Opinions, samedi, 22 octobre 2005, p. A31
Analyse
Alain-Michel Ayache
sur l'assassinat de Rafic Hariri
Accablant pour la Syrie !
Accablant ! C'est le moins qui puisse être dit au sujet du rapport de l'envoyé spécial de l'ONU, l'Allemand Detlev Mehlis, chargé de mener l'enquête sur l'assassinat de l'ancien premier ministre libanais Rafic Hariri.
Accablant notamment pour la Syrie et pour l'entourage du président syrien Bachar Assad, qui, selon les témoignages d'anciens ministres du cabinet de Hariri et du leader druze Walid Joumblatt, a directement sommé Hariri de "voter la prolongation du mandat du président actuel Émile Lahoud, sinon je (le président syrien) détruirai le Liban sur ta tête et aucun membre de ta famille ne sera sauf partout où il se trouvera au monde". Toutefois, bien que le rapport indique que tous ceux cités sont "innocents jusqu'à la preuve du contraire par l'appareil judiciaire libanais" et que les quatre généraux libanais arrêtés par l'autorité libanaise aient une implication certaine avec "des sources syriennes", il n'en demeure pas moins que le gros des accusations sous-entendues dans ce rapport visent en premier et avant tout le président syrien lui-même et son entourage direct.
Par ailleurs, des sources diplomatiques européennes indiquent que le beau-frère du président syrien, Assef Chawkat, commandant du service d'intelligence militaire de la Syrie, serait le véritable commanditaire du crime.
Vers des pressions internationales
Cette grave citation dans le rapport de l'enquêteur onusien ouvre largement la porte à Washington pour exercer une nouvelle série de pressions sur la Syrie et notamment sur le front irakien.
En effet, si le rapport de Mehlis n'accuse pas nommément des personnalités syriennes, c'est plus dans l'optique de laisser une manoeuvre diplomatique pour Washington en accord avec Paris et la bénédiction de l'ONU, pour pousser Bachar Al-Assad à mettre un terme non seulement à l'appui de l'ancienne garde de son père, véritable responsable de l'appui logistique aux insurgés irakiens, mais également à son ingérence au Liban à travers son soutien au Hezbollah et aux camps palestiniens surarmés.
Pour éviter le pire
Cette dernière chance offerte à Bachar Al-Assad vient plus dans la perspective de ne pas déstabiliser son régime afin d'éviter que les islamistes ne prennent le dessus et que la Syrie ne ressemble à l'Irak d'aujourd'hui, surtout dans l'absence d'une alternative sérieuse au régime actuel. D'ailleurs, il ne serait pas étonnant que, dans les jours à venir, une purge s'opère - ou des "suicides" d'officiels - au sein du parti Baath en Syrie au pouvoir, où l'on verrait des têtes tomber, sous l'accusation notamment d'avoir participé à l'assassinat de Hariri.
Le rapport est également accablant pour le président libanais Émile Lahoud, qui, même s'il n'y a aucune indication de sa participation de près ou de loin à la préparation de l'attentat, est la cause principale pour ce crime.
En effet, sans l'altercation entre le président syrien et feu Hariri au sujet du renouvellement de son mandat pour trois années supplémentaires, l'attentat n'aurait pas eu lieu. De même, l'un des quatre généraux arrêtés n'est autre que le commandant en chef de sa Garde républicaine, Mustapha Hamdan, qu'il a lui-même nommé à ce poste, sans parler des résultats de l'enquête de Mehlis qui soulignent clairement des échanges téléphoniques entre les cellulaires utilisés pour ce crime et celui de Hamdan et des trois autres généraux aux arrêts.
Pas étonnant alors de voir dans les prochains jours une campagne anti-présidentielle dans les journaux libanais et le Parlement pour destituer le président. Cela sera une première dans l'histoire du Liban où un président est destitué avant la fin de son mandat.
Quoi qu'il en soit, il est évident que les jours à venir verront des développements très importants dans la région. Car, plus que jamais, Damas est officiellement et internationalement mise au banc des accusés. Reste à savoir si la communauté internationale condamnera le président syrien ou ses proches et la réaction de ces derniers. Ce qui est clair, c'est qu'Assad doit maintenant s'assurer de contrôler son pays et notamment son parti pour éviter que le Parti n'implose en premier, enflammant par ce fait la Syrie avant de pouvoir répondre aux exigences de la communauté internationale. La sécurisation des frontières avec l'Irak et l'implantation totale de la résolution 1559 du Conseil de sécurité des Nations Unies pourraient devenir la première réponse positive du président syrien à ces pressions, notamment américaine, et le début de la fin du règne du Hezbollah au Liban.
Alain-Michel Ayache
Chercheur associé à la Chaire Raoul-Dandurand de l'UQAM. Spécialiste du Proche et du Moyen-Orient