Friday, November 5, 2004

La fin d'une époque et le début d'une nouvelle au Moyen-Orient

Le Soleil
Opinions, vendredi, 5 novembre 2004, p. A13

Analyse

La fin d'une époque et le début d'une nouvelle ère au Moyen-Orient

Alain-Michel Ayache

Que le leader palestinien Yasser Arafat meure prochainement ou pas, il est clair que le Moyen-Orient s'apprête à tourner une page sensible de son histoire.

Tour à tour ingénieur, révolutionnaire, terroriste puis repenti avant de renoncer officiellement et totalement au terrorisme pour devenir président de l'autorité palestinienne, Yasser Arafat est le dernier pilier palestinien de la vieille garde antisioniste, malgré l'image de modéré et de victime qu'il a tenté de montrer au monde durant les derniers mois passés dans son bunker.

Ennemi juré d'Ariel Sharon, depuis notamment l'invasion israélienne du Liban en 1982 et son exil forcé à Tunis avec l'ensemble de ses combattants, Arafat rêvait de laisser un héritage révolutionnaire dont l'Intifada serait son épine dorsale. Or, depuis que le Hamas a pris la situation en main et mené des attaques principalement contre la population israélienne, le terrain semble avoir échappé au contrôle du vieux combattant. Réduit à son bunker, Arafat essayait par tous les moyens de se positionner de nouveau face à son éternel vieil ennemi et complice - dans le sens de son existence - l'actuel premier ministre israélien, Ariel Sharon.

Or, l'intensité des ripostes israéliennes aux actions terroristes du Hamas lui a arraché le dernier mot qu'il se voulait face à Sharon. Intransigeant quant aux concessions, légitimes pour certaines, formulées par le camp israélien, il a réduit la question palestinienne à sa propre personne rendant ainsi les territoires qu'il occupe à l'image du reste du monde arabe, soit une dictature, une sorte de monarchie absolue avec un zeste de pseudo-démocratie à travers la participation de ces ministres à un processus décisionnel limité tant dans sa forme que dans son contenu.

Sa défaite la plus grave vient de lui être servie par les déclarations de son ennemi juré, Ariel Sharon. En effet, non seulement Arafat ne va pas mourir en martyr comme il l'a clamé à plusieurs reprises aux médias occidentaux, mais Sharon lui interdirait d'être enterré à Jérusalem ou même dans les territoires ! Ce qui représente en soi la plus grande des défaites face à Sharon durant plus de 30 ans de lutte armée.

Et après ?

Pour les plus optimistes, Sharon maintiendrait le retrait des colonies des territoires et consoliderait le mur de séparation avec Israël. Pas question de diviser Jérusalem, ni même de céder aux chantages des terroristes. En effet, pour que Sharon puisse mettre un terme aux actes de terrorisme, il lui faudrait isoler Israël du reste des territoires tout en maintenant une ouverture sous haute surveillance pour laisser passer les travailleurs palestiniens sélectionnés.

Cette fermeture et l'isolation quasi hermétique des territoires permettraient à Sharon d'étouffer économiquement et de contrôler le peu d'économie que les territoires puissent encore posséder. Une telle politique aurait un impact certain sur la situation interne des Palestiniens en les plaçant devant deux choix difficiles : s'ils choisissent la lutte armée, ils octroieront à Hamas le mandat de continuer cette lutte et risqueront des ripostes de plus en plus sanglantes sous l'oeil complice de l'administration républicaine, de nouveau au pouvoir aux États-Unis. Ce qui ouvrirait à moyen terme la voie vers une internationalisation du conflit et l'embrasement du Moyen-Orient, vu que, notamment, la Syrie et l'Iran sont sous étroite surveillance, tant américaine qu'israélienne.

Ainsi, au nom de la lutte contre le terrorisme, les États-Unis encourageraient Israël à frapper fort non seulement Hamas, mais également le Hezbollah et la Syrie, dans une tentative de mettre un terme à la politique de terreur qu'ils orchestrent à partir de Damas, aussi bien en Israël qu'en Irak face aux troupes de la coalisation.

Mais qu'en sera-t-il de l'après-Arafat ?

Dans une autre perspective, les Palestiniens se choisiraient un interlocuteur modéré capable de reprendre les pourparlers de paix avec Sharon et qui accepterait de faire des concessions, quitte à ce que la naissance d'un État palestinien embryonnaire puisse prendre place et que le statut de Jérusalem soit relégué aux calendes grecques. Mais pour que cette deuxième option puisse se réaliser, il faudrait que le nouveau chef puisse mater Hamas ou du moins le convaincre de faire partie de son équipe et d'opter pour le dialogue plutôt que pour la lutte armée.

Encore est-il qu'une mort proche d'Arafat laisserait sans doute un vide dans les territoires et donnerait une bouffée d'oxygène au Hamas pour mener un plus grand nombre d'actions terroristes contre les Israéliens, provoquant du fait même une riposte, à l'instar de ce qui s'est produit il y a encore quelques jours lors de l'hospitalisation du leader palestinien à Paris.

Seule une action rapide des modérés palestiniens pour contenir toute nouvelle flambée de violence pourra permettre d'espérer pour le mieux. Mais pour cela, il faudrait que le vieux combattant puisse donner son approbation à une telle politique... ce qui semble avoir été le cas si l'on se fie à ses dernières déclarations de son lit de Paris.

Quant à Sharon, maintenant que son ennemi juré est sur le point de mourir, sa raison d'être à la tête du gouvernement en serait aussi affectée. Le dernier vote à la Knesset est en soi annonciateur de la fin de l'ère Sharon en Israël. Encore est-il qu'à l'instar d'Arafat, Sharon n'aurait pas cédé un pouce, fidèle à son éternelle politique face aux Palestiniens.

Ainsi, il ne serait pas étonnant que, dans quelques mois, Sharon soit contraint de démissionner ou, tout simplement, qu'il perde les élections à venir face à quelqu'un qui pourrait changer le statu quo dans la région. Il s'agit de savoir si ce nouvel interlocuteur israélien serait du Parti travailliste ou du Likoud, ce qui ferait toute la différence.

Quoi qu'il en soit, le fait que Sharon soit remplacé signifierait la fin d'une époque sans être pour autant un happy ending pour la région. Toutefois, dans un tel scénario, le Moyen-Orient aurait ouvert une nouvelle page de son histoire, clôturant ainsi celle marquée par le sang de part et d'autre.

Une histoire que l'on pourrait surnommer : "l'ère Sharon - Arafat".

Alain-Michel Ayache

Journaliste et chercheur, analyste du Moyen-Orient