Actualités, lundi, 18 février 2008, p. 17
Alain-Michel Ayache
Au moment où le monde fêtait la Saint-Valentin, les Libanais eux, étaient sortis dans les rues pour manifester leur mécontentement et leur ras-le-bol de la politique libanaise.
Premier accusé du blocage des institutions du "Pays des Cèdres" : le Hezbollah et ses alliés.
En effet, depuis la fin du mandat du Président de la République libanaise, Émile Lahoud, le Parlement ne se réunit plus. L'actuel président de la Chambre, Nabih Berri, leader de l'autre parti chiite "Amal", repousse sans cesse depuis novembre 2007 la date de l'élection d'un nouveau Président de la République libanaise. La raison avancée est l'absence de quorum nécessaire de députés à la Chambre pour permettre une telle élection.
Cette situation de blocage politique a conduit à la division de fait des Libanais entre d'un côté les prosyriens et à leur tête le Hezbollah et de l'autre les "pro-Occident" représentés par la "majorité" actuelle.
Or, las des positions de "l'Opposition", plusieurs centaines de milliers de Libanais ont bravé le mercredi 14 février la pluie pour descendre dans les rues pour commémorer le troisième anniversaire de l'assassinat de l'ex-premier ministre Rafic Hariri.
En fait, cette manifestation monstre n'était autre qu'un nouveau référendum sur l'avenir du pays, sa souveraineté et son unité nationale.
Une unité qui de plus en plus semble se fragiliser de sorte que l'on entend parler dans les milieux des officiels libanais de toutes les possibilités à venir et dont celle d'une rupture de la formule actuelle pour la substituer par une formule plus décentralisée ou au contraire par une division confessionnelle opposant les uns aux autres dans un schéma plus régional opposant les deux axes chiite et sunnite.
D'ailleurs, cette division a été visible à travers une contre-manifestation de la communauté chiite dans la banlieue sud de Beyrouth à la suite de l'assassinat d'Imad Moghnieh, le responsable militaire du Hezbollah activement recherché par les Américains et par d'autres pays pour sa responsabilité dans les attentats contre les Marines au Liban en 1983 ainsi que contre les Parachutistes du Drakkar.
L'assassinat de ce chef militaire, "terroriste clandestin", à Damas a poussé la rue chiite dans la rue où plusieurs dizaines de milliers de supporters ont pris la rue chiite pour afficher leur opposition à la politique américaine dans la région et l'accuser ainsi qu'Israël de ce "crime" commis... à Damas !
Le bras de fer
Quoi qu'il en soit, la réalité actuelle du Liban se résume à un bras de fer entre d'un côté Washington et de l'autre l'Iran, la Syrie devenant de fait un joueur de seconde catégorie.
L'assassinat d'Imad Moghnieh vient ajouter ou rectifier une donne régionale d'une importance considérable, celle de la possibilité d'un clin d'oeil du régime d'Assad envers Washington en vue d'acheter des faveurs et peut-être bien éloigner le spectre du tribunal international pour l'assassinat de l'ex-premier ministre Hariri. Advenant une "reprise" de dialogue entre Washington et Damas, le gouvernement libanais se trouverait alors dans une position délicate - voire de faiblesse vis-à-vis Damas - car Assad aurait encore une fois prouvé aux Américains sa capacité de jongler les cartes sensibles au Liban.
Or, les dernières déclarations de George W. Bush maintiennent une position anti-syrienne, de quoi spéculer que l'assassinat de Moghnieh serait une tentative désespérée d'Assad pour se positionner sur la table de négociation quitte à ce qu'il y ait d'autres "concessions" afin de redonner à Damas sa place de choix recherchée par Assad, dans un temps où l'Iran semble tout rafler.
Dans la rue
La manifestation monstre de la majorité serait alors une réponse à cette stratégie damascène pour faire passer un message au monde et notamment aux décideurs américains et européens que le Liban est loin de tomber dans le piège syrien ou même iranien, malgré les nombreux assassinats ciblant les députés, les journalistes, les enquêteurs des forces intérieures de sécurité et même des généraux de l'armée libanaise. Des attentats dont le but est celui de fragiliser le gouvernement encore plus et disloquer une majorité qui tente coûte que coûte de s'opposer à un marasme populaire grandissant. La manifestation du mercredi serait alors un plébiscite sur l'avenir de la "majorité" et de son unité. Et à défaut d'un suivi plus sérieux et plus constructif par les leaders de cette majorité et un appui solide occidental, ce mouvement populaire "renouvelé" pourra céder rapidement la place à un marasme capable de mener le pays vers sa dislocation totale et même vers une nouvelle guerre civile.
Alain-Michel Ayache,
Département de Science politique,
Université du Québec à Montréal