Opinions, vendredi, 25 août 2006, p. 19
Analyse
Ayache, Alain-Michel
Alors que les canons et les missiles se sont tus de part et d'autre, les "escarmouches" se multiplient sur un fond d'escalade politique, aussi bien au Liban qu'en Israël, une dizaine de jours après la fin du "premier round".
Les deux belligérants clament victoire, que ce soit Tel-Aviv ou "Haret Hreik", lieu du quartier général du Hezbollah ou, pour schématiser un peu, capitale de la décision politique "libanaise" actuelle. En réalité, chacun des belligérants cherche à colmater les brèches que cette guerre a ouvertes dans l'appui de la population, et ce, des deux côtés de la ligne bleue.
En effet, que ce soit Ehoud Olmert ou Sayyed Hassan Nasrallah, les deux chefs semblent vouloir prouver à leur population respective qu'ils avaient agi dans le meilleur intérêt des leurs. En somme, le rapt des deux soldats israéliens par-delà la ligne bleue, qui démarque la frontière libano-israélienne, n'est rien d'autre qu'une promesse électorale tenue par le leader chiite charismatique pour négocier l'échange du prisonnier Samir El-Qantar !
D'ailleurs, Nasrallah était étonné de la réponse musclée d'Israël, alors qu'il était habitué à ce genre d'opérations pour échanger des prisonniers arabes contre les cadavres de soldats israéliens tués lors d'escarmouches avec sa milice, ou kidnappés à l'étranger.
Quant au premier ministre israélien, il agit avant tout pour s'affirmer en tant que leader alors que l'ombre d'Ariel Sharon plane toujours. Or, pour se démarquer d'"Arik", Olmert et son ministre de la Défense, Émir Peretz, un travailliste dépourvu d'un passé militaire, ont choisi d'appliquer la loi du talion afin de casser ce cercle vicieux duquel ils n'arrivent plus à sortir.
Le cercle de violence a commencé avec l'arrivée au pouvoir du Hamas dans les territoires, suivie du rapt du soldat Shalit par des membres du Hamas, qui ont utilisé une tactique du Hezbollah qui avait fait ses preuves. Or, conscient que le gouvernement israélien actuel ne peut se permettre de montrer son inexpérience militaire ni de flancher devant une menace terroriste quelle qu'elle soit, Tel-Aviv a décidé de tenter de mettre fin à ce cercle de violence. Il envoie ainsi un message clair : Israël ne négocie pas lorsqu'il est victime de chantage.
À défaut d'une réaction musclée, le gouvernement israélien enverrait un signe de faiblesse qui serait interprété par les terroristes du monde entier comme une invitation à s'attaquer aux intérêts juifs sur les cinq continents.
Guerre mal gérée
Au départ, donc, les enjeux pour les uns et pour les autres avaient pour base la population. Or, cette guerre de juillet 2006, ou ce premier round, a été mal gérée par Olmert-Peretz et par Nasrallah ; elle a ainsi eu pour conséquence de soulever une bonne partie de la population contre eux.
La seule différence majeure, c'est que le Hezbollah tente de sauver sa légitimité et le soutien populaire chiite en achetant, à coups de dizaines de milliers de dollars comptant, le silence et l'appui des pauvres gens qui ont perdu leurs demeures. Il bénéficie également d'un appui presque inconditionnel ou forcé des médias aussi bien libanais qu'arabes. Alors qu'en Israël, où la démocratie règne, les médias sont loin de faire un quelconque cadeau au gouvernement et l'heure est aux critiques et à l'examen des causes d'un tel échec dans la gestion d'une crise de cette ampleur.
Les risques à venir
Ainsi, que ce soit Tel-Aviv ou "Haret Hreik", les deux "capitales" tentent de regagner leurs bases populaires. Dans le cas du Liban, le Hezbollah essaie d'acheter à coups de dizaines de milliers de dollars américains (!) le silence des sinistrés afin de leur faire oublier sa responsabilité dans l'incursion israélienne qui a causé la destruction de leurs biens. Toutefois, son refus de se plier aux exigences de la résolution 1701 du Conseil de sécurité des Nations unies pourrait bien plonger le Liban dans une guerre intestine.
Et ce, malgré la volonté de la majorité des Libanais de ne pas vouloir entrer une fois de plus dans une logique de guerre civile fratricide. En effet, en refusant de se désarmer, Sayyed Hassan Nasrallah se met à dos les autres partis politiques libanais qui cherchent à légitimer l'État libanais, seul habilité selon eux à posséder le monopole de la force.
Quant au gouvernement israélien, les attaques du Likoud pour la démission d'Ehoud Olmert et les multiples scandales financiers qui commencent à sérieusement secouer l'image du gouvernement risquent fort de mener Olmert à sa chute et de porter au pouvoir quelqu'un de plus radical ou provenant du milieu militaire.
Ainsi, le Liban et Israël semblent se tourner vers une radicalisation : le premier malgré lui et à cause de la faiblesse de ses institutions, confisquées par la personnalité charismatique du chef du Hezbollah ; le second à cause de la force de ses institutions démocratiques qui cherchent à mettre un terme aux faiblesses de son chef. Dans les deux cas, les tambours de guerre sont loin d'être rangés et leur son résonne toujours dans l'écho du Cèdre !
Alain-Michel Ayache, spécialiste du Proche et du Moyen-Orient
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