Monday, June 16, 2008

Le monde selon Henry Kissinger



Le Droit
Actualités,
lundi, 16 juin 2008, p. 17


Le monde selon Henry Kissinger

À 85 ans, l'ancien secrétaire d'État américain, Henry Kissinger, n'a pas manqué d'impressionner les 800 privilégiés qui ont assisté à son allocution dans le cadre de la 14e édition du Forum économique des Amériques, de la Conférence de Montréal.S'il n'a pas été question de critiquer la politique étrangère américaine actuelle, la question des présidentielles, elle, était toute posée dans son discours et avait une place de choix dans la détermination de la suite à donner au cheminement des politiques à venir. En effet, quel que soit le prochain président des États-Unis, il aura la lourde tâche de mener à bien ce qui fera des États-Unis un pays aimé ou détesté par notamment le Tiers Monde.

Cette constatation réside dans le fait que souvent la politique américaine est basée sur la défense unique des intérêts des États-Unis et ne prend que rarement en considération ceux des pays tiers. Or, le défi du prochain président sera de retrouver une certaine nouveauté dans la continuité.Continuité, car la politique étrangère américaine en est une malgré le changement d'Administration. En fait, ce qui change sont souvent les priorités et surtout les tactiques. D'ailleurs, Henry Kissinger souligne clairement la nécessité pour les différents partis politiques de se concentrer plus sur les raisons de leurs politiques et orienter le débat autour de choix de la tactique à adopter.

Le monde en catégories


Et lorsqu'il s'agit de définir le monde dans lequel nous vivons, l'ancien Secrétaire d'État choisit de le faire à travers la définition du concept de la "souveraineté" et de son effet sur les politiques des différents pays. Ainsi, le monde fait face à des problèmes qui sont similaires à travers certains angles et opposés à travers d'autres. Il serait principalement réparti en trois catégories distinctes laissant de côté les États-Unis qui sont considérés comme une partie à part entière.

La première étant formée par les pays européens qui ont choisi de déléguer une bonne partie de leur souveraineté à un ensemble dit "Union européenne". Ils ont ainsi amoindri toute prise de décision unilatérale et adopté une sorte de "politique douce" ("soft policy"). L'exemple avancé est celui de la chancelière allemande Angela Merkel qui, pour prendre une décision d'envoyer des troupes en Afghanistan, choisirait de le faire d'une façon prudente car sa décision affecterait l'ensemble des autres pays de l'Union. Alors que les États-Unis le feraient sans hésiter vu que le processus décisionnel est concentré selon la tradition classique des relations internationales et du concept de souveraineté par Washington.

La seconde partie du monde comprend les pays du Moyen-Orient, où le concept d'État souverain n'est presque pas existant dans le sens que l'existence de ces pays est récente. Une souveraineté qui leur a été offerte par les puissances coloniales de l'époque alors qu'ils représentaient des provinces ottomanes dont chacune était souvent caractérisée par son homogénéité ethnique. Par exemple l'Irak, selon les termes de Kissinger, représentait trois provinces ottomanes indépendantes l'une de l'autre. Lorsque l'Irak a été formé, les puissances mandataires n'avaient pas pris en considération les différences ethniques qui les séparaient. D'où l'incompatibilité avec le concept de l'État-nation cher à l'Occident et par définition à la souveraineté.

La troisième partie est celle des pays de l'Asie, où le concept de souveraineté est complètement structuré.

Les défis du prochain


Ainsi divisé, le monde d'aujourd'hui soulève un nouveau défi, celui de la compatibilité des États, mais également un défi de taille pour les États-Unis pour la sauvegarde de ses positions... Inutile alors de se positionner en adversaire de la Chine comme le clament certains. Au contraire, faire valoir la coopération internationale et le libre-marché garantira plus la stabilité au lieu de se lancer à tort dans une nouvelle guerre froide où la Chine remplacerait l'Union soviétique.

Le second défi pour les États-Unis est concentré dans le danger qui guette le monde actuel, l'Islam radical. Ainsi, retirer les troupes américaines de l'Irak ou celle de l'OTAN de l'Afghanistan équivaudrait à transmettre un message de la faiblesse de l'Occident. Cela pousserait une population pauvre et désorientée dans le giron de l'Islamisme et tous les efforts entrepris par l'Occident pour mettre en place souveraineté et démocratie auraient été alors en vain.

Ainsi, il ne faudrait pas poser le débat autour de la politique étrangère américaine sur le retrait des troupes ou sur le calendrier du retrait, mais sur la façon de combattre le radicalisme.

Pour le Moyen-Orient, il devient important pour Washington de trouver de nouvelles idées capables de sortir l'Irak de la crise. Ces idées nouvelles capables pourraient maintenir la stabilité de la région tout en réduisant le risque du radicalisme islamique. Pour Kissinger, le problème palestinien n'est autre qu'une question de frontières d'un État qu'il appartient de fonder... alors que l'Islam radical est plus dangereux et se nourrit de ses propres forces, d'où la nécessité de réduire ses forces.

Le réalisme dont Henry Kissinger il a toujours su user dans sa politique de "petits pas" le place encore une fois comme une référence à ne point prendre à la légère. Il demeure aujourd'hui le porte-flambeau d'une politique étrangère américaine mettant plus l'accent sur le concept de "stabilité" et de l'équilibre des forces, que sur celui hégémonique des néo-conservateurs. Ces derniers, bien qu'ils aient entrepris des actions justes avec des intentions louables pour certains, sont toutefois tombés dans l'erreur de la sauvegarde de la paix devenue piège meurtrier. Alors que dans le cas de Kissinger, le réalisme prévaut toujours sur l'idéal et demeure le meilleur moyen de maintenir une stabilité.

Alain-Michel Ayache,
Département de Science politique,

Université du Québec à Montréal

Illustration(s) : La Presse Canadienne
L'ancien secrétaire d'État américain, Henry Kissinger, lors de son passage au Forum économique International des Amériques mercredi dernier.© 2008 Le Droit.
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Numéro de document : news·20080616·LT·0031


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