Actualités, vendredi, 21 décembre 2007, p. 19
Alain-Michel Ayache
L'auteur est spécialiste du Proche et Moyen-Orient, rattaché au Département de Science politique de l'Université du Québec à Montréal.
L'on se demande souvent si la tragédie libanaise verra un jour une fin heureuse et une renaissance d'un pays pluraliste où règne démocratie et droits de l'Homme. Hélas, avec toutes les puissances régionales qu'internationales qui tentent coûte que coûte de se battre sur le terrain fertile du Liban, il est malheureusement à croire que le Pays des Cèdres est loin de retrouver une stabilité certaine.
Le dernier chapitre de cette continuelle déstabilisation vint encore une fois sous la forme d'un assassinat. Cette fois-ci, la "nouveauté" réside dans le fait que la victime appartient à la seule institution stable du pays : l'armée.
Chef des opérations militaires, et commandant en chef du front Nord contre le camp militaire palestinien de Nahr el-Bared, le général François Hajj était considéré comme aspirant Commandant en chef de l'armée si l'actuel chef, le général Michel Sleiman allait être "élu-nommé" Président de la République. Or, il semblerait que le général Hajj dérangeait beaucoup d'acteurs sur la scène libanaise et son assassinat profite à plus d'une personne.
À qui profite le crime?
Tout d'abord, ayant commandé le front contre les insurgés islamistes du camp militaire, dit de réfugiés, de Nahr el-Bared, le général Hajj devient de fait l'ennemi numéro un des islamistes sunnites radicaux, qui ne reconnaissent pas en un Chrétien une quelconque légitimité pour tout poste de responsabilité.
En second, Hajj est originaire de Rmeich, village sur la frontière israélienne. Or, les gens de Rmeich étaient des alliés inconditionnels d'Israël et des ennemis au Hezbollah. Or, bien que Hajj n'ait jamais été avec les Israéliens, il n'en demeure pas moins qu'il représente un problème pour la machine militaire du "Parti de Dieu" au même titre que les Islamistes du Nord. Et comme il a réussi à mettre à pas ceux du Nord, rien de garantit qu'il ne fera de même contre la milice pro-iranienne le temps venu ! Donc, il fallait l'éliminer.
Affaiblir les chrétiens
En troisième, la grande majorité des assassinats a ciblé principalement les personnalités chrétiennes ayant un charisme certain. Ce qui profite aussi bien aux ennemis du Liban, mais également à la machine sunnite libanaise. Car si l'on considère les Accords de Taëf qui avait pour résultat la diminution des prérogatives du chef de l'État (Chrétien maronite) en transférant certains pouvoir clés au premier ministre (musulman sunnite), l'on se demande alors si la série d'assassinat de ces personnalités chrétiennes ne représente autre que l'élimination de toute possibilité pour le camp chrétien d'avoir des ténors capables de bloquer les décisions sunnites.
Il y a aussi le fait que François Hajj est considéré comme un proche du général Michel Aoun, allié stratégique du Hezbollah. Or, lorsqu'on sait que de nombreux officiers de l'armée libanaise étaient restés fidèles au général Aoun, l'on se demande si l'assassinat de Hajj ne représenterait un message pour le général Aoun de la part de ses ennemis qui appartiennent au gouvernement libanais.
Intérêts externes
Il y a en outre les intérêts externes, ceux de Damas, des États-Unis, de l'Iran et de l'Arabie saoudite, qui eux aussi ont leur mot à dire dans cette équation libanaise. Assassiner un général de l'armée pourrait bien être le prélude de la mise à mort de la seule institution solide et nationale du pays en vue peut-être de disloquer le pays si aucun président n'est élu.
Dans ce dernier scénario, le message, c'est que de grands changements pourraient bien avoir lieu dans les semaines à venir si les politiciens libanais n'arrivent pas à trouver un consensus autour d'un président qui représenterait l'union du Liban. À défaut d'un président, il ne serait pas étrange que des troubles secouent le Liban, menant à terme à sa dislocation. Le Hezbollah semble avoir consolidé ses assises en achetant avec de l'argent iranien des villages en entiers appartenant à des Chrétiens et des Druzes au Sud du pays, liant ainsi l'Ouest à l'Est et créant un corridor de logistique très avancé non seulement au Sud du pays, mais également au Nord en pleine région chrétienne qu'il a prise en étau.
Le Liban vit actuellement un moment crucial. Soit il réussit à sortir de la crise et à rebâtir un nouveau pays basé sur l'équité entre ses 18 communautés, soit il se dirigera droit vers l'abysse qui signera la fin d'une époque... celle d'un Liban libre et indépendant et le rideau s'abattra sur la Pays des Cèdres pour voir naître de nouvelles entités actuellement en gestation secrète et lente !