Opinions, jeudi, 25 janvier 2007, p. 25
Analyse
Alain-Michel Ayache
Comme si les malheurs de ce petit pays ne suffisaient pas, le voilà encore une fois pris par la tourmente interne qui risque de le conduire vers l'abysse de la guerre fratricide...
En effet, le Liban a été complètement paralysé, mardi, par les supporters du Hezbollah et leurs alliés du parti chiite Amal, auxquels s'était jointe une petite fraction des chrétiens libanais prosyriens. Le but officiel, selon le Hezbollah : faire pression sur le gouvernement libanais pour qu'il démissionne et tienne de nouvelles élections.
Pour cela, les chiites avec une minorité de chrétiens prosyriens étaient censés manifester dans les rues après avoir demandé à la population de boycotter leurs travaux en signe d'appui à la grève. Or, la majorité des Libanais n'a pas voulu répondre à cet appel et voilà que les manifestations tournent au chaos et à la destruction des biens et à l'intimidation. Des heurts éclatent entre manifestants et contre-manifestants sous les regards impuissants de l'armée libanaise et des services de sécurité, débordés. Le bilan est lourd : trois morts et plus de 133 blessés, surtout des opposants au Hezbollah.
Comme en 1975
Cela n'est pas sans rappeler les affrontements entre chrétiens et Palestiniens qui ont précédé la guerre "civile" de 1975. Tous les ingrédients de l'époque s'y retrouvent sauf pour les principaux acteurs du conflit. Cette fois-ci, le bras de fer est avant tout entre chiites et sunnites pour le contrôle du Liban. Les chrétiens ne sont que des figurants ou des instruments dans ce nouveau schéma machiavélique que Damas semble mettre en place.
D'ailleurs, les factions chrétiennes qui se sont alliées aux chiites, mardi, appartiennent toutes au groupe qualifié de "prosyriens". Cela comprend les supporters de l'ex-commandant en chef de l'armée, Michel Aoun, aujourd'hui député de l'opposition.
À cette opposition prosyrienne, s'ajoute le Hezbollah avec son agenda iranien, notamment depuis la défaite subie face à l'armée israélienne l'été dernier. Pour étouffer des promesses non tenues quant au dédommagement des sudistes (pour les pertes subies l'été passé), incapable de payer tout le monde, le Hezbollah essaye de faire tourner les regards vers le gouvernement de Siniora pro-américain, considéré comme source de tous les maux... Or, ce qui ressemble à un conflit socioéconomique entre chiites et sunnites n'est en fait qu'un bras de fer pour le contrôle des institutions du pays, par la force s'il le faut. C'est pourquoi les heurts de mardi ont plus que jamais dressé des communautés les unes contre les autres, prêtes à s'entretuer.
L'influence de l'Iran
Que ce soit Téhéran ou Damas, les deux capitales ont intérêt à ce que le Liban ne retrouve pas sa stabilité. Téhéran veut consolider une tête de point de choix au Liban à travers le Hezbollah au sud. Cela lui permettra, en cas d'attaque d'Israël sur ses installations nucléaires, de répondre par des missiles à moyenne et à longue portées à partir des positions rapprochées du Hezbollah au sud.
À cela s'ajouteraient les opérations militaires suicidaires que le Hezbollah lancerait contre Israël, étant passé maître dans les tactiques de guérilla. La force multinationale ne cesse de rapporter des "malentendus" avec des éléments du Hezbollah qui tentent de rentrer dans les villages situés à 30 km de la frontière israélienne, ce que leur est interdit l'entente signée avec l'ONU. On prétend que des éléments du Hezbollah sont déjà retournés dans cette zone et ont commencé à rebâtir des fortifications.
Le jeu de la Syrie
D'autre part, Damas veut rendre la pareille au camp Hariri auquel appartient l'actuel premier ministre libanais Fouad Siniora. Damas menacerait alors directement la stabilité du pays, question de prouver que sans ses troupes d'occupation, le Liban plongerait dans le chaos. En fait, Damas chercherait un rôle accru dans la région, surtout depuis l'exécution de Saddam Hussein. Il tente aussi d'étouffer toute demande du Liban pour mettre en place du tribunal international sur l'assassinat de l'ex-premier ministre libanais Rafic Hariri, ce qui ne manquerait pas d'impliquer le chef de l'État syrien et d'autres hauts responsables.
Ainsi, le Liban replonge dans l'abysse de la guerre fratricide qui, si poussée encore une peu plus loin, verrait le sang couler à flot, entre chiites et sunnites surtout. Les factions chrétiennes ne tarderaient pas à suivre... malheureusement !
Alain-Michel Ayache, spécialiste du Proche et du Moyen Orient*
*L'auteur appartient au département de science politique de l'UQUAM