, brisant le mythe d'une armée israélienne " imbattable ". Une victoire morale qui a profité aux radicaux pour récolter le soutien des masses et les mobiliser davantage contre l'Occident, notamment contre les États-Unis et Israël. Pas étonnant alors de voir des Palestiniens et d'autres Arabes danser de joie dans les rues à la vue des tours qui s'effondraient !
Le 11 septembre survient dans cette même perspective : celle de briser le mythe de suprématie des États-Unis. Désormais, les forces d'Allah peuvent frapper partout en Occident. Le pire qui puisse arriver, c'est que les régimes des pays arabes soient montrés du doigt et accusés de complicité avec les terroristes. Ce qui fera l'affaire de ces derniers, et des groupes islamistes éparpillés en multiples cellules à travers l'Occident, lesquels n'attendent que les ordres d'un illuminé pour frapper les civils innocents.
Transporter ainsi la terreur en Occident, particulièrement aux États-Unis, n'est qu'une autre façon de " rendre la monnaie d'une politique américaine manipulatrice et hypocrite " comme l'affirment plusieurs intellectuels arabes. Éradiquer le terrorisme ne se fera pas par la force des bombes américaines, mais plutôt par une politique plus humaniste de Washington, basée sur une nouvelle approche économique, soulageant la souffrance des plus pauvres, les arrachant ainsi aux grippes des islamistes radicaux.
Contrer la pauvreté et aider à l'instauration de régimes démocratiques dans la région du Moyen-Orient sont la seule garantie solide contre le développement du terrorisme. Cela nécessitera un changement de la politique moyen-orientale de Washington et donc, l'abandon de ses anciens alliés arabes. Le ferait-il ?
L'auteur est chercheur, analyste et journaliste spécialisé sur le Moyen-Orient
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