Tuesday, February 1, 2005

Irak: Forte participation au vote de dimanche

Le Soleil
Opinions, mardi, 1 février 2005, p. A17

Analyse

Forte participation au vote de dimanche
Le succès irakien met les dirigeants arabes sur le qui-vive

Ayache, Alain-Michel

Pari gagné ! Plus de 55 % d'Irakiens auraient pris le risque en fin de semaine de se présenter aux urnes. Et ce faisant, ils ont individuellement décidé, pour la première fois de leur histoire, de contribuer à l'élection de la liste de candidats de leur choix. Ils ont bravé le danger des attaques des insurgés et les mortiers des Feddayins de Saddam pour montrer qu'ils n'avaient pas peur et que l'Irak leur appartenait désormais. Ils avaient le droit de décider de leur avenir et l'ont saisi à pleines mains. Ils y ont peut-être même vu une occasion de donner une leçon de démocratie aux populations des pays de la région.

Si ces élections revêtent une grande importance pour les Irakiens, elles influencent peut-être encore davantage l'ensemble des pays arabes qui vont scruter de très près la participation tant des sunnites que des chiites à ce vote.

En effet, de nombreux pays arabes voisins comptent une population chiite importante qui, souvent, n'a pas voix au chapitre politique, étant plutôt sujette à des intimidations. C'est tout particulièrement le cas depuis la création de la République islamique d'Iran en 1979.

Raz-de-marée chiite

Cette peur d'un raz-de-marée chiite s'est répercutée dans les milieux arabes à majorité sunnite qui accusent les États-Unis de vouloir remplacer la dictature de Saddam par une théocratie chiite. Les élections favoriseront forcément en effet la population de la majorité en Irak qui aura sans doute voté en bloc. D'ailleurs, certains médias arabes soulignent que la volonté chiite de prendre le pouvoir est visible et manifeste à travers la fatwa du grand ayatollah Ali Sistani en faveur de la participation aux élections.

Le vote massif chiite donnera vraisemblablement le pouvoir législatif à cette communauté, largement opprimée par les sunnites sous le règne de Saddam. D'autres minorités au pouvoir dans les pays avoisinants n'ont pas caché craindre l'effet de contagion que pourrait avoir cette victoire démocratique chiite. Même dans les pays arabes où les chiites ne forment qu'une forte minorité, les élections d'aujourd'hui pousseraient les sunnites à prendre sérieusement en considération cette variable désormais déterminante pour l'avenir de la région.

Cette crainte des sunnites d'être marginalisés se généralise et dépasse la frontière irakienne. Elle constitue, à moyen terme, une menace à la stabilité dans les pays avoisinants. Pas étonnant en conséquence de noter les réactions mitigées sur le déroulement du processus électoral irakien et sur la valeur des résultats à venir.

Le monde arabe se trouve vraiment divisé sur la base de ce scrutin. D'un côté, il y a la réaction enthousiaste de toutes les communautés non sunnites en Irak et dans les 13 autres pays où elles avaient le droit de voter et où l'on a dansé dans les rues en exhibant fièrement l'index maculé d'encre. De l'autre, il y a eu les tentatives des sunnites modérés de tempérer leur peur en soulevant des slogans d'union nationale afin de se garantir une parcelle de pouvoir dans ce nouvel Irak que les Américains veulent démocratique. S'ajoute à ce portrait la minorité extrémiste qui a tout fait pour empêcher le scrutin ou pour en fragiliser la tenue le plus possible.

Iran, Turquie et Syrie...

L'Iran est peut-être le pays qui surveille avec le plus d'attention ces élections irakiennes. Une victoire des opprimés chiites d'hier pourrait devenir pour elle une arme à double tranchant. D'un côté, les chiites victorieux pourraient imposer - si ce n'est dans l'immédiat, dans un avenir proche ou lors de futures élections - un gouvernement ou des lois islamistes, à l'iranienne. Mais de l'autre - et c'est ce que souhaitent la plupart des analystes américains - ils pourraient offrir une solution arabe au chiisme iranien. Ils pourraient créer une vision moderne du chiisme arabe qui aurait des effets sur le chiisme iranien et pourrait contribuer à la chute du régime des ayatollahs en Iran.

Les États-Unis auraient alors fait d'une pierre deux coups, en libéralisant l'Irak : ils auraient neutralisé le pouvoir islamique d'Iran de l'intérieur.

Par ailleurs, les élections irakiennes constituent également un précédent pour la Syrie, dont le régime est cousin de celui de Saddam Hussein et où les communautés opprimées, sunnites et kurdes, attendent le moment opportun pour se soulever contre le régime baathiste des Assad.

Également intéressée, par la variable kurde en Irak, la Turquie. Et pour cause, les Kurdes sont continuellement opprimés par les Turcs, les Iraniens et les Syriens... De quoi causer bien des sueurs froides aux dirigeants de ces régimes si les élections irakiennes menaient en bout de ligne à une plus grande influence des Kurdes sur la politique nationale et régionale de l'Irak...

Pour l'instant, le taux de participation important des électeurs irakiens a surpris les masses arabes des pays voisins à plus d'un égard. Plusieurs misaient en effet sur un boycott du plan d'action américain pour contrôler indirectement l'Irak et ses décisions futures.

Les résultats à venir démontreront si la démocratie en Irak est viable et représentative de toutes les communautés, y compris sunnite, malgré une participation timide de ces derniers. Dans le cas contraire - et comme ne cessent de le prédire les analystes arabes - , cela signifierait la fin de l'Irak comme nous le connaissons aujourd'hui.

Il y aurait naissance de plusieurs entités religieuses, et principalement une chiite, une kurde et une sunnite. Les autres minorités, et notamment la chrétienne, étant intégrées à l'une ou à l'autre, ou tout simplement poussées à l'exil comme les Kurdes semblent l'avoir fait en empêchant dimanche des chrétiens assyriens de voter.

L'auteur est analyste et chercheur spécialisé sur les questions du Moyen-Orient.


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