Opinions, mercredi, 1 juin 2005, p. A19
Alliés d'hier, protagonistes d'aujourd'hui
Ayache, Alain-Michel
Prise entre le désir de démontrer sa force sur le terrain et la réalité des "bulldozers" électoraux, la population libanaise et notamment chrétienne, a décidé de boycotter la première série des élections législatives libres au Liban.
Sous supervision d'observateurs internationaux et notamment européens, la capitale libanaise vient de passer haut la main son premier test de démocratie loin de l'hégémonie damascène. Toutefois, et bien que sur le plan des préparatifs et du respect du mécanisme démocratique des élections, le tout s'est déroulé à la perfection, il n'en demeure pas moins que la participation de la population de la capitale libanaise était modeste, soit à peine 28% des inscrits. La majorité des Beyrouthins boycottent les élections.
Ce boycott est principalement dû à la loi utilisée communément appelée "loi 2000". Elle a été promulguée en l'an 2000 par les députés prosyriens de l'époque, où le découpage électoral minait les assises des minorités et surtout de l'électorat chrétien en le rendant à la merci de la majorité musulmane. À cela s'ajoutent, bien entendu, les divisions qui ont resurgi entre Libanais et notamment entre les membres de l'opposition même.
En effet, cette opposition à l'occupation syrienne qui s'était concrétisée par la manifestation de plus de un million et demi de Libanais dans le centre-ville toutes confessions confondues a été confisquée par la classe politique traditionnelle, soit les alliés et opposants d'hier. Ce qui est étonnant, c'est que les ennemis d'hier se sont alliés entre eux et les alliés dans l'opposition d'hier se sont divisés ! De quoi dégoûter les Libanais et notamment ceux-là même qui ont pris le risque de défier ouvertement la Syrie et étaient là l'origine des manifestations antisyriennes pour réclamer leur départ.
Alliés d'hier, protagonistes d'aujourd'hui
Ainsi retrouvait-on sur la même liste des candidats prosyriens et des candidats de l'opposition faisant face à d'autres candidats prosyriens alliés à d'autres de l'opposition, ce qui est pour le moins incompréhensible pour la plupart des Libanais. Cela est principalement le fruit, non seulement de la loi 2000, mais également la volonté de Washington que les élections se tiennent à la date prévue, car tout changement de date compliquerait un peu plus la donne aux Américains dans la région.
D'ailleurs, cette volonté des Américains de vouloir pousser les Libanais vers un vote immédiat s'est traduite par plusieurs rencontres avec les principaux protagonistes sous les auspices de l'ambassadeur américain dans une tentative de colmater la brèche de la division entre les différentes forces de l'opposition, mais rien ne s'est concrétisé. Le principal opposant au changement dans la continuité, c'est-à-dire de conduire les élections avec les mêmes candidats de la classe politique traditionnelle, était l'ex-premier ministre de retour de son exil à Paris, le général Aoun.
Son retour avait soulevé un énorme mouvement populaire sympathisant son slogan de renouveler de la classe politique et d'en finir avec le féodalisme politique.
Or, cette position lui a valu un réquisitoire de ses alliés d'hier, l'isolant dans un discours qui n'a jamais été le sien et l'accusant de vouloir ranimer la flamme confessionnelle au Pays du Cèdre. Or, la réalité est tout autre, puisque le général Aoun a essayé de conclure des alliances avec de nouvelles figures de toutes les confessions et négocié avec la classe politique traditionnelle d'une alliance stratégique où ses candidats de toutes les confessions, bénéficieraient de l'apport des traditionalistes.
Le refus de ces derniers d'entrouvrir la porte de la collaboration au général l'a finalement conduit à présenter ses candidats sur des listes séparées faisant ainsi cavalier seul. Ainsi, se retrouve-t-il confiné à la seule région du Mont-Liban où la présence chrétienne est significative face à celle du leader druze Walid Joumblatt.
Trois autres élections à venir
Les élections de dimanche, les premières d'une série de quatre sont venues confirmer la mainmise des bulldozers politiques. Le clan Hariri remporta facilement les 30 sièges de Beyrouth, dont 9 pour absence de candidats opposants.
Ainsi se dessine le nouveau parlement à venir au Liban. Une majorité dominante des trois courants principaux : sunnite (Hariri), chiite (Hezbollah et Amal), druze (Joumblatt). Les candidats chrétiens qui auraient réussi à décrocher leur siège à la Chambre appartiendraient forcément à l'un de ces trois courants, ce que justement le général Aoun a essayé d'éviter, soit d'imposer la volonté de la majorité sur celle de la minorité.
Les trois prochaines élections qui se dérouleront à une semaine d'intervalle viendront sans doute confirmer ce contrôle de la majorité sur la minorité, et ce, même si le Général Aoun réussit à faire la différence et remporter tous les sièges dans le Mont-Liban... Prochaines élections, le Sud, fief du Hezbollah !
Alain-Michel Ayache est Journaliste et chercheur indépendant, l'auteur est un analyste du Moyen-Orient.
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